L’ORTM s’est livré au traditionnel exercice du bilan de l’AN I. Le journaliste Mohamed Diarra qui a été dédié à cette tâche ramait pour trouver du positif au point qu’il avait même perdu son fil conducteur. Avant lui, d’autres confrères s’étaient essayés au même exercice. Sans plus de résultat. L’exercice fut laborieux et sans doute fastidieux. Nous allons nous y coller à notre tour, espérant un bien meilleur résultat.
Le 22 avril 2019, le Président de la République nommait Boubou Cissé Premier ministre suite à la démission de Soumeylou Boubèye Maïga. Ils n’étaient pas nombreux à parier sur les chances de réussite de ce jeune homme, malgré sa longévité dans les gouvernements successifs depuis 2013. La formation du gouvernement allait leur donner raison. Il aura fallu deux semaines pour que le Premier ministre puisse former son gouvernement ; un gouvernement XXL de 36 ministres et deux Secrétaires d’Etat. Un record. Il est vrai qu’avec la signature de l’Accord politique de gouvernance, il fallait élargir le gouvernement au-delà des lignes traditionnelles et accueillir des opposants qu’on pensait irréductibles.
« Dja blindé té, carton do » (ce ne sont pas des blindés, ce sont des cartons). Tout le monde se rappelle de cette exclamation de l’imam Mahmoud Dicko lors d’un meeting organisé sous forme de piqûre de rappel. Dans un art oratoire qu’il maîtrise à souhait, celui qui se présente désormais comme l’oncle et le père du Premier ministre Boubou Cissé, touchait du doigts un scandale que les auteurs pensent avoir enterré alors même qu’il ressemble à une bombe à retardement. Il s’agit de l’achat de 100 blindés à Abu Dhabi (compte non tenu de la trentaine de blindés offerts gracieusement) dont une quinzaine ont montré des avaries et divers manquements au cahier de charge. C’est la hiérarchie militaire qui a découvert le pot aux roses, d’où l’expression « les blindés en carton ». Boubou Cissé s’y est trouvé impliqué au double titre de Premier ministre et de ministre de l’Economie et des Finances. Et là où la pilule a eu du mal à passer, c’est quand le montant de la transaction a été dévoilée par certains confrères de la place : 100 milliards pour les 100 blindés, soit 1 milliard l’unité. Comme dirait l’autre, c’est quand même un peu fort du café. Mais ce n’est pas le but de cet article. Nous aurons le temps d’y revenir.
Le cahier de charges du Premier ministre était tout aussi simple que compliqué. Il fallait ramener la paix au nord et la paix au Centre du pays. On avait pensé qu’en incluant certains agitateurs professionnels dans le gouvernement, dont certains à des postes régaliens, on pouvait baisser la température sociale. Cela a marché quelques mois. Mais il y a des problèmes que des entreprises de séduction et de communication ne sauraient résoudre à elles seules. Il en est du problème scolaire. Le Premier ministre avait réussi le tour de force de signer une sorte de trêve des confiseurs. C’était tellement inespéré que le Président de la République s’était joint à la sympathique cérémonie de rupture du jeûne qui devait sceller la paix des braves. Mais après les youyous de joie, la réalité a fini par resurgir : les problèmes d’argent, il n’y a que l’argent pour les résoudre. Et ce qui devait arriver arriva : depuis novembre, il n’y a pas eu de classe. Le Covid 19 est juste venu compliquer une situation qui n’en demandait pas tant.
1000 morts en un trimestre au Centre
Ceux quoi avaient organisé des marches pour demander la démission du Premier ministre Soumeylou Boubèye Maïga, en plus de l’école, avaient en bandoulière la situation au Centre de pays. Tels des nécrophages, ils tenaient le compte des morts, civils et militaires tout en excitant les foules. Et de promettre que le calme allait revenir, comme par magie, dès que Soumeylou aurait été défenestré. La défenestration a lieu, mais on attend toujours le retour de la paix. Le Premier ministre Boubou Cissé a fait quelques tours au Centre ; il a même pu étreindre quelques foyers de tensions. Mais de toute évidence, ce n’est pas suffisant. Les massacres continuent tous les jours avec une intensité jamais égalée. Et le plus grave dans l’affaire, c’est que cela se passe dans un silence de cimetières. Selon l’ACLED, une organisation non gouvernementale spécialisée dans la collecte, l’analyse et la cartographie des données de conflits, le conflit armé au Centre du Mali a fait, de janvier 2020 au 15 avril 2020, 1000 morts. On n’a entendu personne pour dire que c’est faux. Tout comme on n’a entendu aucun champion de la bien-pensante condamner ces massacres à huis clos.
Bien avant la nomination de Boubou Cissé à la Primature, le Mali vivait sous état d’urgence. Cela devait permettre à l’État de bien appréhender certaines situations et au besoin de ne pas s’encombrer des lourdeurs administratives qu’imposent les situations normales. Les urgences se sont accumulées sous Boubou Cissé. Les Maliens n’avaient pas besoin du Covid 19 pour voir la morosité frapper à toutes les portes. Au marasme économique pourrait s’ajouter une crise financière. Et pourtant, Boubou s’est attribué tous les pouvoirs. En fait, c’est lui le « Premier ministre pleins pouvoirs ». En plus de la Primature, il a gardé le portefeuille de l’Economie et des Finances. Et lors de la répartition des services administratives, il s’est donné une cinquantaine de services comprenant tous les services de recettes de l’État, tous les services de dépenses et tous les services de contrôles. Il est juge et partie. Ce qui a fait dire à un confrère, qu’il est le ministre du Ciel et de la Terre. Dans l’histoire du Mali, il aura été le seul Premier ministre à avoir entre ses mains autant de pouvoir. Tout comme il aura été le seul Premier ministre à n’avoir pas présenter de Déclaration de Politique Générale.
Rester à la Primature
A-t-il tout raté ? Nous n’irons pas jusqu’à dire comme cet internaute que « Boubou a été un piètre Premier ministre technocrate et un mauvais Premier ministre politique ». Il a réussi la signature de l’Accord politique de gouvernance qui a permis d’amener un tant soit peu une paix sociale dont le pays avait besoin. Il a pu organiser le Dialogue politique inclusif dont les conclusions attendent application. Il a pu organiser les élections législatives. La question que tout le monde se pose et qui a été tranchée par certains observateurs est : le Président de la République va-t-il le reconduire à la Primature ? Il n’y a que Dieu et le Président de la République qui ont la réponse. Logiquement Boubou Cissé devrait conserver la Primature pour quelques mois encore. Tout comme logiquement il devrait perdre la main sur le ministère de l’Économie et des Finances. Dans tous les cas, il semble essoufflé. Or au regard des tas d’urgences, le pays a besoin d’une nouvelle respiration.
Ali Kéita