Les inaugurations et les coups de pioche sont partie intégrante de son métabolisme, et il ne peut pas s’en passer, jurent ses proches. Mais à treize mois de la deuxième élection présidentielle qu’il va arbitrer -la première c’était en 1992-, le président Touré a un œil sur l’écran de télé et l’autre sur le cadran de sa montre. Le temps, il le sait fuyant et l’actualité africaine est en pleine folie. Nouveaux enjeux, donc nouveaux signaux. C’est pourquoi contrairement à son habitude de ne pas réagir à chaud, de laisser composter les choses et attendre que les gens mijotent dans leur jus, ATT a immédiatement riposté quand il fut accusé par la presse ivoirienne fortement relayée par ses confrères d’autres pays d’avoir facilité le transfert de près d’une centaine de milliards à Laurent Gbagbo alors sous embargo communautaire. Il n’a pas non plus perdu de temps pour répéter qu’il s’en ira le 8 juin 2012 lorsque la presse soupçonna, début février, certains de son premier cercle, de travailler à la prolongation de son mandat.
Du berger à la bergère
Enfin, il s’est passé seulement quelques heures entre l’annonce de la rocambolesque évasion du jihadiste Tunisien Beshir Shenoun – arrêté hier à Gao par la gendarmerie- et le limogeage du directeur des renseignements, Mami Coulibaly pour lequel l’affection du président ne fait pourtant pas de doute. La stratégie du tac au tac donc pour quelqu’un dont le fort, selon ceux qui le connaissent le mieux, est de savoir faire le mort. Entre le temps qui file, l’agenda intérieur qui est chargé et la brusque accélération de l’histoire en Afrique du Nord notamment, Amadou Toumani Touré cherche à réduire les erreurs tactiques. Pour lui, est-ce une erreur tactique d’avoir encore ce gouvernement qu’il était déjà question de remanier en profondeur en fin 2009? Les indicateurs macro-économiques ne sont pas mauvais.
Et le Fmi et la Banque mondiale et l’Uemoa se sont félicités de la gouvernance financière du pays. Fait totalement inhabituel, les douanes maliennes ont déclaré, le dernier trimestre des recettes dépassant le quota qui leur avait été fixé. Sur la base des mercuriales des prix des denrées de base dans la sous-région, il est également indéniable que le gouvernement fait des efforts pour réduire le coût de la vie. Reste que le pays reste pauvre et qu’il ressent chaque centime de plus sur le riz, le mil, le sucre et la viande. Reste aussi que deux dossiers fragilisent les gouvernants depuis quelques années.
Le premier c’est le dossier du Nord : il n’a pas d’incidence sur la vie quotidienne notamment dans la capitale qui est le seul vrai thermomètre du pays. Mais de celui-ci, il modèle l’image s’en est ressentie par le feuilleton Aqmi et les « scoops » sur le narcotrafic. Le deuxième dossier c’est celui de la corruption. On n’avait pas fini de se demander le sort réservé aux rapports de contrôle et en particulier ceux du Vérificateur général auquel la loi assigne l’obligation de publicité que le scandale du Fonds mondial a éclaté avec les conséquences que l’on sait. S’y ajoutent l’effet de l’usure tout simplement et le discret lobby de ceux qui pensent leur heure arrivée. C’est pourquoi le président paraît tenté par un remaniement. Imminent ?
Des solutions à problème
Personne ne sait vraiment, lui seul ayant les cartes en main. Inévitable ? Là non plus, personne ne veut parier son cou. Le président, cependant, est formel : « je ne veux pas de ministre candidat dans mon gouvernement ». Un meurtre en série au sein de la représentation Adema? Probable si ce parti a autant de candidats qu’en dit la presse. Qui a également fait, dans une large mesure, acte de candidature pour Modibo Sidibé, premier Premier ministre du second mandat. En sera-t-il l’unique ? Rien n’est moins certain.
Ce ne sera pas, en tout cas, une bonne nouvelle pour les fans du Premier ministre qui trouvent 2012 à portée de main. Mais Modibo Sidibé lui-même, n’y ira que si le vaisseau a pour capitaine un certain…Amadou Toumani Touré. C’est dire! Il ne restera donc, pour le limoger que l’astuce trouvée en son temps par Mamadou Sylla pour faire limoger le Premier ministre Cellou Dalein Diallo : l’argument de la faute lourde. Même si celui-ci est trouvé, il restera, pour Att, l’équation de la succession de Modibo Sidibé.
Le vivier n’est pas intarissable, loin de là et sans doute, si le président a autant attendu, ce n’est pas parce qu’il n’a rien à reprocher à son actuel chef de gouvernement -il n’a même pas besoin de se justifier- mais parce que chacune des solutions de rechange annoncées comporte aussi ses problèmes, en tout cas aux yeux du président : Ahmed Diané Séméga, Ahmed Sow ou Django Sissoko.
Il ne faudra donc rien exclure, avertit un connaisseur du président, y compris un gouvernement expurgé de ses bras cassés et de ses têtes surmenées, recentré autour de Modibo Sidibé pour parachever le mandat. On n’a pas toujours ce qu’on veut le collectionneur de symboles qu’est ATT ne se serait sans doute pas privé de faire appel à une femme apte à ce boulot.
En attendant l’inévitable solitude du partant, le président constate, médusé, qu’on fasse de lui un spectateur plutôt qu’un acteur de mars 1991. Il n’a nommé personne. Mais Ali Nouhoun Diallo a du flair qui recadre « jamais au grand jamais, l’idée ne m’a traversé de mettre « Amadou » sur la touche. Je veux simplement qu’il ne se laisse pas tenter par une prolongation de sa présidence au-delà des limites constitutionnelles». Un tel scénario n’est sans doute pas à l’ordre du jour. Le président a regardé, surpris comme tout le monde ce qui s’est passé en Tunisie et en Egypte. Et ce qui se passe en Libye et qu’il suit, minute par minute, le préoccupe au plus haut point. L’ami Khadafi enrhumé, c’est en effet le Nord-Mali qui tousse.
Adam Thiam
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