La session parlementaire d’Avril a démarré comme sur des chapeaux de roue avec un exercice encore peu ancré dans la tradition des rapports entre l’exécutif et le législatif, les questions d’actualité. L’épreuve est sans doute davantage moins maîtrisée lorsqu’elle concerne un Premier ministre qui attend encore de passer son baptême du feu devant l’Assemblée nationale, dans le cadre notamment de la présentation de sa Déclaration de politique générale. En attendant, le chef du gouvernement, qui dispose d’une majorité parlementaire confortable, aura manifestement une idée nette sur la nature des rapports que les députés voudraient entretenir avec lui indépendamment de toute considération partisane.
Convié à l’hémicycle pour un exercice d’échanges sur la sécurité, le sujet le plus brûlant de l’heure, le gouvernement s’y est certes massivement rendu mais écrêté de son premier responsable, le Premier ministre Modibo Keïta. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un lever de boucliers sans commune mesure, sans frontières inter partisanes. C’est l’opposition qui en a fait ses choux gras en faisant admettre à la majorité que son gouvernement a bel et bien passé outre les dispositions du règlement Intérieur sur le déroulé des questions d’actualité. Pour ce faire, son député élu à Ténenkou, Amadou Cissé, alias Djadjiri, s’est chargé de lever le lièvre sur la base de l’article 93 dudit règlement qui dispose : «Durant les questions orales et les interpellations, le ban du gouvernement est occupé par le Premier ministre ou son intérimaire accompagné des ministres concernés». Lui ont par la suite emboîté le pas plusieurs autres collègues -essentiellement de la majorité présidentielle- pour reconnaître sans ambages le défaut de représentativité de l’exécutif en la matière, tout en essayant de trouver la solution dans les propositions d’alternative immédiate. Pour d’aucuns, il aurait suffi d’une suspension de séance, le temps de faire désigner un intérimaire par le Premier ministre occupé à d’autres affaires de la nation. C’était sans compter avec la détermination de l’opposition à tirer parti de ce qui paraissait pour un vice de procédure consommé et une abominable légèreté du gouvernement Modibo Keïta. Le camp de Soumaïla Cissé -quoique minoritaire à l’Assemblée nationale pour moins du cinquième des députés- a quand bien même réussi à faire ajourner la séance de questions d’actualité et obtenu qu’elle se déroule en présence du Premier ministre au banc du gouvernement.
Cet épisode n’aura guère marqué l’épilogue d’une polémique. Elle devait rebondir, le jour suivant, avec la tentative du chef du gouvernement d’opposer des réserves aux prétentions des parlementaires quant à ses impératifs de Premier ministre. Tout en l’admettant Modibo Keïta estime, en substance, que ses obligations constitutionnelles vis-à-vis de l’Assemblée nationale, en la matière, se limitent à deux occasions : la présentation de la Dpg et à la motion de censure. Or, renchérit le chef du gouvernement, la Loi fondamentale, qui fixe ses impératifs constitutionnels dans la hiérarchie des normes, est au-dessus du règlement intérieur de l’Assemblée nationale bien que celle-ci soit investie d’une légitimité populaire directement acquise et non conféré comme celle du Premier ministre. Les députés, manifestement, ne l’entendent point de cette oreille et, au bout d’une longue passe d’armes empreinte de nervosité sur la question, les deux institutions ont finalement convenu de recourir à l’arbitrage de la Cour constitutionnelle, la même qui a validé le règlement intérieur de l’Assemblée nationale avec les mêmes dispositions contraignantes pour le Premier ministre. C’est pourquoi, les députés en attendent l’issue avec une assurance quasi parfaite que la haute juridiction constitutionnelle du pays n’ira pas jusqu’à se dédire en se prononçant dans une direction opposée à celle qu’elle avait déjà adoptée.
Mais, le hic ! C’est que la polémique n’aurait pas lieu d’être si, au moins, une des trois institutions impliquées avait fait preuve d’un minimum de vigilance. En fait, la disposition litigieuse, selon certaines confidences, avait naguère fait l’objet d’une modification à la faveur d’une relecture du règlement intérieur de la 5e Législature, le 23 Octobre dernier. C’est du moins cette date qui figure sur la brochure qui circule abondamment dans les couloirs de l’hémicycle, qui décline, noir sur blanc, une autre disposition contradictoire qui ne fait nulle obligation au Premier ministre d’être physiquement présent ou de désigner un quelconque intérimaire. Il s’agit de l’article 92 qui mentionne en son alinéa 4 ainsi libellé : «Le banc du gouvernement est occupé par le Premier ministre ou par le (s) ministre (s) qu’il juge compétent…» Vérification faite, il nous revient que cette disposition a été introduite justement pour alléger la tâche au chef du gouvernement. Mais, comme par un hasard, elle se retrouve dans le règlement Intérieur en même temps que la disposition beaucoup plus contraignante de l’article 93. La confusion ayant néanmoins passé au nez et à la barbe de l’administration parlementaire et de la majorité présidentielle, elle a finalement fait le bonheur de l’opposition au détriment d’un gouvernement tout aussi distrait et très peu vigilant.
Beaucoup plus inadmissible encore est l’attitude de la Cour constitutionnelle. En fait, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, qui tient lieu de loi organique, passe obligatoirement par un contrôle de conformité à la Loi fondamentale dévolu à la Cour constitutionnelle qui dispose d’une quinzaine de jours pour s’en acquitter.
Difficile de s’expliquer comment deux dispositions contradictoires d’une même loi ont pu échapper à la censure des neuf sages payés et entretenus aux frais du contribuables pour se consacrer à l’esprit des lois.
Abdrahmane KÉÏTA