Au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta a nommé l’un de ses proches à la tête du tout nouveau ministère de la Réconciliation nationale et du développement des régions du Nord. Il s’agit du diplomate Cheick Oumar Diarrah, qui a été notamment ambassadeur du Mali à Washington et qui répond aux questions de Christophe Boisbouvier.
RFI : « Il nous appartient de forger une paix durable, fondée sur la confiance entre toutes les composantes de la nation », dit le président Ibrahim Boubacar Keïta. Depuis deux ans, cette confiance est rompue entre le Sud et le Nord. Comment allez-vous la restaurer ?
Cheick Oumar Diarrah : En y travaillant quotidiennement sans relâche. Nous allons tout faire pour recoudre le tissu social malien. Nous avons une répétition cyclique de la crise dans le Nord du Mali et il nous faut désormais prendre en charge ce dossier avec détermination, pour pouvoir aller de l’avant.
Vous êtes ministre de la Réconciliation nationale et du Développement des régions du Nord. Plusieurs élus touaregs s’inquiètent et craignent que le mot «développement» ne limite vos compétences à l’économie. Aurez-vous une marge de manœuvre sur le plan politique ?
La réconciliation nationale est un enjeu politique fondamental. Et donc nous ne serons pas limités sur le plan politique. On ne peut pas réconcilier sans faire de la politique. Et il y a deux volets importants : le volet politique et le volet développement. Il s’agit de sortir de l’état de pauvreté que nous connaissons dans le Nord du Mali, de faire en sorte que les gens disposent d’énergie. Il ne peut pas y avoir de développement sans énergie. Il faut de l’électricité à Gao, Kidal et Tombouctou. Il faut qu’il y ait des infrastructures pour produire cette électricité localement, il faut désenclaver cette région. Avec l’Algérie, nous pouvons mettre en place un grand couloir vers la Méditerranée, ce qui va nous permettre de réduire considérablement les délais d’acheminement des biens et marchandises vers le Mali. Il faut désenclaver en allant vers le Niger, vers la Mauritanie, etc.
Sur le plan politique, peut-on envisager une autonomie pour les régions du Nord ?
Nous allons organiser les Etats généraux de la décentralisation dans un délai d’un mois, pour pouvoir forger les réformes institutionnelles que nous pouvons mettre en œuvre dans les trois régions du Nord et sur l’ensemble du territoire national. Bien sûr, le niveau central interviendra, mais nous allons transférer des compétences économiques, culturelles, sociales, au plan local.
Vous avez été ambassadeur à Washington, aux Etats-Unis, en Ethiopie. La Fédération ça marche, pourquoi ne pas essayer au Mali ?
Nous allons trouver la formule la mieux adaptée au contexte malien sans imiter d’autres pays.
Vous préférez la décentralisation au fédéralisme ?
La décentralisation est ce qui apparaît dans l’immédiat comme étant ce qui peut être adapté au contexte malien.
En 1992, le pacte de l’époque était déjà fondé sur une décentralisation et pourtant ça n’a pas marché. Est-ce que vous ne craignez pas ce que vous appelez « une répétition cyclique des échecs et des guerres » ?
Non, parce que cette fois-ci nous avons tiré les enseignements de l’échec de tous les processus écoulés. Nous n’avons pas le droit de répéter les mêmes erreurs.
Quelles erreurs ?
C’est d’avoir fixé des objectifs qu’on ne pouvait pas atteindre, compte tenu des moyens dont on disposait. C’est d’avoir été naïfs, par rapport à certaines situations, par exemple le désengagement des forces armées de sécurité de l’ensemble des régions du Nord.
Pour cicatriser les plaies, plusieurs responsables du Nord demandent l’amnistie en faveur des chefs rebelles de 2012. Est-ce que vous y êtes favorable ?
Nous avons en chantier d’organiser les assises nationales du Nord et il n’y aura pas d’impunité. Nous ne pouvons pas faire passer aux pertes et profits les crimes odieux qui ont été commis dans le nord du pays. Si les gens restent impunis et ils vont reprendre les mêmes habitudes.
Ces assises nationales du Nord vont s’ouvrir quand ?
Dans deux mois. Les Etats généraux auront lieu dans un délai d’un mois. Et la commission Dialogue Vérité et Réconciliation se rendra dans les camps de réfugiés, dans toutes les régions du Nord, pour discuter avec les uns et les autres, dans des séries de conférences préparatoires. Et après cela, nous allons organiser les assises nationales dans un délai de deux mois.
Et si Iyad Ag Ghali est toujours vivant et s’il frappe à la porte, qu’est-ce que vous répondrez ?
Je ne fais pas de la science-fiction. Je ne sais pas s’il est vivant ou pas, je ne sais pas s’il frappera à la porte. Pour moi, il est aujourd’hui sur la liste des personnes recherchées au plan international, il est sur la liste des terroristes des Nations unies, donc son problème n’est même plus malien. C’est un problème international.
Comptez-vous sur vos seules forces maliennes ou attendez-vous un soutien des pays voisins ?
Nous attendons un soutien de tous les pays amis du Mali, à commencer par les pays voisins dont le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, les pays membres de la Cédéao, les pays du centre, l’Algérie, le Niger, la Mauritanie, les pays extracontinentaux, la France, l’Union européenne, les Etats-Unis. Nous comptons sur tous ceux qui veulent aider le Mali à trouver une solution durable et définitive à la crise dont nous entrevoyons maintenant la solution.
Par Christophe Boisbouvier / RFI