La rue africaine se reconnaît en Ben Laden : donc, il ne faudra pas s’attendre à des scènes de liesse populaire à Bamako, Dakar, Alger ou Ndjamena. Le chef jihadiste tué hier avait su forger dans nos opinions d’abord l’image d’un justicier foncièrement insurgé contre le traitement sélectif de l’Occident, les Etats-unis en tête : c’est à dire la carotte pour Israël, et le bâton pour la Palestine.
Le double standard occidental confirme une nouvelle croisade contre l’Islam : Ben Laden n’a eu de cesse de le répéter et les musulmans d’Afrique sont d’accord avec lui. L’autre image que le milliardaire saoudien laisse c’est celle du doctrinaire désintéressé et ascétique d’une nouvelle « théologie de la libération » s’appuyant sur le Coran plutôt que sur la Bible. Dans cette guerre sans merci, les musulmans ont le devoir de se défendre comme ils peuvent pour protéger « leur espace vital ».
Le 11 septembre 2001 dès lors n’est pas un acte de lâcheté mais une réponse à l’arrogance d’une hyper-puissance qui croyait que tout lui était permis. Et au lieu de l’effroi, l’horrible attaque a plutôt justifié l’admiration pour Ben Laden au point d’en faire, peut-être, le défenseur de l’Islam le plus connu après le prophète Mohamed.
Du moins sur nos marchés et dans nos quartiers populaires. Car les érudits arabisants savent la vérité et savent que l’Islam doit plus à un Imam Tantawi presque totalement méconnu à un Ben Laden hyper-médiatisé un moment avant d’être harcelé et traqué. Le salut ne viendra que par la « délocalisation » et par l’ancien Gspc algérien qui, en 2007, eut besoin du prestige et de la légitimité du tombeur de l’Amérique pour espérer se tenir debout après de lourdes pertes.
Nul doute alors : depuis hier, Ben Laden est un souci de moins pour les chefs d’Etat major du Niger, de l’Algérie, de la Mauritanie et du Mali qui viennent de boucler à Bamako une réunion capitale sur la sécurité dans l’espace sahélo-saharien. Ces officiers supérieurs savent, bien sûr, plus que tout le monde, l’inexistence ou la faiblesse de liens organiques ou fonctionnels entre la toile-mère et son fils adoptif Aqmi.
En dépit des récentes opérations de com plaçant désormais les négociations concernant les otages d’Arlit sous la seule autorité de Ben Laden, Droudkel ne convaincra pas grand-monde en faisant croire que Timetrine relève de Tora Bora. Ce ne sera pas non plus crédible de dire que la disparition de l’empereur Ben Laden rend inconsolables les princes Belmokhtar et Abuzeid. La nébuleuse sahélienne garde son autonomie d’action et ses décisions ont toujours été dictées par des enjeux locaux. Corollaire : plus que la mort de Ben Laden, c’est la capacité de frappe des états riverains du Sahel-Sahara qui contrera ce qu’on appelle déjà l’Aqmistan.
Adam Thiam