Lors de la campagne pour la présidentielle, le paysage politique malien a vu émerger deux grands blocs. D’un côté, l’Alliance pour la Démocratie et le progrès (ADP), regroupant une quarantaine de partis drivée par l’ADEMA-PASJ qui soutenait la candidature d’Amadou Toumani Touré. De l’autre, le Front pour la Démocratie et la République (FDR), une coalition de leaders politiques qui jurait de réaliser l’alternance, emmené par Ibrahim Boubacar Kéïta (IBK) président du RPM et de l’Assemblée Nationale sortante. Mais avec la victoire d’ATT dès le premier tour, les adversaires du camp présidentiel sont contraints de participer aux législatives. Cette contrainte, ajoutée aux derniers évènements dans les rangs de ces vaincus du 29 avril , prouve que tout concourt à un désir de rupture, au sein du FDR.
Surenchère post-électorale avortée
Au lendemain de la présidentielle, les candidats défaits du FDR avaient crié à la fraude, dénoncé une mascarade et réclamé un réexamen des listes électorales. Dans leur logique de surenchère, d’aucuns avaient cru que les frontistes allaient emboîter le pas à l’ex-COPPO (Collectif des Partis Politiques de l’Opposition) né dans la foulée de la crise politique consécutive à la débâcle électorale du 13 avril 2007.
Dans leur colère, les opposants d’alors avaient choisi la rue pour se faire entendre. Après avoir déclaré le boycottage du processus électoral (présidentielle, législatives, municipales), l’opposition avait lancé l’appel à la désobéissance civile, en multipliant meetings, conférences de presse, marches…Comme pour attester la peur des années impaires, des adversaires à ATT envisageaient bel et bien de recourir à la rue, faute d’occuper le fauteuil présidentiel à Koulouba. Et un cocktail était là qui avait l’air d’être explosif.
D’abord, lors d’un meeting tenu au stade Modibo Kéïta, les frontistes avaient durci le ton contre le camp présidentiel :” Nous utiliserons tous les moyens pour nous faire entendre”. Même les moyens illégaux ?
Puis,dans des déclarations, le même ton de guerre était là. A preuve, dans le communiqué de presse daté du 08 mai 2007, le FDR expliquait:“la tenue des élections en juillet est conditionnée à l’audit du fichier électoral, la confection de nouvelles cartes à partir du ficher audité, l’impression des bulletins numérotés à souche avec filigrane à l’extérieur du pays, en tout cas, par un imprimeur non-partisan, la neutralité de l’administration et de l’armée”. Par ce communiqué, le secrétaire général du FDR, le Dr El Madani Diallo, chargeait les religieux de transmettre à qui de droit, à savoir le pouvoir, ses conditions à toute participation aux législatives.
Mais, le pouvoir est resté intransigeant en rejetant une évaluation du fichier électoral. Les élections législatives du 1er et 22 juillet auront bien lieu, comme prévu par le gouvernement. L’opposition qui posait des conditions à sa participation à ce scrutin a donc perdu son combat. Car s’ils ne voulaient pas tout perdre, les adversaires du Président ATT étaient contraints de participer aux législatives qu’ils menaçaient d’ailleurs de boycotter.
Dans tous les cas, la déliquescence du FDR remonte au 8 juin dernier, date de l’investiture du Président de la République Amadou Toumani Touré pour un second mandat. A cette cérémonie, deux des quatre candidats du Front à l’élection présidentielle, à savoir Soumeylou Boubèye Maïga et Tiébilé Dramé, ont brillé par leur absence. Tandis qu’Ibrahim Boubacar kéïta et Mamadou Bakary Sangaré “Blaise” avaient, quant à eux, assisté à la cérémonie, tout comme les trois autres candidats défaits (le Dr Oumar Mariko, Madiassa Maguiraga et Mme Sidibé Aminata Diallo).
Sans parler des querelles intestines qui ne cessaient de mettre à rude épreuve l’unité et la cohésion du groupe. Et le professeur Issa N’Diaye sera le premier à claquer la porte du FDR, dénonçant ainsi certaines pratiques en cours au front.
Le duel
Depuis la fin de la présidentielle du 23 avril, les frontistes ont du mal à retrouver leurs marques. En effet, dans un premier temps, le FDR avait tenté de se livrer à une surenchère post-électorale en menaçant de contester les résultats du scrutin. Mais, la contestation aurait pu avoir un écho favorable si les observateurs (nationaux et internationaux) n’avaient pas reconnu unanimement que le scrutin a été libre, crédible, paisible, transparent…
Alors après des tentatives de chauffer l’opinion à blanc, les frontistes finiront par accepter les résultats de l’élection proclamés par la Cour constitutionnelle. Parce qu’ils se disent légalistes. Une position qui a valu, au FDR, les félicitations de certaines chancelleries étrangères accréditées auprès du gouvernement malien. Mais la tournure prise par les évènements laissera entrevoir l’existence d’un bicéphalisme à la tête du FDR.
Lorsque IBK et Blaise ont accepté de répondre à l’invitation de la Commission d’organisation de la cérémonie d’investiture du président ATT, Soumeylou et Tiébilé Dramé y seront absents. On a entendu dire que le président du Parena, par solidarité au parrain de Convergence 2007 qui n’aurait pas reçu sa carte d’invitation pour assister à la cérémonie du 8 juin, avait proposé aux autres de boycotter ladite cérémonie. Mais cette requête butera sur une fin de non-recevoir d’IBK et de Blaise, certainement pour des raisons diverses.
D’abord, si le FDR a reconnu les résultats du scrutin ainsi que le président réélu, il n’y a pas de raison, après avoir officialisé cette position, que les frontistes déclinent toute invitation à la cérémonie d’investiture du chef de l’Etat. Comme pour dire que la politique de la chaise vide ne sied pas aux hommes qui se disent légalistes.
L’instinct de conservation
Les membres du quatuor n’ont pas le même agenda. Blaise s’est peut-être présenté à la présidentielle pour maintenir le contact avec l’électorat, dans la perspective des batailles politiques à venir. Sinon, avant le scrutin du 29 avril, il était parvenu à se faire élire conseiller national. Mieux, il peut être convaincu d’une chose. Si ATT n’a rien donné à la CDS pendant ses cinq premières années, il n’a pas non plus posé un acte qui puisse nuire au parti de Blaise. Alors il n’y a aucune raison que ce parti entre dans une logique de rébellion contre le Président de la République.
Quant à IBK, dans cette affaire, il avait un combat à gagner contre lui-même. Il a toujours dit qu’il aime le Mali et ne saurait poser des actes pour nuire à son pays. Or, pour cette cérémonie d’investiture, il était invité à double titre : en sa qualité de candidat à l’élection présidentielle et de président de l’Assemblée nationale. En acceptant sa défaite, l’opinion n’aurait pu comprendre sa position. Surtout que lui, (IBK) veut revenir à l’Assemblée. Devait-il être un Kankélétigui qui ne respecte pas sa parole donnée?
En ce qui concerne Tiébilé Dramé, son cas s’apparente à celui de Soumeylou, puisque les deux font l’objet de procédure judiciaire. La justice est en train de contrôler et vérifier leur gestion des sommets de la CEN-SAD (pour Soumeylou) et d’Afrique-France (pour Dramé). Les deux ont presque tout perdu. Dramé voulait être député, mais la liste sur laquelle son nom figurait a été invalidée.
Quant à Soumeylou, chassé de l’Adéma-PASJ, son projet de création d’un nouveau parti est dans l’expectative, puis qu’avec son score à la présidentielle, il s’est rendu à l’évidence qu’il n’a personne avec lui. Ils sont visiblement dans une logique , contrairement à IBK et Blaise, de vouloir contraindre ATT à négocier pour que, de ces négociations rejaillisse quelque chose pour eux.
Eu égard à ces faits, on est souvent amené à croire qu’il y a un désir de rupture au FDR. Dès fois, les frontistes donnent l’impression d’exploiter à fond les situations qui mettent le Chef de l’Etat en difficulté. C’est pourquoi, tantôt on pense qu’IBK a décidé de revenir dans les rangs du camp présidentiel, tant c’est le contraire. A croire qu’il est sous la coupe de ses camarades et que, quelque part, qu’ils jouent tous leur avenir politique, face à ATT.
Oumar SIDIBE
SB du 6 juillet 2007
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