Des députés qui s’auto-censurent par le chiffon rouge du secret. Des députés qui décident volontairement de renoncer à leur droit individuel d’exigence de redevabilité du gouvernement en le confiant au Président de l’Assemblée nationale afin que le Premier ministre puisse dormir tranquillement sur les dossiers de la nation. Des députés qui avalisent une prime à la médiocrité de la qualité des projets de loi du gouvernement.
Le règlement intérieur de la 5ème législature 2014-2018 a été soumis au supplice du tripatouillage de 31 amendements consacrant pour l’essentiel, un vrai recul démocratique. Par ce recul démocratique, la constitutionnalité de la plupart de ces amendements demeure sujette à caution.
Mais le comble est que la Cour constitutionnelle comme à son habitude n’y a vu que du feu. Il n’y a pas plus aveugle que celui qui n’a pas envie de voir, dit-on. Empruntant le même chemin tortueux que la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale du Mali poursuit donc sa mutation effrénée vers une institution appendice de la Présidence de la République et du gouvernement.
De la constitutionnalité « de gros » et « de détail » !
Un peu comme les commerçants du Dabanani de Bamako, l’Arrêt n°2020-05 du 21 mai 2020 révèle que les juges constitutionnels du Mali excellent dans la « constitutionnalité de gros » et la « constitutionnalité de détail ». Ainsi dans un premier temps, la Cour prétextant de leur caractère de simples corrections de lacunes rédactionnelles, va se débarrasser des amendements portant sur les intitulés des chapitres IV et VIII, les articles 5, 6, 9 alinéa 2, 11 alinéa 1er, 12, 23, 46, 47 alinéa 1er, 76 alinéa 8, 78 alinéa 2, 90 alinéa 2, 93 alinéa 1er, 94 alinéa 2, 95 et 96 alinéa 1er . Ce qui fait un total de 17 amendements bâclés et enveloppés dans le paquet opaque d’une sorte de « constitutionnalité de gros » expédiés à la va-vite sans autres formes de procès ni commentaires particuliers. Dans un deuxième temps et de manière plus ou moins transparente, elle va en revanche s’attacher à opiner sur les chacun des14 autres amendements se rapportant aux articles 21 alinéa 5, 24, 25, 29 alinéa3, 32 alinéa 2, 37, 44, 49, 61 alinéa 1er, 72, 84 in fine, 87 alinéa 1, 88 alinéa 4, et 91 in fine. Selon la Cour, ces 14 amendements bénéficiant de sa part du traitement de « constitutionnalité de détail », « opèrent des modifications pouvant être qualifiées de substantielles en ce qu’ils visent à rendre plus efficient le travail parlementaire ». L’arbitraire de cette catégorisation paraît pour le moins choquant. C’est comme si a contrario ri, la Cour insinuait implicitement que les 17 amendements relatifs aux « améliorations rédactionnelles » étaient sans portée réelle et n’avaient pas pour but de « rendre plus efficient le travail parlementaire ». Quelle aberration !
Au-delà de ces remarques, quatre « Considérants » retiennent notre attention parmi le lot des 14 amendements. Les deux premiers sont relatifs aux articles 44 (Nouveau) et 49 (Nouveau). Le troisième concerne l’article 84 in fine (Nouveau). Le quatrième porte sur les articles 87 alinéa 1er (Nouveau), 88 alinéa 4 (Nouveau), et 91 in fine (Nouveau).
Les députés soumis à la censure ouverte de « l’expulsion pour violation de secret »
L’article 44 (Nouveau) du règlement intérieur ajoute à la gamme des sanctions disciplinaires applicables aux députés, « la violation de secret ». On notera qu’habituellement, les fautes disciplinaires sont clairement définies : trouble dans l’Assemblée nationale par des interruptions et attaques personnels, appel à la violence, outrage, injures, provocations ou menaces. Ce n’est pas le cas de la violation du secret dont l’amendement ne pipe mot sur la nature. De quel secret s’agit-il ? Qui sera habilité à le définir ? Cette notion ambiguë de « secret » avec sa charge conséquente d’arbitraire est pourtant sanctionnée par l’expulsion du député de la séance sans détermination de la durée et par la privation de la moitié de l’indemnité de session pendant une session. C’est à se demander si cet amendement fantaisiste d’auto-censure est bien d’initiative parlementaire ! Quel formidable recul démocratique que de voir se développer en plein cœur de l’institution qui représente le peuple souverain, un système de censure volontaire de l’expression politique par la notion de « secret » ! Avouons qu’il n’est pas commun de voir des députés, surtout ceux soi-disant de l’opposition, qui s’auto-flagellent par un amendement gravement attentatoire à leur propre liberté d’expression et leur droit d’accès aux documents administratifs et de manière générale à l’information d’intérêt public. Cet amendement est totalement à rebrousse-poil de l’esprit de l’alinéa 1er de l’article 62 de la Constitution selon lequel « aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé du fait des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions ». Dans le fond, l’amendement relatif à la sanction pour « violation de secret » est un pied de nez à cette disposition constitutionnelle qui institue l’irresponsabilité inhérente à l’immunité de fonction qui protège la liberté d’expression du député. Au nom de cette liberté d’expression constitutionnellement protégée, le député ne peut être poursuivi pour des opinions ou des propos tenus en séance ou en commission. L’alinéa 44(Nouveau) du règlement intérieur est en porte-à faux avec l’alinéa 1er de l’article 62 de la Constitution. Comme dirait l’autre, le secret est « l’angle mort » de la transparence. Il ne sied pas à l’Assemblée nationale d’un régime démocratique qui se veut au contraire un lieu d’ouverture et de libre expression et non d’apologie de la confidentialité. L’amendement irrecevable même dans le parlement d’un régime monolithique, jette le discrédit sur la légitimité des députés qui hypothèquent ainsi d’emblée leur pouvoir d’investigation et leur liberté d’expression à l’occasion de l’exercice de leur mission constitutionnelle de contrôle de l’exécutif. Il est vrai qu’au Mali, le mandat parlementaire pour un bon nombre de candidatures, ne sert plus que de moyen d’amortissement de l’argent sale de la corruption électorale et surtout de fabrication d’immunité pour y planquer des crimes et délits divers. C’est une évidence aujourd’hui qu’au lieu de représenter le peuple, pour leur écrasante majorité, les députés de cette 6ème législature ne représentent que leurs propres petits intérêts mercantiles et affairistes.
Mais le comble est que l’Arrêt n°2020-05 du 21 mai 2020 de la Cour constitutionnelle, une Cour toujours aussi incorrigible et imperturbable dans sa posture servile devant le Président IBK et son gouvernement, valide la sanction de violation de secret introduite dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale. Au passage, la Cour faisant preuve d’approximation juridique et ne comprenant pas que la sanction en question ne vaut que pour les séances plénières, déclare que l’intrusion de la notion de secret ne fait que renforcer la confidentialité « des travaux en commission ». Une Cour qui trébuche sur l’objet précis d’un amendement et qui ne sait plus faire la différence entre travaux en commission et débats en plénière ! Comme seul reproche à ce scandaleux amendement, l’Arrêt suggère timidement « qu’il y a lieu de circonscrire dans le temps la durée en précisant la durée de l’exclusion pour violation de secret ». Rien à dire par ailleurs de l’article 49 (Nouveau) qui, en prévoyant une sanction à l’exclusion pour violation de secret, ne viole aucunement la Constitution aux dires de la Cour. Comme quoi, la Cour constitutionnelle du Mali est actuellement en déphasage total avec l’éthique et les valeurs de démocratie qui imbibent la Constitution du 25 février 1992.
La prime à l’incompétence décernée au gouvernement à travers l’irruption inconstitutionnelle d’un ministre dans la séance parlementaire et la validation d’un amendement rejeté par les députés
Dans l’article 84 in fine du règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il est stipulé que « lorsque des amendements comportent des erreurs matérielles, celles-ci peuvent être signalée et corrigées en séance plénière ». Un amendement n°23 sera proposé pour soumettre également les projets et propositions de loi à ce régime.
Le côté rocambolesque de cet amendement est qu’il est doublement frappé d’inconstitutionnalité. D’une part, il a été initié non pas par des députés, mais par le gouvernement lui-même à travers le ministre chargé des Relations avec les institutions qui s’était fait irrégulièrement inviter à la séance dédiée aux débats sur le règlement intérieur. Le ministre conscient de l’incompétence qui règne actuellement au sommet de l’Etat, a proposé de soumettre les projets de loi au même régime de correction d’erreurs matérielles que les amendements. Or du point de vue de la Constitution dont l’article 68 dispose que « l’Assemblée nationale établit son règlement intérieur », le gouvernement n’est nullement habilité à participer à la séance plénière de l’Assemblée nationale consacrée à son règlement intérieur au point d’y suggérer un amendement quelconque. Un ministre n’a rien à faire à cette séance. Le ministre l’ignore très certainement. Le seul portefeuille de chargé des Relations avec les institutions ne vaut aucunement carte blanche pour accéder à n’importe quelle séance de l’Assemblée nationale. Le règlement intérieur est la « loi » intérieure de l‘Assemblée nationale fixée par elle-même en tant que corporation autonome. En vertu du principe d’autonomie de l’Assemblée nationale, toute initiative en la matière ne peut être que du ressort des seuls députés.
L’autre inconstitutionnalité à la limite du faux et usage de faux éventrée par le député Moussa MARA, c’est le fait que cet amendement n° 23-article 84 in fine (Nouveau)- quoique rejeté par les députés, a été inséré dans la mouture officielle du règlement intérieur modifié transmis à la Cour constitutionnelle. Il « étend le champ de correction des erreurs matérielles aux projets et propositions de loi et précise que la correction s’effectue en commission et/ ou en plénière sans qu’il soit nécessaire de recourir à un nouvel amendement ». En d’autres termes, l’article 84 in fine (Nouveau) ne procède que du faux et usage de faux validé par l’Arrêt n°2020-05. Il est juridiquement inexistant en tant qu’article modificatif de l’alinéa 1er de l’article 93 du règlement intérieur. Au total, cette double violation de la Constitution n’est rien d’autre que la matérialisation d’une prime décernée à la médiocrité du gouvernement dont les projets de loi sont généralement bourrés d’erreurs. L’amendement permet désormais au gouvernement incompétent, sans grand frais, de solder sa médiocrité séance tenante, à la sauvette, sans recourir à une quelconque procédure d’amendements.
Des amendements tronqués par l’amateurisme juridique de la Cour
Le déphasage de la Cour constitutionnelle avec l’éthique et les valeurs de démocratie semble s‘expliquer parfois par son amateurisme juridique. Le passage suivant de l’Arrêt n°2020-05 en est la meilleure preuve: « Considérant que les articles 87 alinéa 1er, 88 alinéa 4 et 91 in fine(Nouveaux) ajoutent aux moyens de contrôle de l’action du gouvernement par l’Assemblée nationale celui des questions d’actualité, raccourcit de un mois à quinze jours le délai de rappel à faire au gouvernement d’une question écrite et sa conversion en interpellation par l’Assemblée national et non plus par son seul auteur ; que ces dispositions renforcent la diligence et l’efficience du contrôle de l’action gouvernementale par l’Assemblée nationale ; qu’ils ne sont pas contraires à la Constitution ». On ne s’attardera pas ici sur la piètre qualité rédactionnelle de ce passage difficilement intelligible. On se contentera simplement de faire remarquer le considérant était censé traiter intégralement et sans les tronquer, des trois articles amendés que sont l’article 87 alinéa 1er (Nouveau), l’article 88 alinéa 4(Nouveau) et l’article 91 in fine (Nouveau). Or tel n’a pas été le cas. Contrairement à ce que déclare la Cour, l’article 87 alinéa 1er (Nouveau) à proprement parler n’ajoute pas les questions d’actualité en tant qu’innovation aux moyens de contrôle de l’action du gouvernement par l’Assemblée nationale. La preuve en est que l’article 94 du règlement intérieur précise déjà que « durant les questions d’actualité, le banc du gouvernement est occupé par le Premier ministre ou son représentant… ». L’amendement ne fait que mettre de la cohérence avec cet article 94. A cet égard, l’article 87 alinéa 1er (Nouveau) n’a rien de substantielle et relève plutôt de la catégorie des 17 premiers amendements que la Cour qualifie de « simples corrections de lacunes rédactionnelles visant à apporter de la clarté et de la cohérence ». La Cour se plante également sur la portée réelle de l’article 88 alinéa 4 (Nouveau). Contrairement à ses allégations, l’article 88 alinéa 4 (Nouveau) ne raccourcit pas en réalité le délai de rappel d’une question écrite au gouvernement. Le délai de ce rappel n’a guère changé et demeure de 15 jours. Ce qui a changé et dont la Cour ne se rend pas compte, c’est plutôt le temps imparti entre la publication au Journal officiel de la question écrite et la publication au même Journal officiel de la réponse du ministre qui a été réduit d’un mois à 15 jours. C’est-à-dire que le ministre ne dispose plus que de 15 jours pour répondre à une question écrite au-delà desquels, celle-ci fait l’objet d’un rappel lui ouvrant un nouveau délai demeuré inchangé de 15 jours à l’expiration duquel la question écrite est transformée en interpellation. L’amendement ajoute que dans ce cas, cette conversion n’est plus du ressort de l’auteur de la question, mais de l’Assemblée nationale. Enfin, quant à l’article 91 in fine (Nouveau), il est évoqué dans le considérant sans pour autant faire l’objet d’analyse en tant que telle, de la part de la Cour. Nulle part, l’Arrêt ne se prononce expressément sur le cas de la conversion de la question orale en interpellation. La Cour reste muette comme une carpe sur la constitutionnalité de l’article 91 in fine (Nouveau) au regard de la conversion de la question orale en interpellation par l’Assemblée nationale et non plus par son seul auteur.
La constitutionnalisation par dissimulation de la suppression du droit d’interpellation directe du gouvernement par un député
A la différence des cas d’interpellation déjà évoqués que l’on peut considérer comme des interpellations incidentes découlant de la carence d’un ministre à répondre dans les délais impartis à une question écrite ou orale, le règlement intérieur de l’Assemblée nationale a institué un mécanisme que nous qualifions d’interpellation provoquée. Le mécanisme consiste de la part d’un député à interpeller directement le gouvernement dans les conditions prévues ainsi qu’il suit à l’article 93 alinéa 1er : « En dehors des cas d’interpellation visés à l’alinéa 2 de l’article 92, tout député qui désire interpeller le gouvernement sur l’exécution d’un programme adopté par l’Assemblée nationale ou sur une question d’actualité, en informe le Président en séance publique et dépose la demande immédiatement ». L’amendement à cet article revient à piétiner le droit pour le peuple malien, conformément à l’éthique de redevabilité, de voir ses députés contraindre le gouvernement à venir s’expliquer sur sa gestion. L’article 93 alinéa 1er (Nouveau) supprime toute possibilité d’interpellation directe du gouvernement par un député en ces termes : « En dehors des cas d’interpellation visés à l’alinéa 2 de l’article 92, si l’Assemblée nationale désire interpeller le gouvernement sur l’exécution d’un programme adopté par elle ou sur une question d’actualité, le Président de l’Assemblée nationale saisit le chef du gouvernement ». L’article 93 alinéa 1er (Nouveau) symbolise de la manière la plus caractérisée, l’allergie absolue à l’obligation constitutionnelle de redevabilité qui pèse sur le Premier ministre. Retirer toute possibilité d’interpellation directe du gouvernement au député pour la remettre entre les mains de l’Assemblée nationale n’est rien d’autre qu’un acte de déni de démocratie destiné à couvrir d’opacité totale l’action gouvernementale. L’Arrêt n°2020-05 de la Cour va néanmoins constitutionnaliser par dissimulation cet amendement. Pour ce faire, la Cour constitutionnelle va user d’astuces dont la trame est la suivante. Elle va caser comme dans un sac à l’abri des regards, l’article 93 alinéa 1er (Nouveau) dans la catégorie des 17 amendements qui, selon elle, « corrigent de simples lacunes de rédaction ou visent à apporter aux dispositions textuelles plus de clarté, de précision ou de cohérence en vue d’en faciliter la compréhension et l’application ».
Nous avions dénoncé à l’entame de cette réflexion l’arbitraire de cette catégorisation. Nous comprenons mieux maintenant les intentions tapies derrière. En considérant l’article 93 alinéa 1er (Nouveau) comme une simple correction de lacunes rédactionnelles visant simplement à apporter de la clarté et de la cohérence à l’ancien article 93 alinéa 1er, la Cour évite ainsi d’assumer spécifiquement par de l’argumentaire juridique, la constitutionnalité d’un amendement qui opère en réalité une modification substantielle suspecte du règlement intérieur de l’Assemblée nationale. La question de savoir si un député peut directement interpeller ou non le gouvernement ne peut aucunement être considérée comme relevant de la « simple lacune de rédaction ». Cette manœuvre de constitutionnalisation par dissimulation est d’autant plus incompréhensible que les amendements similaires relatifs aux cas des interpellations incidentes (article 88 alinéa 4-nouveau et article 91 in fine-nouveau) sont rangés dans les amendements substantiels de la Cour. Deux poids deux mesures pour quelle intention cachée ? La tache noire de la Cour constitutionnelle continue de ternir l’expérience démocratique malienne déjà durement éprouvée par le deuil des assauts répétés du régime du Président IBK.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)