Chronique du Mercredi :Le sauve-qui-peut

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Le luxe insolent de nos dirigeants qui rivalise avec la misère noire de l’écrasante majorité des populations ne suffit pas, les fonctionnaires milliardaires qui ont pignon sur rue ne suffisent pas, l’impunité et la corruption érigée en règle ne suffisent pas, le chômage des jeunes ne suffit pas.

Pour narguer les pauvres bouts de bois de Dieu qui suent eau et sang pour avoir deux repas par jour, des opérateurs économiques véreux, dénués de toute morale ont cru bon d’insulter les Maliens en octroyant au Président de la République une médaille en or massif qui coûtent s’il vous plait la rondelette somme de 250 millions F Cfa sans compter les frais d’organisation, du direct télé (nationale et internationale). Il faut alors compter entre 350 et 400 millions pour l’ensemble des dépenses. Comment les dirigeants d’un pays classé en 2010 par le rapport du Pnud, 171è sur 173 pays (malgré les efforts) se permettent de tels excès ?

Combien de jeunes ou de femmes cette enveloppe peut-elle ôter de la pauvreté, du chômage ? Combien d’emploi direct et indirect peut-on créer avec une telle enveloppe ? 200, 300, 400, en tout cas pas moins. Au moment où le Président de la République, Amadou Toumani Touré se prête à leur jeu en se faisant richement décorer par les manitous de son règne, les populations de Bamako, du Mali profond, ont les yeux hagards.

Dans un village de la commune de Bourem (Gao), depuis plusieurs années les villageois revendiquent la création d’un second cycle, car le taux d’abandon après la 6ème année est très élevé, parce que les élèves, une fois admis au Cep, n’ont plus de tuteur dans le chef-lieu de cercle. Et selon les villageois, il faut seulement 2 à 3 millions pour construire et équiper les salles de classe. En vain. Combien de village sont dans la même situation au Mali ?

A Bamako, des commerçants détaillants ont fort besoin d’un crédit de 1 ou 2 millions pour démarrer ou revigorer leurs activités. Mais par manque de crédit, ils se sont confiés à Dieu. Dieu, c’est justement parce que le fatalisme est devenu une vertu sous nos tropiques que nos dirigeants continuent de se moquer de leur propre population. Pourquoi les chambres consulaires n’ont-elles pas prêté cet argent aux commerçants, aux artisans ou encore aux paysans s’ils veulent vraiment travailler pour le pays ? A quoi sert cette distinction dans un pays où les populations peinent à manger à leur faim, à s’habiller, à se loger décemment ? Et dire que le chef d’orchestre de cette tragédie est le président d’une institution du pays (le Conseil économique, social et culturel du Mali) ! Ce qui se passe est symptomatique de la mauvaise gouvernance. Si ces opérateurs économiques décorent le président de la République, c’est certainement parce qu’ils se sentent redevables vis-à-vis de lui. Ont-ils bénéficié des fameuses exonérations ? Ce n’est qu’un secret de polichinelle. En tout cas, leur geste est loin d’être désintéressé. Nous savons que ATT a fait la promotion de certains, non pas en leur donnant des marchés seulement mais en les hissant à un niveau inespéré pour eux. Par leur geste, ATT a pu conclure qu’ils (les initiateurs) ne sont pas des hommes sur lesquels le pays peut compter. C’est pourquoi il a poliment refusé la médaille en le déposant au musée pour les générations futures. Selon nos sources, le président n’est même pas monté à Koulouba avec l’encombrante médaille.

 

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Une jeunesse désemparée

Les passe-droits aux parents, copains et aux militants, la corruption et la concussion n’ont laissé aucune chance à une jeunesse désemparée. N’eurent été les valeurs de solidarité, d’entre-aide, les rues seraient déjà remplies de clochards, de Sdf et autres déviants. Mais en attendant, les mendiants, de tout acabit, sont visibles dans tous les compartiments de la capitale. Faites un tour derrière les bureaux du Premier ministre, vous trouverez des mendiants qui guettent leur pitance quotidienne.

Les bureaux sont assaillis, les feux tricolores, au bord des carrefours, sont devenus leur marché. Difficile de leur en vouloir, car, ils sont contrairement à ce que pensent certains, des victimes d’un mauvais système. Qui a dit que le Malien n’est pas courageux et travailleur ? Allez-voir ailleurs. Pour fuir la misère, beaucoup de Maliens ont quitté le pays pour des horizons meilleurs. Certains subissent toute sorte d’humiliation soit à cause de papiers, soit à cause du fait seulement qu’ils ne sont pas dans leur pays d’origine. Mais cela ne les décourage pas. Ils bravent tout pour enfin revenir au pays et se faire une place au soleil. Pour ceux qui ont eu la chance de vivre à l’étranger, ils savent que le Malien est considéré comme travailleur et patriote. " On ne peut pas comprendre que dans notre propre pays, un système empêche les jeunes d’émerger, de se forger un meilleur avenir… Comment faire ? ", S’interroge, amer, un jeune diplômé sans emploi. La trentaine, Madou Diané dit avoir frappé à toutes les portes pour avoir un simple stage de qualification. En vain. Son nom ne figure pas sur la dernière liste des stagiaires de l’Agence pour l’emploi des jeunes (Apej). Mais, selon lui, cela ne l’étonne guère, car il n’a pas de ”bras longs”. Les préjugés négatifs des jeunes sont très souvent corroborés par le comportement de certains dirigeants du pays. Pour preuve, les injonctions du ministre de l’Emploi et de la Formation Professionnelle, considéré comme le vice Premier ministre, dans la liste des stagiaires de l’Apej apporte de l’eau au moulin de ceux qui pensent que pour avoir du travail, il ne s’agit pas d’être compétent, mais il faut surtout avoir un ”bras long”. C’est pourquoi manifestement, beaucoup de jeunes préfèrent s’attrouper autour d’une théière de thé vert plutôt que d’aller se faire ridiculiser.

 

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Des hommes politiques vampires

Ils ont rangé leur conviction derrière leur tube digestif. Ils ne se soucient guère de la misère qui a fini par avilir les populations qu’ils aspirent gouverner. Tels des vampires, ils ont plutôt besoin du sang de leur peuple pour se nourrir. Ils, ce sont les politiciens. L’analphabétisme aidant, beaucoup de nos populations ne s’en rendent pas compte. Le temps est venu de dire non à ces politiciens véreux qui ne se soucient que de leur propre promotion. Le temps est venu de dénoncer ceux qui s’accaparent des biens de l’Etat, des ressources du contribuable pour se construire un empire. Le 26 mars n’aura rien servi, en effet. Les mêmes maux qui ont jeté les Maliens dans la rue en 90 – 91 sont revenus très rapidement. (Chassez le naturel, il reviendra au galop).

" Le problème dans ce pays, c’est que les partis politiques ne jouent pas leur rôle. L’Assemblée nationale contrôle moins l’action gouvernementale, les partis politiques n’existent que pour briguer des postes. Pas de débat politique. Tout le monde a peur de se prononcer sur les sujets d’intérêt national. Pas d’opposition. Or, on ne peut pas imaginer une démocratie sans opposition. Seule la presse joue son rôle de contre-pouvoir… ", a constaté récemment un confrère étranger en séjour au Mali.

Comment alors vaincre la pauvreté, lutter contre le chômage dans un pays où il n’y a qu’un son de cloche ? Hormis la presse privée, qui exerce dans des conditions difficiles.

En tout état de cause, les Maliens sont fatigués, ils ont faim et soif. Ce qui fait qu’ils peuvent manifester leur misère de façon violente pour que justice soit faite. Car la meilleure des justices dans un pays, c’est la dignité et celui qui ne mange pas à sa faim peut difficilement préserver sa dignité. C’est cette frustration qui risque fort d’éclater la colère populaire.

 

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Alhassane H.Maïga


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