L’assemblée nationale a eu l’occasion de débattre, hier 18 juin 2014, de la première motion de censure, au compte de la législature actuelle, déposée contre le gouvernement par des députés de l’opposition parlementaire. Dès son annonce, il y a environ dix jours, l’initiative avait suscité de nombreux commentaires et réactions aussi bien au sein du grand public que dans les milieux politiques. Cet intérêt marqué du public offre l’opportunité à votre journal de présenter brièvement le mécanisme particulier de contrôle parlementaire de l’action gouvernementale qu’est la motion de censure.
Qu’est ce qu’une motion de censure ?
Plusieurs mécanismes existent pour permettre aux députés de contrôler l’action du gouvernement : interpellations des membres du gouvernement par un ou plusieurs députés pris individuellement, séances parlementaires consacrées aux questions d’actualité, écoutes des membres du Gouvernement en commissions, etc.
Ces mécanismes sont prévus par la Constitution ou le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale. Parmi eux, la motion de censure tient une place toute particulière. Elle se distingue en effet des autres par deux caractéristiques principales : elle ne peut résulter que d’une initiative collective et son but est plus radical puisqu’elle tend à mettre en cause la responsabilité politique du gouvernement au moyen d’un vote.
Si la motion recueille la majorité requise (deux tiers, au moins), le Gouvernement devra démissionner. Il convient de souligner que la motion de censure n’est pas le seul moyen de mettre en cause la responsabilité du gouvernement. Celui-ci peut lui-même en prendre l’initiative en engageant sa responsabilité sur un programme, une déclaration de politique générale ou un texte, à la demande du Premier Ministre et après délibération du Conseil des Ministres.
En ce qui concerne le Mali, la Constitution du 25 février 1992 fixe en ses articles 78 et 79 les contours de la motion de censure. Il résulte de l’analyse de ces deux dispositions que la motion peut être faite sous deux formes : lorsqu’elle est déposée au moment où le gouvernement engage sa responsabilité sur un programme, une déclaration de politique générale ou sur un texte ; ou ab initio, lorsque qu’elle est directement initiée par le nombre requis de députés.
Le vote de la motion obéit à des conditions très particulières. Ainsi, la motion n’est recevable que si elle recueille au moins la signature d’un dixième des députés composant l’Assemblée nationale ; seuls sont décomptés les votes favorables à la motion, et, enfin, celle-ci n’est adoptée qu’à la majorité qualifiée de deux tiers des membres de l’institution.
La motion de censure en pratique
Telle que décrite ci-dessus, la motion de censure présente en théorie de nombreux et indéniables attraits. Elle constitue en premier lieu un moyen pacifique et démocratique de résolution des conflits politiques en contraignant un gouvernement incompétent ou simplement impopulaire à la démission, ce qui logiquement ouvre la voie à une nouvelle consultation populaire par la tenue d’élections législatives anticipées.
En deuxième lieu, elle offre une tribune à la fois au gouvernement et à l’opposition pour expliciter leurs positions respectives tout en permettant d’informer les citoyens sur la politique gouvernementale. Enfin, et à défaut de déboucher sur la démission d’un gouvernement, elle permet d’exercer un contrôle efficace sur l’activité du gouvernement, sans que ni l’Assemblée ni l’exécutif ne puisse éviter le débat public ou l’empêcher. Mais qu’en est-il de la portée pratique de l’introduction par des députés d’une motion de censure au Mali et ailleurs?
Dans les démocraties modernes, il est très rare qu’une motion de censure aboutisse au renversement d’un gouvernement. Ceci s’explique par trois facteurs décisifs : d’abord la prééminence dont jouit un peu partout dans le monde le pouvoir exécutif dans ses rapports avec le législatif, ensuite l’avènement de régimes parlementaires rationalisés qui rendent difficile la mise en cause de la responsabilité du pouvoir exécutif, et enfin l’émergence institutionnelle du fait majoritaire. Celui-ci existe lorsque le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif procèdent du même parti politique, si bien que le Gouvernement et la majorité des députés ont destin lié.
Dans ces régimes, la mise en cause de la responsabilité du gouvernement, par le recours à la motion de censure, ne peut déboucher sur un succès que s’il existe des divergences sérieuses entre le gouvernement et le parti majoritaire dont le premier n’est qu’une émanation. C’est le cas au Mali, où aucune motion de censure n’a jamais été adoptée et où le RPM et alliés comptent dans leurs rangs plus de la majorité absolue des membres de l’Assemblée Nationale. C’est également le cas en France où, à cause du fait majoritaire, un seul gouvernement a été contraint à la démission depuis l’adoption de la Constitution de la 5ème république en 1958. C’était le premier gouvernement Pompidou, contraint à rendre le tablier, après le rejet du projet de loi introduisant l’élection du président de la République au suffrage universel. Et c’était en 1962.
C’est dire que si la motion de censure initiée par le député Soumaïla Cissé et consorts du groupe parlementaire Vigilance Républicaine et Démocratique (VRD) a, sans conteste été utile, elle n’avait en revanche aucune chance d’être adoptée par une assemblée nationale majoritairement acquise au gouvernement. Moussa Mara pouvait donc affronter sans crainte l’exercice : la majorité n’avait aucune raison de le lâcher pour les beaux yeux de l’opposition. Ce qui ne signifie pas qu’il soit définitivement à l’abri d’une motion de censure qui viendrait de cette même majorité. Les voies de la politique sont impénétrables.
Birama FALL