Yuweri Museveni, le président ougandais, vient de faire une confession de taille. Interrogé sur les raisons de sa candidature à la prochaine présidentielle, il répond sans ambages: “J’ai planté une bananeraie; maintenant qu’elle commence à produire des fruits, je ne peux l’abandonner !”. Oui, oui, vous avez bien lu: aux yeux du grand chef, l’Ouganda est une bananeraie et les Ougandais des bananiers. Il a des raisons de penser ce qu’il pense: ne gouverne-t-il pas sans sécousse ses gentilles plantes humaines depuis 1986 ? Quelle République bananière !
Robert Mugabe, le président Zimbabwéen, n’a pas, à 91 ans, la faiblesse de prendre ses chers compatriotes pour des bananiers. Premier Ministre de 1980 à 1987, il dirige le pays depuis cette dernière date. Soit, au total, 36 ans de pouvoir. Voilà qu’on appelle faire de vieux os au sommet! Pour autant, l’ancien chef de guerre refuse de passer la main. Accepera-t-il, au moins, de mourir un jour ?
L’alternance, Mugabe et Museveni ne sont pas seuls à la détester. Ils ont un excellent disciple en la personne de Yahya Jammeh. Depuis son putsch du 22 juillet 1994, ce semi-lettré enserre les Gambiens dans une poigne d’acier. Quiconque le regarde de travers est pendu haut et court.S’étant auto-décrété médecin, le tyran, qui dit tenir ses dons du ciel, propose des potions censées guérir le sida. Ne vous avisez surtout pas à rire de ces sachets de charlatan: vous finirez au poteau d’exécution! Aux dernières nouvelles, le guérisseur-président a proclamé le califat islamique en Gambie…
Abdelaziz Bouteflika, le chef d’Etat algérien, n’a pas les lubies de Jammeh, mais il partage avec celui-ci la ferme détermination de mourir sous les lambris dorés. Elu en 1999, Bouteflika n’a plus laissé à personne d’autre le soin de siéger au palais d’El-Mouradia. Son fauteuil, il le garde jalousement pour lui tout seul, même si, ces dernières années, ledit fauteuil est devenu… roulant. A la dernière présidentielle, Bouteflika, malade, a battu campagne du fond de son lit, ce qui, bien sûr, ne l’a pas empêché de terrasser les candidats qui marchent gaillardement sur leurs deux jambes. Un record mondial!
Le Camerounais Paul Biya n’a pas, pour sa part, de soucis de santé. A 83 ans, il se porte comme un charme. Par la vertu d’une carrière en or massif ? En 1962 déjà, le compère est chargé de mission auprès du président Ahidjo qui le nomme ministre-Secrétaire général de la Présidence en 1968, puis Premier Ministre en 1975. C’est de la primature que Biya accède à la magistrature suprême en 1982. Dans les hautes sphères de l’Etat, il aura passé à ce jour 54 ans. Une véritable pièce de musée! Et la belle vie continue car l’intéressé, qui a jeté en prison tous ceux qui lui font de l’ombre (y compris son ancien chef, feu Ahijo!), s’apprête à rempiler en 2018. Au cours son millénaire séjour au pouvoir, Biya a nommé 270 ministres en 33 rémaniements. Rien que ça! Naturellement, il est si usé par le pouvoir qu’il ne tient plus de conseil des ministres, faisant transmettre ses ordres par le Secrétaire Général de la Présidence qui, chaque fois que les choses tournent mal, atterrit en prison. Le poste de Secrétaire Général de la Présidence a ainsi acquis, au Cameroun, la réputation d’attirer la merde. Sur les 15 personnes qui l’ont occupé sous Biya, une bonne moitié a fini en taule ou dans un cercueil: Titus Edzoa (écroué pendant 14 ans), Atangana Mebara (écroué en 2006), Paul Tessa (décédé), Ferdinand Oyono (décédé)…
Autre dinosaure à blanchir sous le harnais présidentiel: le Tchadien Idriss Déby. Le 2 décembre 1990, avec l’appui de la France, il chasse du pouvoir son ex-frère d’armes, Hissène Habré, puis se fait “élire” président le 28 février 1991. Depuis qu’il a transformé, à partir de 2013, son armée en force anti-jihadiste pour le plus grand bonheur de ses parrains occidentaux, nul n’ose lui parler d’alternance, pas même les Français et les Américains qui adorent prodiguer des leçons de démocratie…
Le Congolais Denis Sassou Nguesso ne s’amusera plus, quant à lui, à quitter le pouvoir. L’ayant exercé pendant 13 ans (1979 -1992), il s’incline face au vent démocratique qui, dans les années 90, a soufflé sur le continent et porté au pouvoir Pascal Lissouba. Mais voilà: Lissouba a le malheur d’aller provoquer le vieux retraité qui, avec l’appui de mercenaires angolais, reconquiert le palais en 1997. “J’y suis, j’y reste”: telle est désormais la dévise de Sassou qui vient de réussir, au petit trot, un référendum l’autorisant à briguer à nouveau les suffrages de ses compatriotes.
Paul Kagamé, le président rwandais, est plutôt le type du despote éclairé. Sa gouvernance l’emporte en qualité sur celle de ses pairs susvisés, mais lui non plus n’aime pas qu’on vienne brouter dans son jardin. Parvenu au pouvoir en 2000, il vient de faire adopter, comme lettre à la poste, une loi l’autorisant à rester au pouvoir jusqu’en 2034, s’il le souhaite. Or, en l’état actuel des présages, ces souhaits sont connus…
La race des présidents à vie ne s’éteindra sûrement pas par la faute de José Eduardo Dos Santos.
En poste depuis 1979 (l’époque du déluge universel, tiens!), monsieur le Président entend bien poursuivre sa lourde et exaltante de construction nationale.Nul ne l’interrompra car, depuis belle lurette, Dos Santos a envoyé à quatre mètres sous terre son principal rival: Jonas Savimbi.
Comme un livre de 1000 pages n’y suffirait, je boucle ma liste avec l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema Mbasogo.En 1969, ce militaire reçoit de son oncle, le président Francisco Macías Nguema, le commandement des régions militaires de la capitale. En 1970, l’oncle le nomme ministre de la Défense. Obiang renverse le charitable oncle en 1979. À ce jour, il est le plus ancien chef d’État africain en exercice.Il trouve au pouvoir un si bon goût qu’il songe à le céder à son fils, Teodoro Nguema Mangué. Problème: le fiston dort dans la bouteille et dans la poudre blanche. Arrêté en 2001 aux États-Unis pour trafic de drogue, il ne doit son salut qu’à son immunité diplomatique.Il rentre alors au bercail, non pour passer en cour martiale, mais pour devenir… ministre du Pétrole. Obiang père n’est peut-être pas narco-trafiquant, mais en février 1997, l’International Narcotics Board classe son pays parmi les 9 narco-États africains. En août 1997, La Dépêche internationale des drogues, publiée par l’Observatoire géopolitique des drogues de Paris, écrit: “Depuis 1988, une dizaine de diplomates ou membres de la famille présidentielle ont été arrêtés à cause du trafic de drogues dans différents pays.”. Les limiers du Los Angeles Times ont, par ailleurs, découvert que plusieurs compagnies pétrolières américaines payaient des revenus sur un compte ouvert, sous le contrôle d’Obiang, à la Riggs Bank de Washington. Solde du compte: 300 millions de dollars (150 milliards FCFA). Le magazine américain Forbes assure qu’Obiang, qui fut communiste dans une autre vie, possède une fortune de 600 millions de dollars (300 milliards FCFA). Toutes choses qui conduisent, le 18 juin 2007, le parquet de Paris à ouvrir contre le président une enquête pour “recel de détournement de fonds publics”. En mai 2009, le parquet espagnol faut de même. Obiang n’en a cure. Quand on dirige un Etat, on n’a que faire des petits juges…
La drogue du pouvoir
Pourquoi des individus qui n’étaient rien et qui sont ensuite devenus chefs d’Etat se croient-ils irremplaçables ? J’y vois les explications suivantes:
* Le pouvoir est une drogue dont on ne se passe plus après l’avoir goûtée et qui fait vite oublier que des personnages tout-puissants comme Hitler, Staline, Mao ou Sékou Touré ne sont plus que de malheureux ossements rongés par les vers.
* L’Afrique fut longtemps dirigé par des rois dont le pouvoir n’avait aucune limite de durée. Le président, monarque des temps modernes, incline, de façon presque génétique, à les imiter. D’autant que sur le continent, les contre-pouvoirs légaux servent juste à maquiller la toute-puissance de l’Exécutif.* Les fastes et les flonflons du pouvoir font de son titulaire un demi-dieu qui en arrive à croire qu’il a créé ses concitoyens. A preuve, Museveni prend les Ougandais pour des “bananiers” qu’il a plantés; quant à Khaddafi, il traitait ses compatriotes de “rats”. A la place de Khaddafi et de Museveni, céderiez-vous le pouvoir à de vulgaires rongeurs ?
* Le complexe de supériorité du chef d’Etat est le gagne-pain des griots et autres masseurs de pieds qui chantent sur les toits, surtout à la télé, les interminables titres de leur mentor: Président de la République, Chef de l’Etat, Chef Suprême des Armées, Premier Magistrat, Père de la Nation…
* Le pouvoir est le seul métier où l’on entasse milliards sur milliards en dormant sur ses deux oreilles. C’est aussi le royaume des délices (lire en page 4). Pourquoi, dès lors, le quitter pour aller trimer comme un forçat?
* A force d’être obéi au doigt et à l’oeil et de tenir le sort de millions de gens entre ses mains, le président, promoteur des lois, estime qu’elles ne s’appliquent qu’aux autres. D’où un sentiment d’impunité qui grandit au fur et à mesure que les crimes se multiplient. Au reste, quitter le palais revient souvent à emprunter le chemin du tribunal où siègent des juges de la catégorie de Paul Yao Ndré. Alors qu’il préside le Conseil constitutionnel ivoirien, ce professeur de droit qui a dû prendre ses cours dans la lagune Ebrié, trouve, en effet, le moyen de proclamer la victoire électorale de Laurent Gbagbo en annulant tous les votes du nord. Après l’arrestation de Gbagbo, quelques semaines plus tard, le même Yao Ndré déclare élu le candidat rival, Ouattara. Les pièces invoquées par Yao Ndré au soutien de son dernier verdict ? Des procès-verbaux de réunions de la CEDEAO et des communiqués de presse de l’Union Africaine !
Tiékorobani