Cheick Keita, président de l’UDA à cœur ouvert : ” Le Mali peut vaciller, mais le Mali ne s’écroulera jamais”

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Colonel Cheick Keita,
Colonel Cheick Keita,

    Après la signature de l’accord préliminaire de Ouagadougou et face aux désormais défis qui se posent à notre pays, nous avons approché un spécialiste des questions politiques, économiques et sociales de notre, le Président de l’Union pour la Démocratie et l’Alternance (UDA). Le Président Cheick Kéïta a bien voulu répondre à toutes nos questions, sans détour. Lisez !

 
 LES DEFIS A RELEVER SONT NOMBREUX. SELON VOUS QUELLES SONT CES ENJEUX ?

Longtemps cité en modèle de par son histoire et sa volonté d’opter pour un régime démocratique garant de développement économique et social, le MALI se trouve aujourd’hui confronté à de graves difficultés : la remise en cause de sa souveraineté et de son intégrité territoriale, l’éducation nationale en mauvaise posture, la santé en grande souffrance, les infrastructures en mauvais état, la société civile laminée, etc, etc…

Face à cette triste réalité et en écho au message des pères fondateurs ”  le Mali peut vaciller, mais le Mali ne s’écroulera jamais “.

Ce ” jamais ” vient coïncider aujourd’hui avec l’élection et son corollaire de légitimité grâce à la participation massive et citoyenne. Cette élection, en dépit des circonstances graves et du délai court, sera pour les Maliens l’occasion de se ressaisir, de prendre un temps de réflexion et de constat pour faire le bon choix. Le choix d’un homme qui incarne le renouveau, la confiance et capable de fédérer les Maliens autour de grands projets pour des lendemains meilleurs.

Le chômage, les inégalités sociales, l’éducation, le logement, la santé, la justice, le développement durable et la liste est loin d’être exhaustive, sont autant d’enjeux sur lesquels j’entends mener un combat sans merci grâce à vous.

Il n’y a aucune fatalité car le Mali peut se reconstruire si les Maliens en ont le courage, si les Maliens ont confiance les uns en les autres. Pour cela, il faut tracer des voies claires.

Parmi ces voies sont avant tout celles de la Justice et de la liberté. Les Maliens sont des hommes libres et c’est à eux de les rester en veillant à ce que la loi ne définisse que des règles essentielles de justice commune et compréhensibles par tous.

Il faut maintenant que l’on rende confiance au peuple dans sa justice. Ceci impose de moraliser la vie publique et de garantir aux magistrats une réelle indépendance.

De même, la démocratie ne peut demeurer vivante et proche de chacun que si les syndicats et les associations conservent leur autonomie.

La justice sociale est redevenue un enjeu essentiel au Mali car de nos jours, la voie de l’ascension sociale est bloquée pour trop de nos compatriotes.  Loin de moi l’idée que nous devons tous être identiques, mais que chaque Malien bénéficie du minimum nécessaire pour garantir sa dignité d’être humain et des chances lui permettant d’exprimer ce qu’il a de meilleur en lui.

Ce n’est pas en opposant les Maliens les uns aux autres que l’on bâtira un avenir meilleur. L’identité nationale est une belle ambition. Elle se conçoit comme un projet commun en faveur des valeurs républicaines de l’Adrar des Iforas à la Tambaoura, du Hod au Kénédougou.

Une des valeurs qui fait notre fierté et pour laquelle notre pays a été attaqué par des hordes sauvages est  la laïcité qu’il faut défendre contre vents et marées. Parce que la laïcité peut garantir la diversité des opinions et des croyances. Parce que l’esprit de tolérance permet d’accepter les différences.

Notre peuple a compris avec lucidité que la crise ne vient pas d’ailleurs, qu’elle vient de chez nous, de mauvaises décisions accumulées au travers du temps, de facilités trop longtemps consenties, de démagogies multipliées, du refus du citoyen de montrer sa différence par l’action  concrète, l’incapacité de certains hommes politiques à défendre leur idéal. Oui notre peuple a aussi compris que la crise est née de la démocratie dite consensuelle et qu’elle est en même temps la raison de l’échec  de cette démocratie.

 

POUR VOUS, QU’EST-CE QUE LA BONNE GOUVERNANCE DU PAYS ?
Le  redressement de notre pays  commencera par l’instauration de la bonne gouvernance basée sur le Développement Institutionnel et  le Renforcement Organisationnel de l’Etat.
La représentation politique au Mali, le Système politique, l’équilibre des pouvoirs de même que la liberté et la sécurité des partis politiques en plus de l’Indépendance et la crédibilité du processus électoral sont légèrement au-dessus du niveau de satisfaction.
Quant à l’efficacité institutionnelle (efficacité du pouvoir législatif,  du pouvoir judiciaire, du pouvoir exécutif) on est tout juste à une satisfaction moyenne, dans un contexte où l’efficacité de la gestion des structures étatiques, la transparence et la responsabilité de la fonction publique, l’efficacité des services publiques sont largement au-dessous de la moyenne.
Pour ce qui est de la question des droits de l’homme et de l’Etat de droit, la situation n’est pas aussi brillante, en tout cas elle est moins bonne que la gestion économique dont le niveau de satisfaction est moyen.

 
Il nous faut une Présidence impartiale puisque le Président inspire l’action politique et en garantit la concrétisation. Il a le devoir de fédérer, de représenter le peuple tout entier et  ne peut donc pas être un chef de parti.

 
Quant au Premier ministre il doit disposer de l’autonomie nécessaire pour définir les voies et moyens. Il remplit une mission de coordination ministérielle permanente, rehaussée par sa responsabilité politique devant l’Assemblée Nationale.
Il faut aussi renforcer les pouvoirs de l’Assemblée Nationale qui est le lieu du débat démocratique, de la confection des lois et du contrôle de l’action gouvernementale. A cet effet il y a lieu de créer une Autorité indépendante chargée de la vérification de l’application de la loi.
Dans le cadre de l’équilibre des institutions, tous les observateurs ont noté que les Maliens ont perdu confiance dans leurs institutions et dans leurs dirigeants. Ils sont sceptiques sur la capacité du pouvoir politique à changer le cours des choses, ils doutent de l’indépendance de leur justice et éprouvent un sentiment d’insécurité, dans leur emploi et dans leur vie quotidienne. Il faut sortir de ce climat dépressif, de défiance, y compris entre citoyens, qui pourrait devenir la règle, détruisant le socle du vivre ensemble.
Il faut  restaurer la confiance entre les citoyens et leurs représentants et dans ce cadre, il faut reconnaître le vote blanc, à toutes les élections, comme suffrage exprimé. Renforcer la règle de la parité hommes-femmes.
Le souci de la bonne gouvernance qui m’anime me pousse à proposer de rendre régulièrement compte aux Maliens des grands enjeux de notre pays, de l’Afrique et du monde.

 

QUELLE ANALYSE FAITES-VOUS DE LA DECENTRALISATION AU STADE ACTUEL ?
Le système national de décentralisation mis en place au Mali comprend plusieurs niveaux hiérarchiques avec au sommet, la Région, vaste, loin de la commune, et hétérogène, mais constituant un échelon intermédiaire très utile entre le niveau local (villages, fractions, cercles) et l’Etat. La Région selon moi, n’est pas la somme des systèmes sous régionaux (cercles, communes), sa problématique n’est pas une somme de problématiques partielles.
Toutefois, la Région doit être vue comme un système supérieur avec un fonctionnement spécifique, impliquant une nouvelle définition de la hiérarchie des contraintes et surtout des propositions d’actions.  Son importance réside dans le fait qu’elle représente un cadre réaliste pour démarrer effectivement des actions comme la planification décentralisée.
La Région ne peut jouer ce rôle que s’il est possible d’assurer la réalisation simultanée des cohérences partielles (sectorielles et spatiales) et des cohérences globales.
A ce sujet le Cercle est  le niveau qui  le permet car  il n’a ni une vocation régionale, ni une vocation locale. Cependant, en tant que niveau d’encadrement administratif, fiscal et sécuritaire, il  constitue le passage quasi obligatoire pour comptabiliser, analyser et comprendre les réalités locales et régionales.
Le cercle est de toute façon un cadre opérationnel d’application de politiques sectorielles, le passage nécessaire pour comptabiliser, analyser et comprendre les réalités locales et régionales.

 
Concernant la Commune, elle constitue  le niveau de mise des actions mais l’existence ou pas de capacités (planifier, programmer et budgétiser les actions) au sein des conseils communaux, influence considérablement leur développement.
Mon avis est que la Décentralisation est synonyme de participation citoyenne, c’est-à-dire l’accès du public à l’information sur l’environnement ; la participation du public au processus décisionnel ; l’accès du public à la justice.
Les appuis pour la bonne gouvernance dans les collectivités territoriales  ont été conduits par beaucoup d’intervenants dans la décentralisation et aux collectivités territoriales  mais avec des niveaux et des approches si disparates que l’apprentissage des collectivités territoriales  est très souvent compromis.

 
A cela s’ajoute la mauvaise interprétation de la responsabilité du développement local des communes freinant les élans des OP et associations villageoises dans leurs initiatives et de ce fait, la dimension démocratie locale reste encore le parent pauvre.
La décentralisation est restée une question d’élite en plus du fait qu’il y a eu un très faible travail d’information/communication avec la population puisque les élus ne vont pas à la rencontre des populations sur des sujets de fonds (bilan, projets concrets, etc.).
Le développement communal  est essentiellement un processus multi acteurs mais les rôles des différents acteurs semblent ne pas être claires pour tous  et très peu d’élus maîtrisant les textes et les questions de développement. Ils se mettent sous la coupe d’intervenants qui, la plupart du temps, ont seulement  une vision sectorielle des activités de développement de la commune.
La construction d’un idéal recherché pour la commune n’existe pas, si bien que les plans développement sont des outils de résolutions de problèmes et non de construction d’un avenir.

 
Et puis il y a le paradoxe des planifications ne prennent pas en compte l’amélioration des revenus des populations alors que la commune compte sur ces populations pour se développer.

 
Vous savez que le budget communal reste une affaire d’initiés. Il est encore comme un secret. La population qui est sollicitée à mettre la main à la poche pour ce budget ne sait pas ce que c’est et à quoi il est consacré.

 
Par ailleurs des règlements et accords locaux établis avant la décentralisation pour assurer le développement local  n’ont pas été pour la plus part réadaptés au contexte de décentralisation.

 
Dans le cadre de l’auto suivi évaluation du fonctionnement des communes par les acteurs, la redevabilité devrait guider cette pratique car elle permet d’avoir l’adhésion de tous mais aussi de corriger les erreurs dans le travail des élus.
En matière de développement local, les Programmes de Développement Economique Social et Culturel (PDESC) des communes,  des cercles et des régions, ne s’inscrivent  pas  dans une vision à long terme du développement accordant une grande place aux ressources locales des collectivités
QUE FAIRE ?
La décentralisation telle qu’elle est perçue et telle qu’elle s’exerce actuellement dans notre pays nécessite la tenue des Etats Généraux de la Décentralisation.
Propos recueillis par Mamadou BALLO

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