Plusieurs fois programmé et renvoyé, le projet de loi sur la promotion du genre dans les fonctions nominatives et électives a finalement été adopté par l’Assemblée nationale, lors de sa séance plénière dans la nuit du jeudi à vendredi 13 novembre dernier.
 C’est un évènement historique pour notre pays qui, pour la première de son histoire, se dote d’un instrument pour la promotion de la femme. Historique aussi parce que lors de l’adoption de ce projet de loi, le banc du Gouvernement était occupé par trois femmes. La ministre de la Promotion de la femme, Sangaré Oumou Bah, avait à ses côtés ses collègues de la Justice, Sanogo Aminata Mallé et de la Fonction publique, Diarra Raky Talla.
Désormais, avec l’adoption de ce texte, toutes les nominations dans les emplois publics doivent avoir au moins 30% et 70% au plus de l’un ou de l’autre sexe. Idem pour l’élaboration des listes électorales qui doivent respecter cette prescription légale. Après plusieurs tergiversations, les élus de la nation ont voté ce projet de loi par 115 voix pour, 22 contre et 3 abstentions. Avec l’adoption de ce texte, notre pays entre dans le Panthéon des nations civilisées qui ont fait de la place aux femmes dans les instances décisionnelles. Ce texte a été adopté grâce à l’engagement de la ministre en charge de la Promotion de la femme qui ne s’est jamais découragée. A l’Assemblée nationale, on l’a vue au four et au moulin, s’entretenant avec les élus de la nation pour convaincre ceux qui doutaient encore.
Pourquoi cette loiÂ
Au Mali, les femmes constituent plus de la moitiĂ© de la population totale. Elles sont très actives dans la vie Ă©conomique et sociale du pays. Cependant, elles restent encore très peu reprĂ©sentĂ©es au niveau du Gouvernement, dans les postes de dĂ©cision de l’administration, Ă l’AssemblĂ©e Nationale et dans les organes Ă©lus des collectivitĂ©s. Au niveau du Gouvernement, la femme n’a fait son entrĂ©e, pour la première fois au Mali qu’en…1969. Aujourd’hui, plus de 40 ans après, sur un total de 31 membres, le Gouvernement ne compte que 5 femmes, soit 16%. Cette sous-reprĂ©sentation de la femme est Ă©galement visible dans plusieurs autres instances de dĂ©cision malgrĂ© l’existence d’un grand nombre de femmes qualifiĂ©es et rĂ©pertoriĂ©es, notamment dans le rĂ©pertoire des femmes cadres du Mali Ă©tabli par le Centre national de documentation et d’information sur la femme et l’enfant. La reprĂ©sentation des femmes dans des postes Ă©lectifs ou nominatifs interpelle tous. D’autant plus que le Mali est, sur ce plan, dans une situation de rĂ©gression. Si en 1997, 18 femmes ont pu ĂŞtre Ă©lues Ă l’AssemblĂ©e Nationale, c’est grâce Ă l’application volontaire d’un quota de 30% de femmes aux listes prĂ©sentĂ©es par le parti majoritaire aux Ă©lections lĂ©gislatives. Depuis 2002, on enregistre un recul.
En effet, cela fait maintenant deux lĂ©gislatures que le nombre de femmes parlementaires est en diminution: de 2002 Ă 2007 on dĂ©nombrait 15 femmes sur 147 dĂ©putĂ©s et sur la lĂ©gislature de 2014 Ă 2018, il n’y a que 14 femmes sur 147 dĂ©putĂ©s Ă l’AssemblĂ©e Nationale, soit moins de 10%.
Par ailleurs, au niveau communal, les statistiques font état de 8 maires sur un total de 703. Sur les 10 774 conseillers communaux, on ne compte que 927 femmes. De même, s’agissant des conseillers nationaux on ne dénombre que 6 femmes sur 73, soit également moins de 10%.
Dans l’environnement politique rĂ©gional et mondial actuel, le Mali se place au 66e rang sur 97 pays classĂ©s pour la reprĂ©sentation des femmes dans le gouvernement et au 121e rang sur 145 pays classĂ©s au plan de la reprĂ©sentation dans le parlement (Source: Union Interparlementaire)
Cette sous-reprĂ©sentation des femmes dans les instances dĂ©cisionnelles dĂ©coule, en grande partie, des normes et pesanteurs socioculturelles qui cantonnent gĂ©nĂ©ralement les femmes dans la sphère familiale. La situation d’inĂ©galitĂ© de genre ainsi dĂ©crite empĂŞche les femmes de participer pleinement et efficacement au dĂ©veloppement Ă©conomique et Ă l’Ă©quilibre sociopolitique du pays.
Pourtant, au nombre des engagements du Mali en faveur de la promotion de la femme, on peut citer, entre autres, la Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Ă l’Egard des Femmes (CEDEF), adoptĂ©e en 1979 et ratifiĂ©e par le Mali le 10 septembre 1985 sans aucune rĂ©serve, la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) et son protocole additionnel. Tous ces textes engagent l’Etat Ă adopter des lois et Ă mettre en Ĺ“uvre des mesures d’actions positives visant Ă garantir aux femmes une participation Ă©gale Ă celle des hommes Ă la vie politique et publique.
Selon la ministre de la Promotion de la femme, cette loi permettra aux femmes de participer aux prises de décisions au Mali. A l’en croire, c’est pour récompenser leurs efforts. C’est pourquoi, elle a invité les partis politiques à sensibiliser leurs militants et à encourager les femmes à  se porter candidates. Selon elle, il y a beaucoup de pesanteurs sociales qui empêchent les femmes d’être candidates.
Des exemples Ă suivre
Ce projet de loi n’est pas un cas sans prĂ©cĂ©dent en Afrique. Plusieurs Etats Africains comme le Rwanda, le Burundi, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et la Somalie, signataires des instruments internationaux de dĂ©fense et de promotion des droits des femmes susmentionnĂ©s, ont inscrit un quota dans leur Constitution tandis que des pays comme le Burkina Faso, le Cap Vert, le Ghana, le Liberia et la Sierra Leone ont rĂ©visĂ© leurs lois Ă©lectorales et celles relatives aux partis politiques pour y inscrire le quota applicable aux hommes et aux femmes dans le souci de garantir la reprĂ©sentation d’au moins 30% de l’un ou de l’autre sexe. Quant au SĂ©nĂ©gal, il a optĂ© pour la paritĂ©. Ces mesures ont permis Ă ces pays d’accroitre, de manière significative, la reprĂ©sentativitĂ© des femmes au niveau de certaines instances dĂ©cisionnelles, notamment le parlement. Ainsi au Rwanda, l’introduction du quota a permis d’avoir le plus grand nombre de femmes parlementaires. Après les premières Ă©lections de 2003 qui ont suivi les reformes, ce pays comptait 48% de femmes Ă la Chambre basse et 30% au Senat. Cette reprĂ©sentation qui Ă©tait dĂ©jĂ une performance a Ă©tĂ© portĂ©e, après les Ă©lections de 2008, Ă 56% Ă la Chambre basse et 34,6% au Senat classant ce pays au premier rang mondial.
Youssouf Diallo