Il faut remonter peut-être au début des années 60, notamment au Sénégal où Senghor et Dia se livraient à un combat à mort, pour rencontrer l’équivalent de ce qui s’est produit au Niger le jeudi dernier. Encore que. Un gouvernement africain qui tombe suite à une motion de censure est un fait suffisamment rare pour qu’on s’y attarde.
Au dépôt de la motion de censure contre le gouvernement du Premier ministre Hamma Amadou en cette journée du samedi 26 mai, aucun observateur sérieux ne pouvait accorder la moindre chance à la démarche de l’opposition nigérienne qui ne comptait que 25 députés sur les 113 de l’Assemblée nationale. Et pourtant, l’improbable, pour reprendre les termes du Premier ministre sorti, s’est produit. Après plusieurs manoeuvres dilatoires qui consistaient à gagner du temps et peut-être même à décourager l’opposition, la motion a été finalement examinée avec pour conséquence la défection d’une frange décisive, 37 députés, des 88 élus qui constituaient la majorité.rn
C’est que les faits étaient suffisamment graves : détournement de fonds importants au niveau du ministère de l’Education de Base, gestion des affaires publiques marquée par la corruption, obstruction à la Justice. On aurait dit qu’on parle du Mali. Il faut rappeler que le scandale en question avait déjà engendré l’inculpation de plusieurs personnes dont des ministres et des journalistes (ceux qui avaient révélé l’affaire). C’en était visiblement trop pour exiger des comptes et peut-être donner un bon coup de pied dans la fourmilière, surtout que de l’avis de beaucoup de Nigériens les ministres inculpés n’étaient que des fusibles bénéficiant de la protection du chef du gouvernement.
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Convaincus que le Premier ministre Hamma Amadou, président du parti majoritaire, était quasi intouchable (il comptait 7 ans d’affilée à la Primature, se faisait passer pour le successeur naturel du Président Tanja mis à la touche) et que le Président ne pouvait rien contre lui, les députés de l’opposition ont actionné le levier de la motion de censure qui se trouve à leur disposition. Avec le résultat inespéré qu’on sait. « La démocratie vient de s’exprimer. Je félicite l’opposition qui a fait un travail de main de maître. La chose la plus improbable dans une majorité de 88 députés vient de se produire » a déclaré l’infortuné Premier ministre. La chute de Hamma Amadou soulage quelque peu le Président qui ne serait pas totalement étranger à ce qui s’est produit. Tanja aurait ainsi trouvé le moyen de se débarrasser de quelqu’un dont l’opinion nigérienne ne pleure pas le départ à cause de son arrogance supposée et de son comportement dictatorial.
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La motion de censure de l’opposition nigérienne et le succès qu’elle a connu prouvent bien que le Niger est le laboratoire de la démocratie africaine qu’on dit de lui. On se rappelle que c’est dans ce pays que l’Afrique a assisté à l’expérimentation de la cohabitation alors même que la démocratie n’était qu’à ses débuts. La suite fut certes dramatique et même tragique, mais les Nigériens en ont tiré les leçons, les Africains avec eux, et avancent sur le chemin d’un meilleur ancrage démocratique. La chute du gouvernement par le fait des représentants du peuple constitue une autre étape qui doit interpeller les représentants de tous les peuples sur le continent.
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On ne peut pas comploter sur le dos du peuple indéfiniment, on ne peut pas ériger la corruption en mode de gestion impunément, en comptant sur sa majorité pour éviter un retour de manivelle. « Une majorité aussi énorme soit-elle, si elle manque d’âme ne peut que s’écrouler » a déclaré sentencieux le malheureux Hamma Amadou. Une déclaration à méditer partout et particulièrement chez nous par ces temps d’élection où tout semble bon pour gagner et se constituer une majorité. Parce que comme le dirait l’autre, « en politique, ce qui arrive le plus souvent, c’est l’imprévisible ». Le Niger vient d’en fournir la preuve.
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Damouré Cissé
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Nouvelle Republique du 7 juin 2007
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