C’est ce dimanche qu’aura lieu le premier tour des élections législatives dans notre pays. Ce scrutin qui n’est pas sans enjeux dans un pays qui cherche désespérément à voir le bout de tunnel après de longs mois de crise institutionnelle et sécuritaire. Un Etat où les populations s’impatientent de voir se produire le changement promis par le nouveau président.
C’est la question que se posent aujourd’hui beaucoup d’observateurs de la scène politique malienne. Une inquiétude bien fondée, car, ces législatives ne suscitent presqu’aucun engouement populaire. Dans la capitale par exemple, la campagne se déroule presque dans l’indifférence. «Eprouvés par la pauvreté et le manque de perspectives économiques prometteuses, les Maliens ont d’autres préoccupations sociales. Sans compter qu’ils n’ont plus confiance en la classe politique», commente A. Diallo, un jeune juriste. «Le présent scrutin est caractérisé par le manque d’engouement des populations provoqué et entretenu par l’absence de vision, de plan programmatique et de cohérence de la part des candidats qui peinent même à convaincre sur leur utilité au point qu’ils n’arrivent même plus à faire semblant», dénonce un confrère de l’hebdomadaire Le Flambeau. C’est le sentiment général qui se dégage de notre revue de presse malienne de ces derniers jours. Le dépit est réel.
«Allez voter ? Pour qui ? Pas en tout cas pour ces politiciens qui sont tous les mêmes et qui ne croient même plus à leurs propres discours à plus forte raison convaincre un électorat dépité», souligne Mama Konimpo, militante d’une association écologique. «Si je vais au bureau de vote, c’est sans doute pour aller déposer un bulletin nul. Je préfère alors économiser mon temps et mon carburant qui sont très précieux en ce moment. Je ne crois en aucun des candidats en lice dans ma commune. Ils sont tous des menteurs et prennent les populations comme des gens naïfs», précise Fatou, une belle étudiante en Droit. Une position partagée par ses copines rencontrées dans un espace de loisir de la capitale malienne. «Aujourd’hui, les Maliens aspirent à une vraie démocratie avec une réelle opposition parlementaire… Mais, ils se disent que leur vote ne changera pas la tradition qui fait que personne ne veut aller dans l’opposition parlementaire de crainte de priver ses cadres de portefeuilles dans l’exécutif», analyse Kader Toé, chroniqueur politique dans la presse malienne.
Aucune crainte d’une vraie opposition parlementaire
Ce consultant pour la presse internationale touche ainsi du doigt un autre enjeu non moins important de ces législatives : la quête d’une majorité parlementaire ! L’issue de ce scrutin doit logiquement déterminer les relations entre l’exécutif et le législatif dans les cinq années à venir. Et dans le camp du Rassemblement pour le Mali (RPM) et de l’Alliance IBK 2012, on souhaite naturellement pouvoir disposer d’une majorité parlementaire afin de permettre à Ibrahim Boubacar Kéita de faire son mandat sans zones de turbulence. «IBK a été élu par une grande majorité des Maliens. Le défi aujourd’hui, c’est de faire comprendre à cette majorité que son président a besoin d’une majorité à l’Assemblée nationale pour combler ses attentes, pour pouvoir réaliser ses ambitions pour le pays», souligne A. Touré, un cadre du RPM. Sur ce plan, avec toutes ces alliances, le scrutin promet d’être serré. Certains leaders politiques comme le premier président de l’Assemblée nationale de l’ère démocratique, Pr. Ali Nouhoum Diallo, pensent qu’une cohabitation n’est pas à exclure. Ce serait une première dans l’histoire politique du pays. Et pourtant, pour beaucoup d’autres observateurs, le président élu ne doit rien craindre des futurs élus qui voudront tous être proches du pouvoir que de l’autre camp. Ainsi, les partis représentés dans l’actuel gouvernement se battent pour avoir quelques élus qui leur permettront de sauvegarder, à défaut d’avoir plus de ministres, leur présence dans l’exécutif qui est un «refuge confortable» pour les cadres des partis politiques. Aujourd’hui, analysent des chroniqueurs, aucune formation politique malienne ne s’est officiellement engagée à obtenir la majorité pour aller dans l’opposition. À part bien sûr, l’Union pour la République et la Démocratie (URD) de Soumaïla Cissé, candidat malheureux au second tour de la présidentielle d’août dernier. «La future Assemblée ne dérogera par à la tradition. Les partis politiques vont tout faire pour reprendre du service en veillant à ne pas gêner le président IBK. Et cela, après que les alliances électorales eurent terminé leur boulot dans le respect des règles qui gouvernent les relations inter et intra-communautaires», pense notre confrère de Le Flambeau. D’où, fustige-t-il, le calme olympien d’Ibrahim Boubacar Kéita et cela, malgré «le risque réel que son parti soit mis en minorité à l’Hémicycle».
Pour Kader Toé, ce scénario n’est pas à exclure, sans être une menace réelle pour le pouvoir. En effet, cela ne pourrait être que ce que certains observateurs qualifient de «simple minorité arithmétique sans aucune valeur opérationnelle». «La seule chose qu’IBK peut réellement redouter aujourd’hui, c’est que l’ADEMA ou l’URD obtienne la majorité absolue sans nécessité d’alliance. Ce qui est très peu probable avec les rapports de force présentement. Sinon, le pouvoir tirera toujours son épingle du jeu des alliances parlementaires parce que presque toutes les chapelles politiques voudront être de la majorité contre des portefeuilles ministériels», conclut Kader Toé. Un avis largement partagé dans le cercle des observateurs et des chroniqueurs politiques au Mali.
Une façon de dire que le «vrai contre-pouvoir» attendu par la majorité des Maliens pour «équilibrer les pouvoirs» et revivifier la démocratie malienne n’est pas sans doute pour la prochaine législature. Il ne suffit pas d’élire confortablement un président pour obtenir le changement. Il faut le contraindre à aller dans ce sens. Car, comme une locomotive, un régime abandonné à lui-même dévie toujours de la trajectoire tracée ou espérée
Hamady TAMBA