Comme tout le monde le sait, la Haute Cour de Justice, qui est l’une des huit institutions de la République consacrées par la Constitution du 25 février 1992, n’a jamais fonctionné. Ces neuf membres ont été certes désignés – sous le double mandat du Pr Ali Nouhoum Diallo, de 1992 à 2002- par l’Assemblée Nationale, mais ceux-ci n’ont jamais été installés en tant que magistrats de cette institution judiciaire. Cela, dans la mesure où la Haute Cour de Justice, en tant qu’institution de la République n’a, elle aussi, jamais été installée. Pour cela, il fallait lui trouver un siège, hors de l’Hémicycle, pour ses membres, un président avec son cabinet, des huissiers, etc. Ce qui n’a jamais été le cas.
Le problème qui s’est posé à l’installation de cette Cour, c’est notamment l’absence de loi organique déterminant son organisation et son fonctionnement, entre autres. En un mot, les pouvoirs passés n’ont jamais voulu de la Haute Cour de Justice qui, selon l’article 95 de la Constitution “est compétente pour juger le président de la République et les ministres mis en accusation devant elle par l’Assemblée nationale pour haute trahison ou en raison des faits qualifiés de crimes ou délits commis dans l’exercice de leurs fonctions, ainsi que leurs complices en cas de complot contre la sûreté de l’État. La mise en accusation est votée par scrutin public à la majorité des 2/3 des députés composant l’Assemblée nationale. La Haute Cour de Justice est liée par la définition des crimes et délits et par la détermination des peines résultant des lois pénales en vigueur à l’époque des faits compris dans la poursuite”. Selon l’article 96 “ la Haute Cour de justice est composée de membres désignés par l’Assemblée nationale à chaque renouvellement général. Elle élit son président parmi ses membres. La loi fixe le nombre de ses membres, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure suivie devant elle”.
Comme on le voit, le législateur a fait son travail. C’est le politique qui n’a pas suivi. Aujourd’hui, IBK veut en finir avec cela en traînant devant cette juridiction son prédécesseur pour “haute trahison”. Seulement, devant la volonté du Président IBK et de son gouvernement se dresse un obstacle de taille. A savoir, comment rassembler 2/3 des députés, c’est-à-dire 98 sur les 147, pour voter une éventuelle inculpation d’ATT devant la Haute Cour de Justice? Au regard de la composition de l’Assemblée Nationale, il n’est pas évident qu’IBK et son gouvernement soient en mesure de convaincre les députés ou les groupes parlementaires ci-après, afin qu’ils apportent leurs voix à celle du RPM (66 députés) pour conduire ATT devant la Haute Cour de Justice. Il s’agit de l’URD de Soumaïla Cissé (17 députés) l’ADEMA (16), FARE de Modibo Sidibé (6), la CODEM, (5), le CNID (4), l’ASMA (3) de Soumeylou Boubèye (certes dans une position inconfortable, ayant servi ATT mais étant actuellement présumé comme l’un des hommes forts du pouvoir d’IBK), du MPR (3), du PARENA (3), de l’APR (1) voire des indépendants (4). Tous ces partis ont des leaders qui ont partagé le pouvoir d’ATT. D’où la difficulté qu’ils auront à se retourner contre leur bienfaiteur d’antan pour faire plaisir au prince du jour au nom d’une prétendue justice…des vainqueurs. En plus il n’est pas évident que les 66 députés RPM du président IBK aillent tous dans le sens souhaité par leur futur chef de file.
C’est dire qu’on est encore loin d’une éventuelle inculpation de l’ancien président ATT. Le processus étant si long et si laborieux. Le quorum des 98 députés nécessaires à une éventuelle inculpation d’ATT étant en soi un véritable challenge pour IBK. A moins que le pouvoir ne fasse ramener cette majorité des deux-tiers indispensables pour conduire ATT devant la Haute Cour de Justice à la majorité simple des voix. Ce qui va nécessairement ressembler à un acharnement politique. En tout cas, nous serons bientôt en face d’une bataille juridique qui va s’avérer rude et assez complexe pour le pouvoir en place.
Mamadou FOFANA