En août 2017, Amadou Thiam, un des responsables du Mouvement « An Tè, A Bana-Touche pas à ma Constitution », accordait une interview à L’Aube. Farouche opposant à la révision constitutionnelle, il n’hésitait pas à l’époque de fustiger ce projet qui, pour lui, « survient dans un contexte sécuritaire inquiétant… ». Aujourd’hui, le même Thiam, ministre en charge de la réforme, est chargé de conduire le même projet de révision. Les arguments de l’intéressé ont certes changé entre 2017 et 2019 pour des raisons d’intérêts personnels, mais le contexte sécuritaire s’est-il amélioré ? Extrait de cette interview publié dans L’Aube 913 du jeudi 10 août 2017.
Pourquoi vous vous opposez à ce projet de révision constitutionnelle ?
Tout d’abord parce que cette révision survient dans un contexte sécuritaire inquiétant. Aujourd’hui, des pans entiers du territoire malien échappent au contrôle de l’Etat. Le drapeau du Mali ne flotte pas à Kidal, il n’y a aucun sous-préfet dans les régions de Ténenkou et Youwarou. On nous parle d’insécurité résiduelle, de terrorisme… Les gens citent l’exemple de la France, de Nice, du Bataclan. Ce sont là des attaques contre des lieux, mais aucun endroit sur le territoire français n’a été occupé par des djihadistes de façon permanente. C’est ce que nous nous vivons au Mali. Il y a des zones comme Kidal, Youwarou, Ténenkou où les djihadistes sont encore présents. L’armée de l’Etat a été chassée. Il y a aucune sécurité dans ces zones. Aujourd’hui, l’Etat central est en train de travailler à négocier le cessez-le-feu entre les différents groupes armés qui s’affrontent encore à Ménaka, à Anéfis…
La constitution que le régime veut réviser dit en son article 118 (alinéa 3), qu’on ne peut pas organiser un scrutin référendaire quand une commune ou même un hameau échappe au contrôle de l’Etat. Le référendum est différent de l’élection présidentielle, parce que c’est dans le contexte du référendum qu’on parle de l’intégrité du territoire. Quand cette intégrité est atteinte, on ne peut engager une révision constitutionnelle. A la limite, il est dangereux de parler de referendum en ces temps qui courent et dans les conditions actuelles.
Aussi, faut-il le rappeler, la constitution de 1992 a été écrite avec le sang des Maliens et dans le consensus le plus total. 25 ans après, le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta veut réviser cette constitution sans consulter, de façons formelle et exhaustive, les forces vives de la nation, l’opposition politique et la société civile. Le texte proposé, qui a été fait par un expert français et un ministre malien, est tombé sur la table de l’Assemblée nationale sans aucune consultation au préalable. Pour nous, il faut revoir le processus, faire en sorte que les Maliens puissent dire leur mot.
Dans le fond, nous constatons que le projet de révision construit un hyper-président de la République avec des pouvoirs renforcés. Il y a également la question du Sénat dont le chef de l’Etat nomme le tiers. Alors qu’il convient que les membres du Sénat soient élus au suffrage universel direct comme il est le cas pour les députés. Si les sénateurs doivent contrôler l’action du gouvernement et voter des lois, alors qu’ils ont été choisis par le président, cela pose une problématique par rapport à la séparation des pouvoirs.
Egalement dans ce nouveau texte, il est donné la latitude au chef de l’Etat, avec son parlement, de pouvoir apporter des modifications à la constitution sans passer par le référendum. Cela est une grande fenêtre qui s’ouvre et qui peut amener le président et la classe politique à décider à la place des Maliens. Aujourd’hui, nous savons que nos institutions ne sont pas encore assez fortes pour s’opposer à certaines dérives qui peuvent émaner des pressions extérieures. Si nous ne prenons garde concernant cette ouverture dans la constitution, nous pouvons aller vers des extrêmes.
Avez-vous formellement saisi le président de la République qui est l’initiateur du projet de révision ?
Nous avons saisi le président de la République à deux reprises. La première lettre a été envoyée au lendemain du 11 juin, juste après la création de la plateforme. Dans cette lettre, nous avons nommé les griefs. Malheureusement, cette lettre est restée sans suite. Après, on a fait un rappel, en adressant une seconde lettre au chef de l’Etat. Celle-ci a même été publiée. Jusqu’à présent, le président de la République reste sourd aux revendications de la plateforme.
Comment interprétez-vous alors l’attitude d’IBK ?
Le comportement du président est étonnant et surtout inquiétant, vu tous les défis auxquels le Mali fait fasse. Aujourd’hui, la paix, l’unité nationale et la cohésion sociale sont plus que jamais menacées. Au lieu d’être un chef de l’Etat à l’écoute des Maliens, ce qui permet d’éviter beaucoup de choses, il reste sourd et n’accord vraiment pas d’importance à cette force qu’est la Plateforme qui regroupe des Maliens.
Depuis une semaine, le président a entrepris une série de consultations des forces vives. Est-ce que la Plateforme a été déjà approchée ?
Nous n’avons pas été conviés pour l’instant. Ceux qui ont été conviés à Koulouba ne sont pas réellement ceux qui s’opposent au référendum. Les opposants à ce projet sont dans la Plateforme « An Tè, A Bana. Touche pas à ma constitution !». Et aujourd’hui, nous assistons à l’émergence d’une nouvelle société civile. Il ne faut pas perdre cela de vue. Donc, il faudrait que le président s’attaque directement au problème. Cela lui permettra de gagner du temps.
Certains tenants du pouvoir vous accusent de vouloir déstabiliser le pays. Qu’en est-il ?
Depuis quatre ans, le président de la République est à la tête du pays, mais on ne s’est pas lever. Comprenez donc que ce n’est pas une question d’IBK, mais plutôt de projet de révision. Aujourd’hui, c’est autour de la question de référendum que sont regroupés les Maliens. En plus de ceux qui sont en train de lutter contre la révision de la constitution, il y a ceux qui dénoncent surtout le contenu. Ils pensent qu’il faut se lever et faire barrage à cette tentative qui mettrait en cause l’intégrité du territoire. Au-delà, je crois qu’il y a un malaise social créé par la mauvaise gouvernance du régime en place.
C’est d’ailleurs déplorable de penser que ceux qui sont contre la révision soient vus comme des ennemis du Mali. En le faisant, les tenants du pouvoir contribuent à installer la surenchère verbale et la haine qui amènent tous ce que nous connaissons en termes d’agressions.
La plateforme se mobilise pour le retrait de la constitution, mais nous avons avec nous le peuple. Les gens ont souvent diverses raisons de manifester. Ce qui est vrai, c’est qu’ils ne sont pas que contre la constitution, ils pensent aussi que la gouvernance actuelle n’est pas bonne. Il ne faut pas que les autorités se trompent d’’analyse. Il ne faudrait qu’elles pensent que ce sont les politiques qui instrumentalisent les gens. Ces populations se lèvent, puisqu’elles ne veulent plus accepter certaines dérives du pouvoir.
Le peuple exprime son opinion dans la rue. C’est pour ça que, lors de nos manifestations, certains demandent le départ du président. Cela n’engage pas forcement la plateforme, mais c’est indicateur du malaise actuel dans le pays.
Lors de votre Assemblée du lundi dernier, des intervenants ont demandé de passer à la vitesse supérieure pour que le président de la République retire le projet. Quel est votre avis ?
Le président de la République est supposé être le garant de la constitution. Mais en décidant d’aller au référendum, il viole lui-même la constitution de 1992. Aujourd’hui, il y a des membres de la plateforme qui n’exclus pas d’appliquer une disposition de cette même constitution qui est la désobéissance civile. La question est sur la table. Il y a aussi la question de l’ultimatum, au-delà duquel nous allons entreprendre d’autres actions constitutionnelles pour obtenir satisfaction. Beaucoup d’éventualités qui sont là sur la table du directoire de la plateforme « An Tè, A Bana. Touche pas à ma constitution !».