Après le printemps arabe : A quand le printemps africain ?

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En Afrique, 2011 aura été marqué par des événements majeurs qui vont fondamentalement marquer certaines régions du continent. C’est par exemple le cas de ce que les observateurs ont appelé le «Printemps arabe» ! Il s’agit d’une vague de protestations sociopolitiques plus ou moins violentes qui ont eu raison des dictateurs du Maghreb. Ainsi, la Révolution du Jasmin a eu raison de Ben Ali qui a quitté la Tunisie le 14 janvier 2011. Peu de temps après, ce fut le tour de l’Egyptien Hosni Moubarak d’être chassé du pouvoir et maintenu en résidence surveillée. Et le 15 octobre 2011, le Colonel Mouammar Kadhafi a été tué à Syrte par des insurgés armés par l’Otan pour préserver leurs intérêts pétroliers en Libye. Par la suite, la révolution s’est répandue comme le parfum des fleurs printanières à l’ensemble du monde arabe, notamment le Yémen et la Syrie. Mais, contrairement à ce qu’espéraient beaucoup d’observateurs, l’Afrique subsaharienne n’a pas encore été contaminée par les effluves du Jasmin.

«En Afrique sub-saharienne, la vie démocratique s’essouffle, alors que le monde arabo-musulman est en train de faire sa mue sous la pression des populations elles-mêmes, qui ont décidé de se prendre en charge et de revendiquer plus de liberté, plus de droit et plus de développement», disait récemment le maire de Dakar (Sénégal), Khalifa Ababacar Sall, sur un site d’informations (swissinfo.ch). Ces propos traduisent l’espoir de voire l’Afrique au sud du Sahara emboîter le pas au monde arabe pour se libérer des dictateurs qui ne manquent pas d’astuces pour se maintenir au pouvoir. Il s’agit, entre autres, de Paul Biya (Cameroun), Denis Sassou Nguesso (Congo-Brazzaville), Blaise Compaoré (Burkina Faso), Idriss Deby Itno (Tchad), Robert Mugabe (Zimbabwe), Teodoro Obiang Nguema (Guinée-Equatoriale)…

Mais, cet espoir tarde à se concrétiser parce qu’on a n’a pas forcément tiré les enseignements essentiels du Printemps arabe. Celui-ci nous a surtout démontré que seules les populations qui se prennent en charge peuvent réussir leur quête démocratique, parce qu’elles sont conscientes, solidaires et déterminées. Ce constat doit inspirer les populations africaines qui voient aujourd’hui certains régimes en place tripatouiller, manœuvrer pour se maintenir au pouvoir.

Mais, comme le dit l’édile de la capitale sénégalaise, «même si des manifestations ont eu lieu ici ou là, l’Afrique regarde en spectateur l’évolution du monde arabe. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose. Après avoir suivi l’éclosion, il faut connaître le déroulement et tirer les leçons de l’aboutissement». Pour le moment, l’impact du supposé «Printemps arabe» est visiblement très limité sur l’Afrique Subsaharienne. Toutefois, on a observé quelques remous sociopolitiques dans quelques pays comme le Burkina Faso, le Sénégal, la Mauritanie, etc.

Des remous sociopolitiques en attendant la Révolution ?
Dans le pays des Hommes Intègres, la situation sociopolitique s’est soudainement dégradée en mars et avril 2011, quelques mois après la réélection de Blaise Compaoré. Pendant des journées, le régime a été fortement secoué par des émeutes (soldats, commerçants…) à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso, Pô, Tenkodogo, Kaya…

Ce qui a contraint le président Compaoré à limoger son gouvernement et de promettre des réformes en profondeur du système de gouvernance. C’est ainsi qu’a été mis en place un Conseil consultatif sur les réformes politiques (Ccrp) qui, après une large consultation, a remis ses conclusions au président du Faso. N’empêche que des zones d’ombre demeurent toujours, surtout par rapport à l’article 37 de la Constitution portant limitation des mandats présidentiels.

Si Blaise a promis de respecter cette disposition, il ne dit pas «ni en quoi va consister ce respect ni sur quelle version du texte fondamental cela va porter», commente un confrère du journal Le Pays. Pour cet observateur averti de la scène politique de son pays, «certes, les plus optimistes ont vite fait d’interpréter l’engagement du chef de l’Etat burkinabé dans le sens de la non-révision de l’article portant limitation du mandat présidentiel. Ceux-ci ont ainsi prêté au premier des Burkinabé l’intention de ne plus se porter candidat à la prochaine consultation électorale. Etant donné l’ambiguïté du message, qui permet au moins deux interprétations différentes, les tenants de cette thèse peuvent profiter du bénéfice du doute. Toutefois, d’autres lectures qui prendraient la précaution de ne pas aller trop vite en besogne permettraient d’éviter de se laisser duper par des déclarations faites à dessein».

Il est évident que Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 24 ans (depuis le 15 octobre 1987, date de l’assassinat du Capitaine Thomas Sankara), ne ménagera aucune ruse pour s’accorder une large marge de manœuvre par rapport à la suite à donner aux propositions du Ccrp. En tout cas, comme le soulignent de nombreux observateurs, l’idée de la création du Ccrp aura tout de même permis au régime de la IVè République de souffler. «Le peuple burkinabè lui a visiblement accordé un état de grâce, tout en espérant que les réformes qui en sortiront seront en phase avec ses aspirations, et appliquées. Le régime semble ainsi avoir repris en main la situation nationale, mais jusqu’à quand ?», s’interrogent nos confrères de Le Pays. Pour eux, les membres du Ccrp ont «sonné le glas de la pérennité au pouvoir» en votant massivement contre toute révision constitutionnelle. C’est l’un des points majeurs des travaux du Ccrp qui ont marqué ces derniers temps la vie politique au Burkina Faso et qu’on peut considérer comme un acquis par rapport au Printemps arabe.

Me Wade prêt à toutes les ruses pour se maintenir
Au Sénégal, la rue a également contraint le président Wade à renoncer à une réforme constitutionnelle contestée et qui en dit long sur sa volonté ne quitter le pouvoir que pour laisser sa place à son fils. Mais, il a été forcé de renoncer à son idée d’abaisser à 25 % seulement des suffrages exprimés le seuil nécessaire à l’élection d’un «ticket présidentiel» dès le premier tour de la présidentielle de 2012. Ce projet de loi avait été adopté en Conseil des ministres le 16 juin 2011, à huit mois de l’élection présidentielle de février 2012, à laquelle Abdoulaye Wade, 85 ans, est candidat. Une candidature dont la majorité de ses compatriotes ne veulent plus.

Dans sa version initiale, le texte visait à modifier la Constitution pour permettre aux Sénégalais d’élire simultanément, dès 2012, un président et un vice-président sur la base d’un «ticket» qui, pour l’emporter, pouvait ne recueillir au premier tour que 25 % des suffrages exprimés. Ce minimum de voix pour une victoire au premier tour était parmi les dispositions les plus décriées par les opposants au projet.

Pour ses détracteurs, à travers cette initiative, Abdoulaye Wade, arrivé au pouvoir en 2000, entendait se faire réélire avec peu de voix pour ensuite céder le fauteuil à son fils et «Super Ministre», Karim Wade, 42 ans. Le texte sur le «ticket présidentiel» a mis le régime de M. Wade face à une contestation d’ampleur jamais égalée depuis onze ans. Les réactions violentes lui ont sans doute démontré qui bat aujourd’hui tous les records d’impopularité dans un pays démocratique transformé en Monarchie constitutionnelle.

Plusieurs manifestations, certaines marquées par des violences ont été enregistrées dans la capitale. Les protestataires se sont faits entendre jusque dans le camp du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir) et de ses alliés. En effet, des députés de la majorité avaient clairement indiqué leur refus de voter pour le texte. Et peu avant l’annonce du retrait du projet de loi, le chef du groupe parlementaire de la majorité, Doudou Wade, avait interpellé le ministre de la Justice sur la violente contestation du texte. «Je voudrais que vous répondiez à toutes ces personnes qui ont dit qu’il y avait des problèmes dans ce texte et que la paix au Sénégal valait plus que ce texte», aurait-il lancé au ministre.

Des manifestants en colère ont pris pour cible des édifices publics ou symboles du pouvoir, des domiciles de responsables de la majorité présidentielle. Manifestations et interventions de forces de l’ordre ont fait ressembler Dakar par endroits à une ville morte, avec des services publics à l’arrêt, des transports perturbés, des commerces et boutiques fermés, sans piétons, marchands ambulants et véhicules qui se disputent habituellement les rues.

La France et les Etats-Unis avaient émis des réserves sur le projet de réforme. «Les Etats-Unis sont préoccupés par le fait qu’une loi constitutionnelle, qui modifierait de façon aussi fondamentale le système utilisé pour élire le président du Sénégal depuis cinquante ans, ait été proposée sans faire l’objet d’un débat approfondi, significatif et ouvert», pouvait-on alors lire dans un communiqué de l’ambassade américaine à Dakar.

Quant à la France, elle s’était dit aussi «surprise que la réforme constitutionnelle n’ait pas été précédée d’une large concertation». Malgré tout, Me «Diombor» (le Rusé en wolof, surnom donné à Abdoulaye Wade par les Sénégalais) est prêt à se battre contre vents et marrées pour rester au pouvoir. Bien que les jeunes continuent à s’immoler par le feu devant son palais. C’est dire qu’au Sénégal, le Printemps a perdu de son intensité à la rencontre de l’Harmattan, qui soulève de la poussière sans fondamentalement bouleverser le paysage… politique.

Le pouvoir mauritanien contraint à tendre la main à l’opposition

En Mauritanie on a assisté à des remous sociopolitiques dont l’étendue et la simultanéité, selon des observateurs, sont sans précédent dans l’histoire du pays. Mais, ce mécontentement populaire a été beaucoup plus «une fièvre revendicative» plutôt qu’une révolte collective. Les modes d’action privilégiés par les mouvements sociaux de plus en plus diversifiés sont demeurés largement pacifiques, même s’ils ont souvent été d’une grande intensité. Ni les tentatives d’une opposition certes fragilisée, ni les velléités de réprimer les manifestations et les grèves, ni même les compromis sectoriels négociés ici ou là entre administration et protestataires n’ont affecté l’ampleur des mouvements dans le sens d’une radicalisation.

Toutefois, on assiste depuis à une extension des couches sociales touchées, doublée d’une transformation continue des modes d’action. Ainsi, même si le pays n’a pas encore vécu dans un état de révolte brusque et massive, tout se passe comme si toute la société mauritanienne avait décidé de ne plus se laisser condamner au sous-développement et à l’incurie politique.

«Les Mauritaniens découvrent les joies et les misères de la revendication collective. Ils semblent avoir décidé de protester dans le même temps mais pas encore tous ensemble. Ce manque de convergence des demandes et des revendications constitue sans doute une différence formelle qui distingue le cas mauritanien des révoltes que l’on a vues dans certains pays arabes», soulignent Zekeria Ould Ahmed Salem et Boris Samuel dans leur œuvre intitulée «Aux frontières du printemps arabe» (Mai 2011).

Au Mali, certains groupes tentent aujourd’hui de maintenir l’illusion d’un… Printemps malien ! Depuis quelques mois, ils appellent à une mobilisation nationale contre la réforme constitutionnelle. Des manifestions étaient ainsi prévues les 19 novembre passé (un fiasco) et 10 décembre prochain. Réunis au sein du Collectif «Touche pas à ma constitution», ils veulent faire échec au projet de révision constitutionnelle du président de la République. Une révision pourtant adoptée par l’Assemblée nationale à une très forte majorité.
Visiblement, le Collectif ne draine pas les foules parce qu’au même moment, le mouvement pour le «Oui» aux mêmes réformes s’intensifie chaque jour davantage. Cela se comprend aisément parce que beaucoup de Maliens sont aujourd’hui assurés de la pertinence des réformes proposées et surtout de la sincérité du président Amadou Toumani Touré à la fin de ses mandats constitutionnels qui, manifestement, n’a aucune ambition de tripatouiller la constitution pour se maintenir. A commencer par les Partenaires Techniques et Financiers à qui les réformes ont été présentées pour avoir leur adhésion.

L’éventualité d’une contagion tardive
Même si ce printemps arabe à contraint beaucoup de dirigeants à prendre langue avec leurs oppositions, comme en Mauritanie, la contagion ne s’est pas encore produite. Toutefois, il faut reconnaître que les situations en Afrique du Nord et dans le reste du continent sont totalement différentes. Même si des similitudes peuvent être constatées. Ainsi, à quelques exceptions près (Mali, Sénégal, Bénin, Ghana…), la liberté de la presse, la liberté de manifestation… ne sont que pire illusion dans la plupart des pays subsahariens.

Les populations ne jouissent de leurs droits que dans les discours démagogiques. C’était presque le même scénario en Tunisie, en Egypte, en Syrie, au Yémen… Mais, dans ces pays où la censure et l’oppression était la règle, ce sont les populations arabes elles-mêmes qui ont décidé de se battre et de se mobiliser pour leur liberté. Les Africains doivent aujourd’hui s’en inspirer. Surtout que les populations africaines et arabes ont en commun la généralisation du désespoir social et économique qui affecte surtout une jeunesse, composante très majoritaire de la population (60 à 75 %).

Mieux, les fondamentaux sociopolitiques sont presqu’identiques : des régimes anciens, usés, corrompus, autoritaires, face à des citoyens aspirant à la justice, la liberté d’expression et la reconnaissance de leurs droits. La jeunesse, la hausse des prix des produits de base, le chômage de masse des diplômés et les nouvelles techniques de communication sont le fil conducteur de ces contestations de masse.

Et des voix ne cessent de s’élever pour exhorter les Africains à prendre en main leur destin et à revendiquer plus de pouvoir pour les autorités locales. Sans compter que les «Mohamed Bouazizi» (le jeune cadre tunisien devenu commerçant ambulant qui s’est immolé par le feu pour manifester son ras-le-bol) sont légion à Yaoundé, Abidjan, Lomé, Ouagadougou, Dakar, N’Djamena, Bamako… où les 4×4 rutilants et les quartiers résidentiels au luxe indécent côtoient d’immenses zones de pauvreté et de précarité dépourvues de toutes infrastructures sociales de base.

Ce luxe insolent et ostentatoire, fruit de la corruption, du vol et de l’exploitation sans limite des richesses de ces pays n’est plus supportable par la grande majorité d’une jeunesse désœuvrée et dont les ambitions sont sans cesse hypothéquées par le chômage, la gabegie et le népotisme. Les jeunes africains n’aspirent plus seulement à plus de liberté pour se défouler.

Mais, ils veulent du concret dans la gestion de leur pays, ils veulent des politiques responsables, des projets fiables et surtout plus d’équité et de justice dans la répartition des richesses du pays. Ils sont prêts à se battre pour changer la façon dont leurs pays sont gouvernés parce que conscients que la consolidation de la démocratie en Afrique subsaharienne devra passer par là. Et comme le dit Ibrahim Kéita, un jeune leader-chômeur du Mali, ou les pouvoirs le comprennent et anticipent cette révolution, ou les populations prendront le relais comme en Tunisie, en Egypte, en Syrie, au Yémen… ! Les soulèvements populaires dans le monde arabe peuvent donc, à la longue, redonner un souffle d’espoir à la démocratisation de l’Afrique.
Kader Toé

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