Le Code des personnes et de la famille, envoyé en seconde lecture à l’Assemblée nationale par le président de la République, Amadou Toumani Touré, a été sacrifié sur l’autel des intérêts électoralistes.
Enfin ! Deux ans après son renvoi en seconde lecture par le président de la République, Amadou Toumani Touré, le Code des personnes et de la famille a été adopté le vendredi dernier par l’Assemblée nationale, au cours de sa plénière. Pourquoi le vote du texte a-t-il été accéléré ? Comment le gouvernement s’est plié à la volonté des honorables députés ? Retour sur des heures qui ont failli faire basculer la vie institutionnelle de notre pays.
Le jeudi 1er décembre, pour la énième fois, l’Assemblée nationale inscrit au cours de sa plénière le projet de loi portant Code des personnes et de la famille. Les travaux commencent à 10 heures. Comme d’habitude, le ministre en charge des Relations avec les Institutions, Abdoulaye Sall, est présent. Ce dernier prend la parole en l’absence de son homologue de la Justice en déplacement, pour informer l’Assemblée nationale du souhait du gouvernement de reporter le vote à un autre jour, sans une autre précision. Le Premier ministre, Mme Cissé Mariam Kaidama Sidibé avait besoin de temps pour engager une large concertation avec certains ministres de son gouvernement.
La tension monte dans la salle. La séance est suspendue. A la reprise, le président Dioncounda Traoré tranche en donnant vingt-quatre heures au gouvernement pour se concerter. Rendez-vous est pris pour le lendemain toujours à 10 heures. Effectivement, le 2 décembre, les honorables députés rentrent dans la salle Modibo Kéïta, avec vingt heures de retard. Juste le temps d’autoriser la ratification d’un accord de prêt signé à Tunis entre la Banque africaine du développement et le gouvernement avant de passer à l’essentiel. Constatant l’absence du ministre de la Justice, Garde des sceaux, Pr Dioncounda Traoré interpelle le ministre Sall sur un ton ferme mais responsable : Pouvez-vous me donner la position de votre collègue ? Pr Dioncounda Traoré répète la phrase plus d’une fois avant que, finalement, Abdoulaye Sall monte à la tribune. Il laisse entendre que le ministre de la Justice est à Bamako, qu’il est avec le président de la République qui préside une grande rencontre des ministres de la justice de l’Afrique de l’Ouest, et que les travaux peuvent commencer en attendant l’arrivée du ministre de la Justice. Le rapporteur de la Commission lois lit son rapport. Les amendements sont lus par un secrétaire parlementaire. Entre-temps, Maharafa Traoré fait son apparition dans la salle puis intervient avant le vote des amendements. Chose bizarre, aucun député ne prend la parole pour faire des contre propositions.
Revirement à 120° du gouvernement
Maharafa Traoré qui avait opposé une farouche résistance à l’honorable Me Mountaga Tall sur la légalisation du mariage religieux (en 1994, Me Tall avait initié une proposition de loi visant la légalisation de ce mariage) a dû ranger dans ses armoires ses arguments. Sans pourtant avaler sa langue (il a eu à saluer le compromis obtenu), le ministre de la Justice, Garde des Sceaux ne pouvait que garder le profil bas, au risque de se dédire. Pourquoi ce revirement du gouvernement ? De sources concordantes, le président de l’Assemblée nationale aurait menacé le gouvernement de représailles si jamais ce texte ne passait pas. Motion de censure ? Difficile de le dire. Les déclarations du gouvernement à travers le ministre de la Justice surprennent plus d’un. Comment comprendre qu’un gouvernement qui n’a pas fait des observations refuse au ministre de la Justice par intérim de défendre le texte, la veille ?
Pour le président de l’Assemblée nationale qui a conduit les débats d’une main de maître, pour reprendre l’expression de l’honorable Ibrahim Boubacar Kéïta, l’adoption de ce texte consensuel prouve à suffisance la maturité du peuple. Or, sur les amendements proposés, les associations de la société civile écoutées par la Commission des lois constitutionnelles ont formulé des réserves, voire des oppositions. ‘’C’est un recul démocratique qui affaiblit les institutions de la république au profit du Haut conseil islamique. Le code a été sacrifié sur l’autel des intérêts électoralistes’’, nous confie un observateur de la société civile très remonté contre les députés. Les éloges faits par certains députés notamment de l’Adema après le vote de ce projet ont fait penser à de nombreux observateurs que l’honorable président de l’Assemblée nationale s’est mis dans sa peau du candidat de l’Adema. Pour Dioncounda Traoré et son staff, nous confie un honorable député sous le couvert de l’anonymat, le chemin de Koulouba passe par l’adoption de ce Code des personnes et de la famille.
Chiaka Doumbia