Bamba Gagny Kiabou, Président de la Coream : «Nous sommes en train de construire une troisième voie entre la majorité et l’opposition»

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La signature de l’accord de coopération militaire avec la France et les pourparlers inter-maliens, la gestion du pouvoir, les communales de 2015, les ambitions présidentielles du parti pour 2018 et la configuration actuelle de l’arène politique. Voilà entre autres les sujets sur lesquels le Président du parti Coream (Convention de Réflexion et d’Action pour le Mali), Bamba Gagny Kiabou s’est prononcé au cours d’une interview qu’il nous a accordée. Lisez plutôt.

 

 

Que peut-on mettre à l’actif de ce parti depuis sa création ?

Jusque-là, la Coream a fonctionné dans des alliances avec d’autres partis ; alliances, du reste, qui ne nous ont pas vraiment réussi. Les autres se sont souvent servis de nous. Je crois qu’il est plutôt correct de dire que nous avons servi de supplétif aux autres. Ces alliances ne nous ont rien apporté en termes de dividendes. C’est pourquoi nous avons décidé de disposer pour nous-mêmes dans l’avenir et d’assumer notre destin de parti politique.

 

 

Qu’est-ce que ça veut dire «assumer notre destin» ? 

Assumer son destin veut dire structurer le parti, participer à toutes les élections pour son propre compte, aller à la conquête du pouvoir, en fait, et ne pas servir de faire-valoir pour les autres.

 

 

Le fait de vous affranchir de la tutelle d’autres partis veut-il dire que vous n’envisagez plus d’autres alliances ?

Non, bien sûr que non! Dans la configuration actuelle de l’arène politique au Mali, aucun parti, quelle que soit sa force, n’est en mesure de gagner une ou des élections majeures tout seul. Les alliances sont donc incontournables. D’ailleurs, nous sommes déjà en pourparlers avec un parti de la place pour aborder ensemble les communales de 2015 et les élections générales de 2018. On m’a souvent accusé d’être trop seul, de m’isoler politiquement. J’étais presque devenu un franc-tireur à cause justement de l’échec des alliances que nous avons eu à nouer jusque-là. Mais j’ai décidé de changer mon fusil d’épaule, d’évoluer.

«Une troisième voie politique»

 

Quel est l’objectif principal de cette nouvelle alliance qui se dessine ?

Le premier objectif pour chacune des composantes d’une alliance politique est de se renforcer les uns les autres, j’allais dire les uns des autres. L’adage selon lequel «l’union fait la force» prend là tout son sens. Un parti comme la Coream, pris isolément, vaut ce qu’il vaut. Mais il n’a aucune chance de se tailler un destin national tout seul. C’est le cas pour la plupart des partis du Mali. C’est donc le réalisme politique qui pousse des partis à se mettre ensemble. L’intérêt est que c’est le seul gage pour un  véritable changement. L’autre objectif, c’est que nous voulons tracer une troisième voie. Cette voie, à mon sens, devra se situer entre l’actuelle majorité et son opposition. La majorité (RPM et alliés) a mal engagé son quinquennat. Gageons qu’elle sera complètement essoufflée à l’arrivée et que les Maliens voudront faire opérer le changement. Et, c’est ma conviction, l’opposition actuelle n’est pas qualifiée pour un tel changement tant il est vrai qu’elle est de la même école que la majorité actuelle. Pour avoir fait les choses ensemble, ils feront toujours les mêmes choses ou à peu près. Les Maliens doivent pouvoir avoir le choix entre plusieurs voies pour atteindre leurs aspirations les plus profondes. Voilà ce qui fonde ma conviction sur la nécessité d’une troisième voie. Cette troisième voie doit être édifiée par une force alternative qu’il faut construire et dont, à mon sens, nous sommes en train de poser la première pierre. Ce doit être une force affranchie de toute tutelle et nous pensons que nous remplissons cette condition sine qua non avec notre allié (dont vous connaîtrez bientôt l’identité).

 

 

On se souvient que vous vous étiez annoncé pour être candidat à la présidentielle passée. Pourtant, on n’a pas vu votre nom parmi les 28 de l’année dernière. Que s’est-il passé entretemps ?

Rectificatif. Je m’étais annoncé pour la présidentielle d’avril 2012 avortée à cause du coup d’Etat de mars 2012. Cet événement a tout bouleversé et a empêché notre parti d’être prêt pour 2013. C’est difficile à comprendre que la Coream qui se disait prête pour présenter un candidat en 2012 n’ait pas pu l’être pour 2013. Mais c’est ça la politique. Jacques Banville disait qu’  «en politique, il n’y a pas de primeurs ; brusquer, c’est avorter.» Nous avons voulu aller trop vite et l’avons appris à nos dépens. Pour dire toute la vérité, nous avons été trahis, lâchés par des gens. Permettez-moi de m’en tenir là car nous sommes en politique. Mais c’est de l’histoire ancienne. La vie (politique) étant une somme d’expériences, nous avons décidé de changer notre naïveté d’hier en maturité.

 

 

Combien d’élus la Coream compte-elle dans ses rangs ?

Aucun, pour la simple raison que nous n’avons encore pris part à aucune élection. C’est pourquoi nous pensons que les communales prévues pour avril 2015 doivent être notre premier véritable test. Nous nous y préparons.

 

 

Les communales d’avril 2015 sont-elles les seules échéances qui vous intéressent ? Avez-vous renoncé à vos ambitions présidentielles ?

Pas le moins du monde ! Dans la vie d’un parti, toutes les élections sont importantes. Les plus proches sont les communales de 2015 et il n’est pas question de faire l’impasse dessus. C’est ce qui focalise notre attention pour l’instant. Nous n’avons renoncé à aucune ambition précédemment affichée, bien au contraire. Notre engagement politique n’a rien de démagogique. Attendez un peu et vous verrez !

 

 

Je reformule ma question. Serez-vous candidat par exemple à la présidentielle de 2018 ?

Chat échaudé craint l’eau froide. Nous nous souvenons avoir été pratiquement les premiers à nous annoncer pour la présidentielle de 2012. C’était à la suite d’une conférence de presse dans l’ancienne Maison de la presse le 29 septembre 2009. Nous avons fait la Une d’un de vos célèbres confrères le 30 septembre et le premier octobre 2009, sans compter les intérieurs d’autres journaux. C’était insolite parce que tout se passait comme si les candidatures étaient de l’ordre du sacré ou du tabou. L’annonce de notre candidature a désinhibé les autres qui ont commencé à faire tomber leur masque les semaines qui ont suivi. Nous pensons donc avoir porté chance aux autres en nous annonçant avant eux et cela nous a plutôt porté malheur. Nous sommes dès lors devenus superstitieux et nous ne voulons plus nous hasarder à des effets d’annonce longtemps avant la date des joutes. Vous comprenez ?

 

 

Et pourtant, dans les essais politiques que vous avez publiés et que vous avez intitulés ‘’si j’étais Président’’, c’est tout comme si vous vous déclariez candidat !

 

 

Oui ! C’est ça le piège. Dans mon premier essai politique paru en fin 2008, j’y suis allé effectivement sans détour à propos de ma candidature. Nous avons «vendu la peau de l’ours avant de l’avoir tué». Nous avons «chanté notre tigritude». Le second tome qui paraîtra bientôt, si DIEU le veut, ne contrarie pas le premier à propos d’une éventuelle candidature. Mais je ne suis plus formel et précis comme dans le premier. Si mon parti décide au moment opportun qu’il faut y aller, alors j’aviserai. Ca dépend de tellement de contingences, il y a tant de conditions à satisfaire que les effets d’annonce peuvent contrarier ce qui est escompté. Il faut être prêt et préparé. En attendant que les joutes se rapprochent, nous mettons un pied devant l’autre, nous structurons le parti. On verra bien après!

 

 

Venons-en maintenant à l’actualité ! Il y a deux événements majeurs que le Mali vient de vivre : la signature des accords de coopération militaire avec la France et les pourparlers inter-maliens qui viennent de déboucher sur une feuille de route à Alger. Que vous inspirent ces deux accords ?

Tout a déjà été dit sur ces deux événements. Nous ne ferons donc que nous gargariser avec, comme on le dit chez nous. D’abord, l’accord de coopération militaire France-Mali. Ceux qui le fustigent doivent désormais se résoudre devant le fait accompli. Si ces oppositions relevaient d’une tactique de conquête du pouvoir, ils doivent en imaginer d’autres ; le principal atout de l’’homme (donc de l’homme politique aussi) c’est sa capacité d’adaptation. Cet accord a été conclu le jour où le Président de la Transition, Dioncounda Traoré, a appelé la France à l’aide alors que les rebelles et leurs alliés djihadistes avaient entamé ce qui ressemblait fort à leur «longue marche» vers Bamako. Les paraphes du 16 juillet n’ont  donc été que des actes de  formalisation de cet accord. Si  vous appelez quelqu’un à  venir vous défendre militairement, n’avez-vous pas déjà tacitement conclu un accord avec lui ? Et les maliens, dans leur immense majorité, ont approuvé et salué cet appel des Autorités de la Transition à la France à venir nous défendre, en l’absence de toute autre solution dans l’urgence. Il s’agit maintenant pour la France de sortir de son comportement ambigu et de faire le choix de la République, de l’unicité du Mali. C’est seulement en ce moment que nous croirons en la reconnaissance de la France (que Hollande a toujours clamée) envers ces tirailleurs africains parmi lesquels nous savons qu’il y avait plusieurs dizaines de milliers de Soudanais. S’il s’avère qu’elle a fait le choix du Mnla contre la République du Mali, alors chaque Malien, chaque Africain sera fondé à soutenir par tous les moyens les Corses et même les Bretons à acquérir l’indépendance qui fait rêver une bonne partie d’entre eux. Le Président Léopold Sédar Senghor disait que «de toutes les puissances coloniales, la France est la moins colonialiste.» Elle a là l’occasion de nous le prouver.

 

 

Et les pourparlers inter maliens?

Ah oui. En ce qui concerne les pourparlers avec les groupes armés, je pense qu’on aurait dû y aller encore plus tôt. Car même si vous passez cent ans à faire la guerre, vous serez obligés de vous asseoir à une table pour la finir, à moins d’user de l’atome pour exterminer des gens comme les américains l’ont fait le 6 août et le 9 août 1945 sur les villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki (même dans ce cas il y a eu des signatures de documents). Dans une guerre, il y a toujours deux perdants parce que chacun comptera ses morts. C’est encore plus vrai pour une guerre civile. Lucain nous rappelle que « dans une guerre civile, la victoire même est une défaite. » Il faut reconnaître que les touaregs du Mnla, hormis le fait qu’ils se sont alliés à des djihadistes venus du diable, sont bel et bien nos frères maliens. Or, le Président Félix Houphouët Boingy disait : «si vous vous blessez avec votre couteau, vous ne le jetez pas. Au contraire, vous essuyez la lame de votre sang souvent même sur l’habit que vous portez et vous le rangez dans son fourreau accroché à votre ceinture.» C’est ce que doit être le pardon entre touaregs et sudistes. La plus grande force que l’on puisse avoir, c’est celle du pardon. Paul Valery disait qu’ «un Etat est d’autant plus fort qu’il peut conserver en lui ce qui vit et agit contre lui.» Pour finir, je proposerais volontiers l’organisation d’une marche blanche (encadrée et sécurisée par Barkhane et/ou Minusma) qui irait de Bamako à Kidal pour soutenir ces pourparlers qui sont bien partis pour avoir déjà  abouti à une feuille de route ; ou même deux marches blanches, dont l’une partirait également de Kidal vers Bamako.

 

Réalisée par Nouhoum DICKO

 

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