Ça aura été la croix et la bannière, mais le dernier obstacle pour la prise de fonction effective du chef de file de l’opposition a été levé le 2 mars dernier.
Le Conseil des ministres a adopté un projet de décret fixant la composition de son cabinet et les avantages accordés aux membres de ce cabinet. Mais, le processus est toujours incomplet dans la mesure où Soumaïla Cissé attend toujours qu’on lui notifie le décret par les voies régulières. En plus, l’opinion pense qu’IBK a juste offert de l’aumône à l’opposition en mettant à la disposition de son chef de file seulement quatre assistants, pour tout un groupe de partis. Autre entorse : Soumaïla ne nomme pas ses assistants. Sans oublier que le personnel d’appui lui sera envoyé par le gouvernement. Dernière interrogation de taille : Quel est le montant alloué à Soumaïla Cissé si l’on sait que les crédits nécessaires à la prise en charge du chef de l’opposition politique et de son cabinet sont inscrits au budget d’Etat, déjà voté ?
La boucle est bouclée dans le long processus qui mène à l’installation d’un chef de file de l’opposition politique au Mali. Le dernier acte a été pris par le conseil des ministres en sa session du mercredi 2 mardi 2016. Il s’agit du projet de décret fixant la composition du cabinet et les avantages accordés aux membres du cabinet du chef de file. Cet acte met fin à une longue et même très longue attente pour une initiative qui remonte à la campagne électorale de la Présidentielle 2013.
Cependant, Soumaïla Cissé n’est pas au bout de ses peines, si l’on sait que le fameux décret lui offre certes un cabinet, mais il le place quasiment sous tutelle d’un ministère. C’est comme donner à boire à quelqu’un tout en lui scotchant la bouche au préalable. Nous y reviendrons plus bas. Mais, nous semble-t-il nécessaire de rafraîchir la mémoire de nos lecteurs sur les péripéties de cette loi qui institue le chef de file de l’opposition politique.
Dur accouchement
Lors de la campagne présidentielle de 2013, chacun des candidats, Ibrahim Boubacar Kéita et Soumaïla Cissé, s’est engagé, une fois élu, à doter l’opposition malienne d’un véritable statut lui permettant d’assurer pleinement et dignement son rôle. Les deux se retrouvent au second tour, et IBK est élu face à son challenger avec plus de 77%.
Pour une fois, le président élu tient sa promesse de campagne. Parce que six mois seulement après son investiture, il engage le processus qui mène à l’adoption de cette loi. En moins de dix mois, on est passé de la phase de consultation à l’adoption de la loi, jusqu’à la prise du décret de nomination.
En effet, après l’installation du bureau de l’Assemblée en janvier 2014, une délégation des partis de l’opposition parlementaire (Urd, Parena, Prvm-Fasoko) est reçue, en mars 2014, par le Premier ministre de l’époque, Oumar Tatam Ly. Celui-ci suggère à ses interlocuteurs de lui faire parvenir des propositions d’amélioration de la loi n° 00-047 du 13 juillet 2000 portant Statut de l’opposition qui abrogeait et remplaçait la loi n° 95-073 du 15 septembre 1995.
Ce souci du Premier ministre est motivé par le fait que l’application de la loi n° 00-047 a révélé assez d’insuffisances qu’il fallait corriger.
Quelques jours plus tard, Tatam Ly reçoit les propositions de l’opposition, mais il démissionne du gouvernement peu de temps après.
Nommé le 04 avril, le nouveau Premier ministre, Moussa Mara reçoit sur son bureau, le même mois, les mêmes propositions venant de l’opposition.
Le 13 août 2014, le conseil des ministres adopte le projet de loi sur le Statut de l’opposition. Celui-ci est adopté par l’Assemblée nationale le 19 février 2015.
La loi a été votée par 140 voix pour et 6 voix contre, et, par la suite, promulguée par le président de la République le 4 mars 2015 sous le n° 2015-007.
Du point de vue des avantages, le chef de l’opposition politique est assimilé au Premier vice-président de l’Assemblée nationale. Il a un cabinet dont la composition, les modalités d’organisation, de fonctionnement et les avantages sont ceux du cabinet du Premier vice-président de l’Assemblée nationale. Les crédits nécessaires à la prise en charge du chef de l’opposition politique et de son cabinet sont inscrits au budget d’Etat.
Le Président de la République ou le Premier ministre peut consulter le chef de l’opposition sur des questions d’intérêt national ou de politique étrangère.
A sa demande, le chef de l’Opposition politique peut être reçu en audience par le président de la République ou le Premier ministre sur des questions d’intérêt national. Des missions peuvent lui être confiées.
Le 28 mars 2015, le président de l’Urd, l’honorable Soumaïla Cissé (élu à Niafunké dès le 1er tour) est désigné chef de file de l’opposition par son parti, ayant le plus grand nombre d’élus (17) à l’Assemblée nationale parmi les partis de l’opposition.
Le 10 juin 2015, le président de la République le nomme officiellement comme tel, honorant du coup pleinement son engagement.
Et le décret tomba
Ce décret de nomination du président est le premier des deux décrets édictés dans la loi sur le Statut de l’opposition pour la prise de fonction effective du chef de file.
Le deuxième décret est celui fixant la composition du cabinet de l’opposition et ses avantages, ainsi que ceux des membres de son cabinet. C’est un décret pris en conseil des ministres, donc par le gouvernement. Il a mis beaucoup de temps à être adopté. A plusieurs reprises, l’opposition a attiré l’attention du Premier ministre et du président de la République sur la question. Et, c’est ce fameux décret, attendu depuis juin 2015, qui tomba il y a environ deux semaines.
Le conseil des ministres du 02 mars 2016 qui l’a adopté stipule : « Le statut de l’opposition politique est consacré par la Loi n°2015-007 du 04 mars 2015 qui institue un chef de file de l’opposition politique ayant pour vocation de suivre l’action gouvernementale et de la critiquer de façon objective et constructive dans le sens du renforcement de l’idéal démocratique et du progrès…
Il prévoit la mise à la disposition du chef de file de l’opposition politique d’un cabinet composé de quatre (04) assistants, d’un attaché de cabinet et d’un secrétaire particulier dont les avantages sont respectivement ceux de chargés de mission, d’attaché de cabinet et de secrétaire particulier des cabinets ministériels.
Il prévoit, en outre, la mise à la disposition du chef de file de l’opposition politique, d’un personnel d’appui.
Il précise, enfin, les modes de nomination des membres du cabinet du chef de file de l’opposition politique ».
Mais, le hic, c’est que Soumaïla Cissé, le principal intéressé, n’est toujours pas (officiellement) au courant de cette décision. « Rien ne m’a encore été notifié », a-t-il révélé samedi à Mopti au cours de la conférence régionale de l’Urd. « Je l’ai appris comme tout le monde, dans les médias. Je n’ai été ni associé, ni même consulté», a-t-il poursuivi ; avant de conclure que « nous attendons la suite ».
Mais d’ores et déjà, le projet de décret renferme beaucoup de lacunes. D’abord, le nombre très restreint d’assistants peut handicaper la bonne marche du cabinet et créer des frustrations au sein de l’opposition politique qui compte beaucoup de partis, à commencer par l’opposition parlementaire (Urd, Parena, Prvm-Fasoko) et d’autres partis comme les Fare An ka Wuli, Pdes, Pids, PS Yeelen Kura.
Ensuite, le chef de file de l’opposition ne peut pas nommer ses assistants. Ceux-ci sont nommés en conseil des ministres, sans doute par le ministre en charge des relations avec les institutions. Pourquoi le placer sous la tutelle d’un ministre ? La question mérite d’autant plus d’être posée que les principaux interlocuteurs du chef de file de l’opposition sont, non pas les ministres, mais le président de la République et le Premier ministre.
En outre, c’est le même ministre (de tutelle) qui met à sa disposition un personnel d’appui : chauffeurs, plantons et autres. Dans quel but ? Pour l’espionner sans doute.
Enfin, quel est le budget alloué au chef de file de l’opposition politique ? Nul ne le sait, sauf que la loi dit que « les crédits nécessaires à la prise en charge du chef de l’opposition politique et de son cabinet sont inscrits au budget d’Etat ». Comme pour dire qu’IBK a rempli la bouche de Soumaïla de couscous sec…
Sékou Tamboura