Vous ne l’avez peut-être pas remarqué, mais le soleil et l’Etat de droit ne font pas bon ménage. Vous en doutez ? Lisez donc !
D’où vient que la démocratie, en terre africaine, se porte aussi mal qu’un tuberculeux et qu’en Occident, elle se porte comme un charme ? Je n’ai pas d’explication rationnelle à ce phénomène mais je constate que la démocratie dépérit très vite (et presque toujours) dans les pays où sévit le soleil. Regardez donc autour de vous : du Tchad à la Libye, en passant par Madagascar et l’Irak, partout où le soleil brille de mille feux, l’Etat de droit et la démocratie servent juste à essuyer les pieds des gouvernants. Et en ces hauts lieux de soleil, il est question de tout sauf d’alternance au pouvoir. Par contre, partout dans le monde où il fait froid, la dictature ne pointe presque jamais son nez: Danemark, Norvège, Finlande, Angleterre, Amérique du nord. Même la Russie, pourtant héritière de l’horrible tyrannie soviétique, cesse de faire exception à la règle: le président Vladimir Poutine s’est, en effet, vu obligé de respecter la Constitution en quittant le pouvoir avant de le reconquérir, des années plus tard, par le biais d’un scrutin transparent. L’effet du froid, je vous dis ! Mais sous nos tropiques, c’est un autre son de cloche. Vous voulez des exemples ? En voilà…
Le burkinabè Blaise Compaoré, après avoir renversé son ami Thomas Sankara en 1987, règne depuis 27 ans. On se serait attendu à ce que, rassasié enfin, il débarrasse la table. Que non ! Il envisage de modifier le texte fondamental pour rempiler! Sa devise? Ne bougeons pas d’où nous sommes !
Robert Mugabé va allègrement sur ses 90 ans. Au pouvoir depuis 27 ans, il vient de s’octroyer, en 2013, un nouveau mandat à la tête du Zimbabwé et, pour tout programme, il promet que ses concitoyens ne mourront jamais de faim tant qu’ils préféreront la patate locale au riz importé.
Maître absolu du Tchad depuis 24 ans, Idriss Déby Itno ne songe pas (loin s’en faut !) à prendre une retraite méritée. Ceux qui, comme l’opposant Ibni Oumar Mahamat Salehtrant, se plaisaient à lui indiquer le chemin du repos, ont tout bonnement disparu sans laisser d’adresse. Et ce n’est pas la France qui s’en souciera après la précieuse aide militaire que Déby lui a apportée au nord du Mali.
Omar El-Bechir dirige le Soudan depuis 25 ans. Bien décidé à mourir dans son lit présidentiel, il se moque comme d’une guigne de la démocratie et, surtout, des mandats d’arrêt que la Cour Pénale Internationale s’amuse à lancer contre lui. Pour ne pas oublier les techniques du bon parfait tyran, il envoie, de temps à autre, ses milices “Djandjawids” massacrer d’innocents civils.
A 77 ans, l’Algérien Abdelaziz Bouteflika gouverne depuis 15 ans : il s’est adjugé, vendredi, un nouveau quinquennat. Bien sûr, quand on possède une stature de baobab comme lui, nul besoin de battre campagne ni de quitter son fauteuil roulant. Question: comment un vieillard malade traquera-t-il de son lit des terroristes aussi agiles des jambes que Belmokhtar et Droukdel ? Réponse d’Amara Benyounes, le chef de la diplomatie de Bouteflika: “Un président gouverne avec sa tête et non avec ses pieds!”. Vous le voyez, la race des masseurs de pieds ne prospère ne connaît pas de frontières !…
Ayant renversé, en 1994, Dawda Jamara, Yaya Jammeh tient la Gambie d’une main de fer depuis 20 ans. Le secret de sa réussite ? Il fait bastonner à mort quiconque doute qu’il puisse guérir le sida et l’asthme à partir des potions qu’il prépare dans son palais! Et quand je dis “bastonner”, cela signifie “bastonner” car les bastonneurs de Jammeh n’ont rien à voir avec ces amateurs qui ont raté leur coup à Koulouba contre un vieil homme au foulard blanc… Adepte du bon ordre, le sieur Jammeh n’aime pas l’encombrement des prisons et, pour réduire la population carcérale, il a passé par les armes 9 prisonniers en août 2012. Il aurait poursuivi son oeuvre de salubrité publique sans les mises en garde sévères de la communauté internationale. Bien entendu, notre président-guérisseur promet une couronne de feu aux homosexuels et aux journalistes dont la race a, par bonheur, fortement diminué sous le ciel gambien.
A 81 ans, Paul Biya dirige le Cameroun depuis 32 ans. Il ne tient presque jamais de conseil des ministres, préférant transmettre ses ordres au secrétaire général de la présidence qui, du coup, gouverne par procuration en usant au mieux de la formule magique : “Le président m’a dit”. Pour avoir employé ladite formule à des fins (trop) privées, 3 secrétaires généraux ont fini au gnouf. Quand ils finissent de purger une peine, les juges trouvent le moyen de leur coller une rallonge. Si Biya a une toute petite voix, il n’en conserve pas moins un immense pouvoir comme en témoigne la grande stabilité du Cameroun. Il faudra, il va sans dire, se lever tôt pour mettre le président en retraite anticipée !
L’ancien rebelle Yuweri Museveni garde l’Ouganda dans sa rude main depuis 1986 (28 ans!). Il a beau déguster, depuis une si longue date, des jambons grillés, ce colosse n’est toujours pas rassasié. En 2005, il a, comme c’est l’usage, modifié la Constitution pour briguer un nouveau mandat. Gageons qu’à la fin, il se fera reconduire par décret !
Ces exemples montrent que l’Afrique suit les traces de ses rois fondateurs. De Soundjata à Dah Monzon, en passant par Chaka Zulu, Samory et les Mogho Naba, nos grands rois ont excellé, non dans la construction de ponts ou de chaussées, mais dans l’exécution de l’ennemi. La faute au soleil ? Ceux qui, après les indépendances, ont pris le relais des rois n’écoutaient, de même, que la voix du bâton. Souvenez-vous de Sékou Touré, de Bokassa, d’Idi Amin Dadah ou de Hissène Habré ! A présent, le soleil, quelque peu honteux, laise émerger çà et là des démocraties formelles sur le continent. Je dis bien “formelles” car, contrairement aux dictatures pures et dures, la loi est, ici, appliquée mais…à sens unique. Vous avez du répondant financier ou politique ? On vous déroule le tapis rouge! Vous n’êtes qu’un pauvre diable ? Allez, au gnouf ! Quand viennent les élections, les programmes politiques servent juste à amuser la galerie: le dernier mot revient aux cargaisons de pagnes, de pain et de mil. Quant aux suffrages exprimés, ils n’ont aucune importance: seul compte l’Arrêt des juges constitutionnels qui investissent le candidat qu’ils veulent. Le professeur Paul Yao Ndré ne me démentira pas : cet ancien président de la Cour Constitutionnelle ivoirienne a trouvé les moyens juridiques de déclarer Gbagbo élu puis, une guerre plus tard, de prononcer la victoire de Ouattara. L’opposition tropicale peut hurler à loisir, personne ne l’écoute : tout le monde cherche à manger. D’ailleurs, si elle arrive au pouvoir, elle ne changera rien aux vieilles habitudes de gouvernement. Pourquoi changer quand le soleil ne change pas ?
Tiékorobani