Si les élections venaient à ne plus ressembler à ce qu’elles auraient dû être, où se situerait donc le territoire de la République ? On se pose cette question parce que nos sociétés africaines, d’une façon générale, sont devenues productrices de réactions de leurs citoyens. Maliens et Sénégalais auront à se donner sous peu un nouveau Président, partagés qu’ils sont, pour l’heure, entre obéissance et résistance.
Oui, obéissance et résistance font la citoyenneté dans ces deux pays, au moment où nous écrivons ces lignes. Pourtant, le Mali et le Sénégal passent pour deux pays ayant approché cet arbre de la démocratie qui déploiera « ses racines profondes dans la terre et ses rameaux multiples ». Quelque chose peut-elle donc préempter les élections à venir ? Nos deux pays frères et partageant la devise, nous a-t-on assuré, gardent ce privilège d’élire la même année -à quelques encablures- leur Président dela République. L’année où le Sénégalais Abdoulaye Wade a pris le Palais présidentiel pour la première fois (un 19 Mars 2000), le Général ATT le suivra à Koulouba deux ans plus tard (8 Mai 2002). Aujourd’hui, que voit-on ? Ni Wade ni ATT ne sont à la noce avec leurs populations. Cependant, tous les deux ont devant eux un tracé électoral qu’ils tiennent à faire respecter, quand c’est plutôt chez eux que l’on découvrirait un réel problème de comportement. Tout est dit comme si les poids qu’ils engageraient tous les deux simultanément sur la scène internationale peinaient à masquer leurs difficultés sur leur scène domestique. Le sujet que l’on évoque ici est le suivant : le vote peut-il se faire sans le nom d’un protagoniste (A. Wade à Dakar) ? Le vote se fera-t-il en occultant celui des milliers de voix de nos compatriotes déplacés (du Nord-Mali vers les pays voisins) ?
Le problème qui se pose est d’ordre politique.
Chez nous, le Président ATT porte le poids de sa politique institutionnelle au Nord-Mali et Abdoulaye Wade à Dakar serait en train de payer dans les rues de la capitale les dérives d’un régime devenu patrimonial à la longue, avec le problème dela Casamanceincluse. Nous voyons deux Présidents appliqués à leur sujet ; mais ce qui est à regretter, c’est qu’ils ne voient pas à leur corps défendant les fractures galvanisant d’une part les forces du dialogue qui leur sont favorables et de l’autre côté le fait qu’eux-mêmes sont perçus comme des épouvantails dans le camp de leurs opposants farouches. Le Président ATT a été le mieux élu de l’histoire de notre République, mais ces derniers temps déteint sur lui l’image d’un consensus mou et galvaudé. Quant à Wade, arrivé aux affaires, il ira appliquer son propre programme au lieu de celui concocté autour du mot d’ordre « SOPI » (Changement) à l’époque. Sur le tard, ne l’entendrons-nous pas professer que cela ne fera de mal si un jour, les Sénégalais retournaient à la bougie ? Celui qui avait tant fait pour apporter de l’électricité dans les foyers sénégalais et dans les rues publiques pouvait-il être déçu à ce point ? Nous nous attarderons plus ici sur le cas du Président-candidat Wade au Sénégal, ATT ayant décidé de ne pas tenter le jeu. Wade déroulerait-il tranquillement sa campagne ? Pas si sûr : il aura été « caillassé » dans certaines contrées sénégalaises, empêché de pendre la parole dans d’autres. Le pays se dirige t-il en effet vers « des élections libres et transparentes » ? Les guillemets sont dans la bouche de certains observateurs de la scène politique sénégalaise.La Commissionnationale électorale indépendante, par exemple, n’a pas, à ce jour, supplanté l’arrêté d’interdiction d’accès pour tout le monde à la place de l’indépendance. Ceux qui manifestent sont tenus à l’écart. Nous en sommes à la 4è journée de batailles dans les rues de Dakar. Tout cela serait dû « au parasitage de la candidature de Wade » selon les opposants à son projet présidentiel. Des cris et des chuchotements dans l’air, malgré cela, 14 candidats seraient en campagne. Pour la première fois, la vie politique prend un violent tournant. Des bombes lacrymogènes ont été jetées dans des mosquées ( ?). Le mouvement M23 se bat pour une plateforme en 3 points : le respect dela Constitution, la défense de la forme républicaine de l’Etat et la régularité des scrutins à venir. Le constat des faits est là : le climat électoral est tendu et « la situation actuelle ne rassure personne » entend-t-on dans les rues de Dakar. Le pays est-il devenu institutionnellement fragile pour faire essaimer le projet politique de Wade de se représenter tout de même avec l’avis dela Cour Constitutionnelle? En tout état de cause, le processus électoral est engagé avec le vote des militaires depuis le week-end dernier (on parle de 23 000 votants au bas mot) une semaine avant le jour du vote du 26 Février prochain. Et si Wade retirait sa candidature ? On ne l’a pas entendu dire que pour faire remarquer (par ses partisans) qu’il n’y aurait plus d’élections au Sénégal, le pays se retrouvant dans des conditions d’ingouvernabilité. Et l’opposition ? On lui fait remarquer que ses partisans les plus irréductibles n’ont cependant pas réagi à la modification de l’Article 42 dela Constitution. Mènerait-ellealors un combat douteux au seul motif du nom d’Abdoulaye Wade ? Ce dernier n’avait-il pas reculé en Juin 2011 sur son projet de « ticket présidentiel » ? Tout le monde sait que depuis Mars 2 000, le système sénégalais ne permet pas de remporter les élections au premier tour de scrutin. Restent les questions techniques autour du vote. Elles sont « réunies » s’accorde-t-on, mais ce sont les faits, avance-t-on de l’autre côté, qui permettront de juger le processus électoral en cours. Rien à voir donc avec la transparence des élections. Au jeu des sigles, PDS (le parti de Wade) s’est transformé en « parti de la destruction du Sénégal », les évènements du jour ne montrant que la répétition des gens qui s’accrochent au pouvoir. La question qui est posée est de savoir si ce qui se passe actuellement dans les rues de Dakar relève de l’anti-social. Y a-t-il perte de valeurs fondamentales dans la société sénégalaise ? La citoyenneté parle du comportement des individus ; or aujourd’hui, c’est comme si on se demandait si les démocrates font la démocratie ou si ce sont les citoyens qui font le reste ? En cette année électorale où les citoyens sont appelés à voter, Wade et ATT regardent leurs pays qui sont en attente d’une autre approche de l’action publique plus performante encore. Et c’est cela la formidable école de la vie de l’opinion publique.
S. Koné