Affaire du Fonds Mondial : Où en est t-on ?

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Guy Bourassa est un nom dont se souviendront longtemps les différentes équipes en charge du paludisme, de la tuberculose surtout et plus tard du sida chez nous. Et pour cause : Canadien de souche et non Algérien comme il nous l’avait été dit, l’intraitable inspecteur du Bureau de l’Inspecteur général du Fonds Mondial à Genève épluche depuis plusieurs mois les comptes des programmes Palu, Tuberculose et Sida dont notre pays a bénéficié. Côté palu et tuberculose, les choses vont bouger assez vite. Octobre 2009, le ministre de la Santé découvre des malversations portant sur 140 millions CFA.

 

Coup de théâtre                 

Il porte plainte contre le comptable du Fonds mondial qui est aux mis aux arrêts avec le secrétaire général du ministère à l’époque, libéré depuis. Informé, le Fonds mondial veut poursuivre les investigations. Ses différentes missions se rendent alors fréquemment à Bamako. Juillet dernier, le Bureau de l’Inspecteur général produit un rapport qui fait des vagues. Selon l’inspecteur, les dégâts sont bien plus importants que les 140 millions Cfa d’ailleurs restitués par la partie malienne conformément au protocole liant le gouvernement malien et le Fonds mondial. Celui-ci porte plainte auprès du tribunal de la Commune III.

Une vingtaine d’arrestations seront opérées dont un jeune opérateur économique suivies de l’inculpation du Directeur national des Marchés Publics. Il faut dire que devant l’ampleur de l’affaire et du montant, le ministre de la Santé avait demandé copie dudit rapport dans sa lettre du 03 août 2010 et s’indignait de ce que, concerné au premier chef, il n’avait la moindre idée de ce que contenait le document. Lequel, semble t-il, était pourtant en possession de parties prenantes tels que les Partenaires Techniques et Financiers du Mali.

En septembre, le procureur de la Commune III annonce à la télé que l’affaire est grave et que ce sont plus de 50 000 pièces et documents comptables qui étaient à l’étude! Personne ne sait vraiment quel est le montant incriminé. Mais les agences de presse internationale citant le Fonds mondial ou des sources onusiennes parlent de plusieurs millions de dollars, de marchés fictifs, de surfacturations et de faux. Défendu par certains médias, vilipendé par d’autres, le ministre de la Santé est au creux de la vague. Curieusement, il ne dira plus rien après sa lettre du 3 août. Ce n’est pas une affaire Woerth car le président n’a pas fait publiquement référence à lui. Ce n’est pas non plus l’affaire du ministre Cheickna Seydi Diawara, en 1995, dont le Premier ministre de l’époque dira qu’il ne le lâcherait pas.

 

Métastase ?            

Ce n’est même pas comme l’affaire Ahmed Sow qui, lui, put se défendre dans une conférence de presse. Certes, le ministre n’est pas personnellement mis en cause. Mais des proches à lui le sont. « Sa responsabilité morale est engagée et il ne doit pas rester.  Surtout à inaugurer les infrastructures sanitaires car cela pose un problème d’image au pays », déplore une partie de l’opinion. « Oui mais dans ce cas, le gouvernement aurait démissionné à chaque rapport du Vérificateur général », ironisent d’autres. En tout cas, le Fonds a le vent en poupe et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin. Un malheur ne venant jamais seul, Bourassa débarque à Bamako avec une dizaine d’inspecteurs. Il a maintenant jeté son dévolu sur la composante Sida que son institution finance. 

Ce projet est la « prunelle » des yeux du président de la République, avec comme chef d’orchestre le Secrétariat Exécutif du Haut Conseil National de Lutte Contre le Sida et une série de dispositifs pour bien gérer les ressources et atteindre l’efficience. 

Classé grade A par le Fonds mondial lui-même, avec une lettre de félicitations en 2009 et considéré comme une success story, le programme est passé au peigne fin. Du dimanche 19 au mercredi 22 septembre, alors qu’ils étaient passés déjà en juillet, les enquêteurs saisissent les disques durs du Hncls, du Groupe Pivot Santé et de l’Arcad-Sida, deux des interfaces du programme sur les ONG qui opèrent sur le terrain. Pourquoi cette volte-face ? Il est certain que le Fonds a reçu des dénonciations, une dizaine de documents et autant de coups de fils anonymes, dit-on, sur des anomalies de gestion au sein du programme.

 Qu’en est-il sorti ? Officiellement ou publiquement, pour être exact, rien ne filtre. Mais Bamako est petit et on apprend de plus en plus que le cyclone Bourassa a laissé quelques cadavres sur son passage. Heureusement, apprend-on encore que cette fois-ci le pays ne se laissera pas faire. Onze des pays africains bénéficiaires du Fonds mondial ont, en effet, des problèmes avec l’institution genevoise.

Plus son bureau d’inspection qui relève du Conseil d’administration que du Secrétariat du Fonds. Et pour ce Bureau, tout est problème : « le carburant acheté à Anefis par exemple doit porter le cachet officiel d’une multinationale du carburant », dramatise un animateur d’ONG écoeuré. Il y a comme une présomption de culpabilité que les partenaires du Fonds déplorent.

Le Sénégal, par exemple, qui n’aurait pas goûté les méthodes d’investigation du redoutable inspecteur l’aurait fait savoir à qui de droit. Ici au Mali, tapis rouge officiellement mais les gestionnaires du programme ne reviennent pas encore des méthodes de l’équipe d’investigation qu’ils n’hésitent pas à qualifier de cavalières. Est-ce à dire qu’il n’y a aucun problème dans la gestion des fonds ? Loin de là : « on ne peut pas brasser plusieurs millions de dollars ici sans accrocs », reconnaît un responsable. Mais des précautions élémentaires doivent être prises lors d’un contrôle. Mandats de perquisition là où il le faut, dialogue quand cela se doit. Rien qui exclut la fermeté lorsque c’est nécessaire. L’Alliance Mondiale pour le Vaccin (Gavi) semble elle avoir tiré la juste leçon en associant le Bureau du Vérificateur Général à l’investigation qu’elle a légitimement demandée.

Adam Thiam

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Fonds mondial : Les autres scandales

En 2005, le Fonds Mondial avait suspendu ses financements en Ouganda -plus de 200 millions de dollars- avant de les reprendre trois mois plus tard après la promesse du gouvernement ougandais d’ouvrir des investigations et de faire réparer le préjudice financier et moral encouru. Un livre blanc sera plus tard produit par ce même gouvernement appelant plus de 300 organisations locales à restituer les ressources indûment dépensées.                       

En août 2009, les auditeurs du Fonds Mondial sont au Cameroun où ils auraient découvert des malversations portant sur plusieurs millions de francs de dollars. La suite est très peu connue.            En octobre 2009, c’est le tour de la Mauritanie. Plus de 20 missions d’audits en cinq ans pour les trois programmes de la tuberculose, du paludisme et du VIH/SIDA, et littéralement le siège de Nouakchott près d’un an, une armée d’inspecteurs et environ 2 millions de dollars dépensés pour les entretenir, s’en était plainte la presse mauritanienne à l’époque contre le montant incriminé de 1.7 millions de dollars.

Réuni par A. Thiam

 

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