Vote du budget de l’Etat : Les réserves de l’opposition parlementaire

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L’Assemblée nationale du Mali a voté, hier tard dans la nuit le projet de loi de finances pour l’exercice 2009. Celui-ci a été arrêté en recettes à la somme de 1 001 800 338 FCFA et en dépenses à 1 129 104 258 000 FCFA, soit un déficit prévisionnel de 127 303 920 000 FCFA. Cent vingt cinq députés se sont prononcés pour et dix neuf ont voté contre. Mais, déjà à l’allure des débats de l’après midi à hémicycle, l’on pouvait imaginer que l’opposition allait voter contre ce projet de loi. A travers un document intitulé « dix raisons de ne pas voter le budget de l’Etat 2009 », le député Koniba Sidibé en a déjà donné le ton.







L’opposition malienne représentée à l’Assemblée nationale par les groupes parlementaires Parena-Sadi et Rpm, sans attendre le vote de loi de finances 2009, a, au cours des débats dégagé une position claire sur leurs intentions à s’opposer à l’adoption de ce document important pour la bonne marche du pays. Koniba Sidibé, député élu à Dioila sous la bannière du Parena, a indiqué que le vote de la loi de finances est un évènement important dans la vie d’une nation. Il a estimé que vu l’importance du document, son élaboration devait faire appel à un professionnalisme qui ne laisse transparaître aucun doute sur les engagements vis-à-vis de la nation.

Après avoir précisé que l’élaboration de la loi de finance n’est pas le travail d’un seul département ministériel et écouté les explications d’Abou-Bakar Traoré, ministre des finances et de Wally Diawara, président de la commission finances de l’Assemblée nationale, Koniba Sidibé a indiqué qu’il avait dix bonnes raisons pour demander à ses collègues députés de ne pas voter le projet de loi de finances 2009. La première raison avancée par le député de l’opposition est que le déficit budgétaire de 127, 304 milliards de FCFA en 2009 est insoutenable. Contrairement au ministre des finances qui a résumé la question de la soutenabilité du déficit budgétaire à la capacité de l’Etat à le financer, Koniba Sidibé a indiqué qu’il faudrait ajouter à ce que le ministre a dit, l’importance des moyens que l’Etat va mettre en œuvre à cet effet et surtout leurs impacts sur la vie des citoyens.

Pour cela, il a estimé que les solutions d’appui budgétaire et d’emprunt envisagées par le ministre des finances, ne semblent pas les mieux indiquer, pour la simple raison qu’elles n’ont pas permis de résorber le déficit de 2008 qui était estimé à 119, 472 milliards de FCFA. « L’Etat n’arrive plus à régler ses dettes vis-à-vis des entreprises qui vont en faillite les unes après les autres. Et le déficit de 2009 va aggraver la situation », a-t-il déclaré. Au titre de sa deuxième raison évoquée pour ne pas voter la loi de finance, Koniba Sidibé a indiqué que c’est « un budget insuffisamment réaliste ». Il dira que les estimations budgétaires sont basées sur une hypothèse d’un taux de croissance de 7,8% peu réaliste.

Compte tenu de la crise économique internationale qui ne va pas épargner notre pays et des aléas qui planent chaque année sur notre production agricole, il s’est interrogé sur les motivations qui ont poussé le ministre des finances a projeté un taux de croissance de 7,8% pour l’année 2009. « Un budget non exhaustif » est la troisième raison que Koniba Sidibé a avancé pour demander aux députés de s’opposer au vote de loi de finances 2009. Selon lui, le projet du gouvernement ne respecte pas un principe fondamental de gestion budgétaire : l’universalité du budget. Il a indiqué que ce principe voudrait la couverture intégrale de l’ensemble des recettes et dépenses de l’Etat par le budget.

Il a estimé qu’en plus de cette insuffisance, le projet de loi de finances ignore délibérément le remboursement de la dette intérieure de l’Etat. Koniba Sidibé, de façon solennelle a déclaré que « la trésorerie de l ‘État est dans une crise sans précédent qui s’est traduit par l’accumulation de factures impayées des opérateurs économiques dont certains dateraient de 2007 ». Pire, il dira que leur montant n’est pas connu avec une précision suffisante. Selon lui, au moment où le ministre des finances annonce la somme de 99 milliards de FCFA, d’autres sources l’estiment à plus de 200 milliards de FCFA.

Mais, dans tous les cas Koniba Sidibé constate que cette situation a plongé tout un pan du secteur privé de l’économie malienne dans des difficultés inextricables qui se traduit par : l’impossibilité de payer les crédits bancaires et les crédits fournisseurs et l’impossibilité de financer leur développement. Le député Parena a estimé que cela est d’autant plus paradoxal que le secteur privé est déclaré moteur de la croissance dans les stratégies et politiques de développement économique du pays par le gouvernement. Il a aussi indiqué que certains investissements effectués directement par des partenaires techniques et financiers ne sont pas dans le budget, ni en recettes, ni en dépenses. Il a illustré son affirmation par l’exemple du troisième pont de Bamako.

Selon lui, seul le financement assuré par l’Etat est inscrit au budget 2009. Il a aussi dénoncé la forte sous-estimation des dépenses fiscales inscrites au budget : seulement, 5 milliards de FCFA pour les miniers au titre des crédits de la TVA et 2,5 milliards de FCFA de droits indûment perçus au titre des exonérations fiscales. Pour convaincre les députés à ne pas voter la loi de finances, il a avancé une quatrième raison : « un budget insuffisamment transparent ». Le député du Parena a estimé que le contenu de tous les postes de dépenses n’est pas donné avec précision. Il a dénoncé l’inscription dans les charges communes de crédits budgétaires destinés à des structures connues d’avance.

Pertinent, Koniba Sidibé a révélé les 671 millions de FCFA prévus pour la rémunération des nouvelles recrues de la fonction publique, les primes et indemnités de sortie des membres du gouvernement. Il a aussi mis en exergue les 10 milliards prévus pour les dépenses électorales et les 10 milliards du filet social. « Pour plus de transparence, ces crédits budgétaires auraient dû être alloués aux ministères concernés, notamment les ministères d’affectation des nouvelles recrues de la fonction publique, le ministère de l’administration territoriale et le ministère du développement social », a-t-il déclaré.

Le député Parena a aussi décrié l’inscription de certaines dépenses des ministères dans le budget de la Présidence de la République, tel que les 200 millions de FCFA d’appui à la promotion de la culture et les 200 millions de FCFA d’appui à la promotion de la presse. Selon Koniba Sidibé, cette pratique déresponsabilise les ministres concernés. Enfin, il a dénoncé la budgétisation au niveau de l’éducation de base de dépenses relatives à l’enseignement secondaire et supérieur. Par ailleurs, il a avancé « la multiplication des comptes et fonds spéciaux ». Comme cinquième raison à saisir par les députés pour ne pas voter la loi de finances.

Koniba Sidibé a indiqué que ce budget contient cinq comptes ou budgets spéciaux. Et, pire, leur montant dépasse toutes les attentes. De 5, 228 milliards de FCA en 2008, le montant des budgets annexes, comptes et fonds spéciaux est passé à 12, 968 milliards de FCFA en 2009, soit une augmentation de 148%. La sixième raison mise en exergue pour inviter ses collègues à s’opposer au vote de la loi de finances, est relative à la qualité médiocre des budgets programmes. Selon le député du Parena, on note une absence criarde de chiffres dans les budgets programmes dans cette loi de finances. Face à toutes ces insuffisances, il a indiqué qu’il est préférable que le ministère des finances ait une nouvelle approche par rapport à l’élaboration des budgets programmes.

Entre autres raisons avancées par Koniba Sidibé pour demander à l’assemblée nationale de rejeter la loi de finance, sont : l’absence de progrès dans la déconcentration et la décentralisation de la gestion des ressources publiques, la marginalisation de la justice et la forte baisse des dépenses de l’agriculture, le peu d’importance accordée à la demande social en milieu rural. La dixième raison avancée par le député élu à Dioila, est un concentré de nombreuses faiblesses dans le budget. Selon lui, les montants des dépenses dans le budget-programme 2009 sont différents de ceux figurant dans le tableau des dépenses et annexe explicative. Il a aussi dénoncé une forte fluctuation des montants des dépenses de plusieurs ministères ne traduisant pas des changements déclarés de la hiérarchie des priorités de politiques publiques.

Dans une démonstration qui a convaincu partenaires et adversaires, le député Parena a dénoncé les inégalités entre le milieu rural et les zones urbaines du pays en ce qui concerne le secteur de l’éducation et celui de la santé. « Si on doit voter un budget conforme aux attentes du pays, il faut voter celui qui fait la part belle au développement de l’école et de la santé en milieu rural », a-t-il indiqué. Avant de dire à ses collègues députés qu’ils rendraient un grand service à la nation en demandant au ministre des finances de revoir sa copie.

Et pour sa part, Abdrahamane Sylla, député RPM élu en commune IV, a ajouté une onzième raison qui doit inciter les députés à dire non à la loi de finances 2009. Après avoir invité le ministre des finances à mettre fin à la distribution des exonérations à la pelle qui font plus de mal à l’économie malienne, le député du RPM a dénoncé le peu de place que le budget réserve au développement de l’agriculture. Et pour cela, il s’est adjoint à Koniba Sidibé pour demander aux députés de s’opposer à la loi de finance et inviter le gouvernement malien à revoir sa copie.

Malgré cette forte opposition, la loi sera finalement votée avec 125 voix pour et 19 contre.

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