Il n’est nul besoin d’être un politologue pour comprendre que le Parti africain pour la solidarité et la justice traverse le moment le plus sombre de son existence. En effet, le Pasj a fini par toucher le fond par le fait des divergences internes, nées du choix controversé de son candidat lors de la dernière présidentielle. Au moment où les observateurs politiques sont encore là à s’interroger sur le devenir de ce parti qui, il faut le reconnaître, risque désormais le pire, ses dirigeants promettent le sursaut. Le parti de l’abeille a-t-il pourtant les ressorts nécessaires pour rebondir ?
L’Adema, en effet, depuis les premières années de sa création, a connu de profondes dissensions au sein de ses directions successives. Pour expliquer cette situation, des observateurs politiques mettent en avant la nature même de ses fondateurs, avec des idéologies politiques et philosophiques différentes, allant du libéralisme au socialisme en passant par la social-démocratie, entre autres. Réunies pour combattre le même ennemi, le régime du général Moussa Traoré en l’occurrence, ces différentes composantes ont vite fait d’afficher leurs divergences une fois la dictature abattue par une insurrection populaire, appuyée par une intervention militaire.
Le parti avait ainsi vécu sa première grosse saignée déjà en 1994, lorsque feu le Prof Mamadou Lamine Traoré claque la porte de la Ruche pour marquer son désaccord avec Alpha Oumar Konaré, qu’il accuse de l’avoir écarté, vice-président du parti qu’il était, du poste de Premier ministre ou de celui de président du Pasj, au profit d’un certain Ibrahim Boubacar Keïta. «Mala», comme on l’appelait de manière affectueuse, et plusieurs de ses proches iront porter le Miria sur les fonts baptismaux.
Six ans plus tard, c’est-à-dire en 2000, c’est IBK qui fera les frais de ses propres ambitions. En effet, lui qui se croyait le successeur attitré du Président Alpha Oumar Konaré, se verra contraint à la démission par le «clan Cmdt» lors du congrès, ledit clan ayant acheté les voix des délégués lorsqu’il s’est agi de renouveler le bureau du Comité exécutif. Le désormais ancien Premier ministre et les siens vont donc fonder le Rassemblement pour le Mali qui, en alliance avec d’autres, va finalement le porter au pouvoir en 2013. L’Adema venait de piquer sa deuxième grave crise. La troisième hémorragie à l’Adema interviendra lors de l’élection présidentielle de 2002 car, les responsables et militants du Pasj ont partagé leurs voix entre le candidat désigné du parti, en l’occurrence Soumaïla Cissé, et un indépendant, Amadou Toumani Touré, qui l’avait emporté. Sous le coup de la trahison, M. Cissé ira créer l’Union pour la République et la démocratie (URD) qui est aujourd’hui l’une des premières forces politiques du Mali. Après le bref épisode de 2007 où des cadres ont exprimé leur colère de voir le parti renoncer à une candidature interne à l’élection du président de la République au profit d’ATT, voici que les démons de la division ont regagné l’Adema lors des dernières élections générales.
Mais, s’il va ainsi sans dire que le Parti africain pour la solidarité et la justice a une expérience des crises, celle qui l’a secoue en ce moment semble particulièrement profonde. Sortie très affaiblie des élections générales de 2013, la première force politique du Mali de la législature sortante risque bien pire car, de l’avis de plusieurs observateurs politiques, l’Adema reste plus que jamais soumise à un avenir des plus sombres au vu des dissensions qui la minent. Cette décente aux enfers, qui prend sa source dans le choix controversé de Dramane Dembélé comme candidat de la Ruche à la dernière élection présidentielle, s’est ainsi aggravée lors des législatives pour lesquelles le Pasj est allé, laminé par une profonde désunion, comme à la présidentielle d’ailleurs. Conséquences : de son statut de première force politique à l’Assemblée nationale avec environ une cinquantaine d’élus, l’Adema a dégringolé à la troisième place avec seulement 16 députés. Un résultat que les responsables du parti ont reconnu largement en deçà des attentes. Ces piètres scores enregistrés en 2013, des observateurs politiques les imputent d’abord à l’amateurisme des responsables du parti qui n’ont eu aucun esprit d’anticipation, alors même que «la politique est un art d’anticipation», enseigne un politologue. Selon ce dernier, en matière politique, il n’y a jamais de victoire sans victoire idéologique. Or, cette dernière à vraisemblablement fait défaut aux responsables abeilles.
La deuxième explication de la baisse de régime de l’Adema, toujours selon notre politologue, tient à l’irresponsabilité du Comité exécutif qui ne se serait pas impliqué dans la formulation des alliances, finissant ainsi de tout chambouler pour le plus grand parti au Mali qui, visiblement, tient désormais sur des pieds d’argile.
Ce dont il y a lieu de convenir, c’est que le parti de l’abeille ne s’est jamais porté aussi mal et le rebondissement que des responsables du parti chantent à corps et à cri n’est peut être pas pour demain. Le sursaut du parti de l’abeille semble d’autant difficile que la situation qu’elle traverse en ce moment, bien plus que la responsabilité de ses dirigeants, est la résultante du discrédit qui pèse sur lui depuis la crise de 2012. En effet, pour bien des Maliens, l’Adema, pour avoir été au cœur de la gestion du pouvoir public qu’elle n’a jamais voulu quitter depuis 1992, est en grande partie responsable de la crise dont le Mali se relève à peine. L’éveil des consciences que les évènements du 22 mars ont suscité chez le peuple qui a exprimé sa volonté de changement, a donc logiquement eu raison de ce parti qui, aux yeux du citoyen, est le symbole de la mal gouvernance qui nous a conduits dans le chaos.
De fait, le parti a vu son image fortement entamée. C’est d’ailleurs l’une des raisons qui expliquent le fait qu’il n’a pu avoir le moindre élu sur liste propre lors des dernières législatives, même si le parti se targue d’être le mieux implanté au Mali. Aussi, le clanisme qui a longtemps été le ventre mou de l’Adema est encore de nos jours vivace entre les membres de son directoire qui, à vrai dire, ne regardent pas dans la même direction. On en veut pour preuve la cacophonie qui a traversé le parti d’abord dans l’entre-deux tours de la présidentielle entre le candidat Dramane Dembélé et le CE, conduit en son temps par Iba N’Diaye, ensuite lorsqu’il s’est agi de l’orientation politique à définir après les législatives. Autre facteur qui compromet l’avenir du Pasj, et des observateurs en conviennent, c’est qu’à l’avenir, le parti pourra difficilement défendre ses idéaux pour la raison qu’au moment où les premiers militants prennent de plus en plus leur distance, la jeunesse du parti reste désorientée pour avoir peu appris des valeurs qui étaient les siennes. De sorte que le géant d’hier ressemble de nos jours à une coquille vide. Dans un tel contexte, il n’y a pas d’illusion à se faire : l’Adema ne reviendra pas de sitôt au devant de la scène politique nationale. Bien au contraire, l’avenir du parti reste plus que jamais compromis, même si ses dirigeants, par ailleurs, promettent le sursaut.
Bakary SOGODOGO