Le ministre de la Réforme de l’Etat, Daba Diawara, se trouvait hier mardi 12 juillet face aux députés dans la salle Aoua Kéïta de l’Assemblée nationale afin de répondre à leurs interrogations relativement au projet de réformes institutionnelles déposé par le gouvernement sur la table de l’honorable institution depuis le 5 juillet dernier. Un exercice peu commode qui a failli perdre au ministre, pourtant expert en la matière, tout son latin. Tant ledit projet de loi a fait l’objet de critiques, de réserves, voire de questionnements dubitatifs de la part des élus toutes chapelles et toutes obédiences confondues.
Ceux qui avaient cru que les réformes institutionnelles proposées par le président de la République allaient passer comme lettre à la poste n’en reviennent toujours pas. Le ministre Daba Diawara, après sa présentation hier à l’Assemblée nationale, a été soumis à une batterie de questions les plus pertinentes les unes que les autres de la part des députés de tous bords politiques.
D’abord "Pourquoi seulement maintenant ? A quelque huit moisde l’élection présidentielle de 2012 ? Alors que le travail était terminé depuis deux ans" s’est insurgé un député. " En quoi voyez-vous, dans votre projet, un renforcement, comme vous le dites, du rôle de l’Assemblée nationale ? " s’est exclamé un autre. "Pourquoi vouloir maintenant supprimer le Haut Conseil des Collectivités (HCC), quand le gouvernement a tout fait dans le but de l’empêcher de travailler ? " s’est interrogé un troisième.
Comme on le voit, les députés n’y sont pas allés avec le dos de la cuillère pour exprimer leurs inquiétudes face au projet que le président de la République veut soumettre au référendum d’ici la fin de l’année. Et pour lequelles les députés sont présentement en session extraordinaire dans le but de se prononcer, notamment sur les 116 articles de ce projet de loi désormais polémique.
Rappelons que les principales réformes voulues par ATT ont trait, entre autres, au réaménagement de l’Exécutif dans le cadre du régime semi-présidentiel actuel. A ce niveau, deux nouvelles conditions sont posées pour la recevabilité de la candidature à l’élection du président de la République : il faut être Malien "d’origine " et n’avoir aucune autre nationalité et être âgé de moins de 75 ans. D’autre part, c’est le président de la République qui définit la politique de la nation dont le Gouvernement assure la conduite. De même que la possibilité est donnée au président de la République de mettre fin aux fonctions du Premier ministre sans la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Dans la même logique, la fin de la mission du Premier ministre entraîne la démission collective des autres membres du Gouvernement.
Le régime de déclaration des biens du président de la République, du Premier ministre et des ministres a été réaménagé pour permettre le contrôle de la véracité des déclarations et assurer un meilleur suivi de l’évolution du patrimoine.
Quant au Parlement, selon Daba Diawara, il est "renforcé" par la création d’une seconde Chambre, le Sénat, qui imprimera, selon le Gouvernement, une nouvelle dynamique au travail législatif et au contrôle de l’action gouvernementale. A ce niveau également, les députés ont émis des réserves sur la nécessité d’un Sénat. Les membres de la Cour constitutionnelle se voient confié un mandat non renouvelable qui sera porté à 9 ans. Et cela en vue de renforcer leur indépendance. Des députés ne voient pas la pertinence que le président de cette institution soit nommé par le président de la République.
L’actuelle Section des comptes de la Cour suprême est érigée en Cour des comptes, qui est une juridiction suprême d’un nouvel ordre avec des chambres régionales de comptes.
Le Haut conseil des collectivités territoriales est supprimé et remplacé par le Sénat. Alors que le Conseil économique, social et culturel(CESC) est réaménagé dans ses attributions et ses modalités de fonctionnement. Son caractère d’organe consultatif est affirmé ainsi que le caractère facultatif de sa consultation.
Le Médiateur de la République voit ses moyens d’actions renforcés. Ill peut consulter la Cour constitutionnelle et la Cour suprême.
Dans le domaine des médias, une nouvelle autorité indépendante, le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), dont le statut est organisé par une loi organique, assure la régulation de l’audiovisuel et veille au respect de l’expression plurielle des courants de pensée et d’opinion. Il remplace le Comité national de l’égal accès aux médias d’Etat (CNEAME) et le Conseil supérieur de la communication (CSC).
Sur la question de l’élection des députés, elle se fait selon un système mixte combinant le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle. Une meilleure assise est donnée aux mesures de discrimination positive favorisant l’accès des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives.
Cette disposition de "discrimination positive" n’a pas été du goût de certains députés qui se demandent à quel but. La question n’étant pas une préoccupation des femmes elles-mêmes, pourquoi rendre cette disposition obligatoire ? Se sont interrogés des parlementaires qui perçoivent plusieurs non-dits dans les propositions d’ATT. D’autre part, dans les discours officiels, de plus en plus on parle des élections législatives avant la présidentielle. Des députés se sont demandés pourquoi un tel ordre alors que c’est l’élection présidentielle qui a d’abord lieu avant les législatives? Que cache le gouvernement à propos de l’ordre établi ? ATT voudra-t-il faire d’abord les législatives avant la présidentielle ?
Plusieurs députés ne comprennent pas ce changement d’ordre en gestation. Le fait que la limitation du nombre de partis n’a pas figuré dans le projet est jugé, par ailleurs, incompréhensible par un député de la majorité farouchement opposé à plusieurs dispositions dudit projet.
En un mot, pour plusieurs parlementaires, le projet de loi portant révision constitutionnelle dépouille l’Assemblée nationale de ses prérogatives. D’où, à leurs yeux, un toilettage dudit projet qui s’impose.
Décidément, il y a encore du travail que le ministre Daba Diawara devra abattre avant de convaincre les députés de voter ledit projet en l’état.
Peut-être que même son initiateur sera obligé de descendre dans l’arène et mobiliser ses relais afin d’amener les différents groupes parlementaires à voter le projet de révision constitutionnelle. Qui est désormais une question d’honneur pour le locataire de Koulouba. Mais dont la nécessité n’est pas forcement partagée par nombre de ses compatriotes.
Mamadou FOFANA