Le désormais ex-chef du gouvernement a déjà gravi tous les échelons de la gouvernance étatique, à l’exception notoire de celui de la présidence de la République. Son prochain cap, au regard des développements politiques dans notre pays, ne peut être que sa candidature en 2012 à la fonction de premier magistrat du Mali. Ce qui ne peut se faire qu’en passant par une certaine voie.
Le mercredi, 30 mars 2011, le Premier ministre Modibo Sidibé et son gouvernement rendent la démission au chef de l’Etat, Amadou Toumani Touré, qui l’accepte. Le président de la République prend aussitôt le décret abrogeant celui qui, il y a un peu plus de trois ans, a nommé M. Sidibé à la tête de l’équipe gouvernementale. Même si de longues semaines durant les Maliens ont été très attentifs aux signaux annonciateurs d’un remaniement ministériel, les plus avertis des hommes politiques d’entre eux, donc les plus qualifiés pour ce genre d’exercice de détection, n’ont certainement pas vu se profiler cette retraite anticipée mais non prématurée et encore moins précipitée du chef du gouvernement. L’effet de surprise n’a certainement pas été total, mais il a contraint les gens avisés à se regarder incognito. Car, en ce jour traditionnel de conseil des ministres, au sommet de l’Etat quelque chose d’important quant à l’avenir prochain de la gouvernance dans notre pays venait de se jouer. Le premier constat est que le décret présidentiel mettant fin à la « mission » du désormais ex-chef du gouvernement sort du sentier battu en prenant un vernis un tantinet dithyrambique à l’endroit du « Missionnaire ». Le deuxième démontre qu’ATT tient bien ses plans et son agenda, et sait prendre à revers à la fois l’opinion publique et la classe politique. A l’évidence, Modibo Sidibé constitue le chapitre le plus important d’une sorte de « Plan B » pour le chef de l’Etat sortant qui donne à présent des raisons de penser qu’il a définitivement renoncé à se maintenir au pouvoir par quelque manège que ce soit.
Cette sagesse soudaine-et comme telle suspecte-de ne pas toucher à des manettes interdites de la constitution de notre pays n’est malheureusement pas dépouillée de vaudevilles. D’abord parce que Amadou Toumani Touré a consacré trop de « choses » et de temps à la conquête par « tous les moyens » du pouvoir d’Etat au Mali pour être aujourd’hui enclin à le céder dans les bonnes règles. Et, une fois son but réalisé, lui qui avait toujours affirmé auparavant (c’est-à-dire avant d’y arriver) dans un média à grande diffusion en Afrique qu’il n’était « pas prêt à laisser n’importe qui prendre le Mali », sa préoccupation première et constante a été de l’exercer en solitaire, tout en déniant aux partis politiques leur prééminence dans le jeu démocratique, faisant et défaisant à sa guise les équilibres politiques, promouvant un consensus trompeur du ventre duquel est née une nouvelle oligarchie affairiste désormais abonnée aux délices du pouvoir au point que la notion même de l’alternance en démocratie est une idée nouvelle à inventer au Mali. Ensuite parce que ATT n’est parvenu au pouvoir, dans un premier temps qu’en perpétrant un coup d’Etat le 26 mars 1991 en marchant sur les plates bandes du Mouvement démocratique insurgé, et, dans un deuxième temps qu’en contournant avec la superbe des manipulations la Loi électorale et qu’en violant les suffrages des citoyens maliens.
Terrain miné
En effet, pour sacrifier au plaisir d’Amadou Toumani Touré et se soumettre au diktat d’une certaine qu’il représente (puisque celle-ci ferait un coup d’Etat s’il n’était pas candidat à l’élection présidentielle de 2002), la démocratie malienne a dû accepter que l’exigence légale de démission de l’armée le concernant pour prendre part à la compétition pour la fonction de président de la République devienne synonyme d’admission à la retraite anticipée. Ce précieux sésame, ramassé au milieu des déchets que génère la formulation sinon confuse, du moins incomplète de la Loi électorale, ne sera d’ailleurs pas la bienheureuse clé à même d’ouvrir pour lui la porte du Palais de Koulouba. A l’issue du premier tour du scrutin présidentiel de 2002, il n’y a guère que 400.000 de nos concitoyens qui voteront pour lui en dépit des énormes moyens et multiples aides la plupart inavouables dont il a bénéficiés. Au même moment, 3,5 millions de Maliens inscrits sur les listes électorales, sans doute écœurés par la voie sinueuse empruntée par ATT pour prendre part à l’élection présidentielle, se sont abstenus d’aller voter. Ils n’ont pas voulu se rendre complices du forfait, sachant que les dés étaient pipés à l’avance pour proclamer un vainqueur déjà élu par la stratégie de l’anticipation, à qui il ne restait donc que d’être proclamé. Mais leur abstention fera d’eux les grands gagnants du premier tour du scrutin présidentiel, en les classant premiers à l’arrivée. Triste et désespérante performance dans une démocratie qui, dès 1992, a pourtant annoncé d’heureuses perspectives. Et, contrainte majeure de pareille élection, les voilà qui s’apprêtaient, même si l’idée leur était des plus effroyables, à affronter dans l’absurde Amadou Toumani Touré au deuxième tour. Mai non, le général admis à la retraite anticipée ne gagne pas encore cet honneur. Les résultats basculent dans l’horreur et l’épouvante. La Cour constitutionnelle, foin de la justice et de l’éthique, annule 541.000 voix au détriment très certainement d’Ibrahim Boubacar Keïta et de Soumaïla Cissé. Ce n’était plus seulement de la mascarade, c’était davantage un coup d’Etat perpétré sans troupes d’élite prenant d’assaut le palais présidentiel, sans fantassins encerclant la Maison de la radio et de la télévision, sans blindés postés aux différents points névralgiques de la capitale, sans même d’escouades de soldats armés jusqu’aux dents placés aux carrefours de la ville. On n’avait eu nul besoin de fermer nos frontières, encore moins de suspendre la constitution et de dissoudre les institutions de la République. Nous avions pourtant bel et bien vécu un coup d’Etat. Si Soumaïla Cissé avait alors eu l’intelligente idée de s’incliner devant le verdict des urnes en laissant s’affronter au deuxième les 3,5 millions d’abstentionnistes et les 541.000 suffrages annulés, il n’y a aucun doute que la situation elle-même aurait procédé au diagnostic clinique de la démocratie malienne, assorti d’une thérapie de choc. Malheureusement, peut-être par naïveté, peut-être aussi par orgueil, en tout cas par un calcul qui n’a pas tenu ses promesses, il a accepté jouer le jeu jusqu’au bout, en allant en gladiateur résolu pour l’ultime corps à corps avec ATT sur un terrain qu’il savait pertinemment miné et où les mines anti-personnelles et autres bombes à fragmentation n’avaient cure d’aucune règlementation. Il sera trahi par son propre parti (l’Adéma- Pasj) et abandonné par les autres partis ayant préféré applaudir leur bourreau commun.
Coup d’Etat subtile
Mais, à l’issue du combat, bien qu’ayant été terrassé, Soumaïla Cissé ne sera pas autant le plus blessé. Amadou Toumani Touré, qui a mis dix ans, de 1992 à 2002, à préparer ce duel final, a dû reconnaître que «l’épreuve a été douloureuse. » Cette grande douleur a accouché, au grand dam de notre démocratie, d’une jurisprudence dont l’effet, à la longue, ne peut être corrosif. Au train où vont les choses, c’est tout simplement l’évidence que la présidence de la République du Mali est vite devenue la chasse gardée des membres des Forces armées et de sécurité. Il suffit à un officier général de se faire admettre à la retraite anticipée pour briguer la magistrature suprême et se faire élire sans coup férir. Les partis politiques, traditionnels piliers de la démocratie, se laissent manger la laine sur le dos, comme s’ils sont désormais obligés de s’accommoder de ce coup d’Etat subtile et de son corollaire, l’ordre kaki velouté. Non sans accepter leur confinement dans le rôle d’accompagnateurs du pouvoir issu de la fine conjuration. Ainsi va la nouvelle démocratie sur les rivages du Djoliba.
La démission de Modibo Sidibé et de son gouvernement entre plutôt dans une telle perspective. L’ancien Premier ministre est un homme qu’il faut, respectable dans la vie courante comme les Maliens qui méritent la considération de leurs concitoyens. Au sein de la nomenklatura et de tous les cols blancs qui ont pignon sur rue, il est même de ceux dont les frasques ne courent pas les rues, un personnage bien en vue à la vie discrète, pas du tout débauché. Ce n’est donc pas sa personne qui rebute, tout le débat concerne la façon dont il est actuellement procédé pour l’amener à être candidat à la fonction de président de la République. Evidence à ne pas chercher à masquer outre mesure, car nulle tête malienne n’est obtuse à ce point de se faire surprendre. Dauphin ou pièce essentielle dans le projet de succession d’Amadou Toumani Touré, Modibo Sidibé est forcément aujourd’hui au cœur du débat. A la base de cette donne, il y a que les sillons tracés en 2000 et 2001 ont été à nouveau creusés en 2010 et 2011 avec, à peu de choses près, les mêmes instruments. Qu’on le sache et qu’on en admette le bien fondé : le labour politique de 2000- 2001, tel qu’il a été réalisé, n’aurait pas donné la récolte de 2002 que l’on connaît si ATT n’avait pas la bénédiction de Alpha Oumar Konaré. Notre héros du 26 mars 1991, à 53 ans, ne se serait jamais fait admettre à la retraite anticipée de l’armée, son unique employeur depuis qu’il est entré dans la vie active, s’il s’était un tant soit peu douté de la complicité active du chef de l’Etat d’alors ; s’il n’avait pas la certitude absolue que, quoiqu’il advienne, son mentor ne le laissera pas tomber, ne peut le laisser choir sans être lui-même entraîné dans la chute. A ce commerce de larrons, si l’on veut bien pardonner notre impertinence, il existe un fonds incommensurable : le président de la République, clé de voûte de nos institutions républicaines, a des moyens insoupçonnés, il est très puissant face à des partis politiques sclérosés la plupart et dont les acteurs sont d’une fragilité déconcertante. Avec la conjonction des mannes financières qui leur tombent dessus en averses et la mégalomanie, voire la paranoïa des uns comme des autres, le vilain tour est vite joué à la démocratie.
Comparaison n’est certainement pas raison, mais les réalités d’hier nous semblent être de mise aujourd’hui encore. Modibo Sidibé est trop homme intelligent et suffisamment avisé pour partir de la police nationale, son employeur en qui il croit tant, sans de précieuses certitudes coulées dans du zinc et soigneusement gardées dans le saint des saints de la République. Surtout qu’à la différence d’ATT, il est, lui, officier général sans troupes, d’élite singulièrement. Là est la question. A peine démissionnaire, on nous apprend que ses partisans sont aussitôt montés à l’assaut des sections de l’Adéma- Pasj. Signe qui ne trombe pas, Modibo Sidibé a déjà gravi tous les échelons dans la gouvernance de l’Etat, à l’exception notoire de la présidence de la République. On ne sait pas quelle étourdie mouche peut le piquer subitement au point de l’amener à se démettre de sa fonction de Premier ministre pour uniquement gratter la partie piquée de son corps. Honnête qui dira qu’il sera bientôt admis à la retraite anticipée pour les besoins de ce qui n’est plus qu’un secret de Polichinelle.
Amadou N’Fa Diallo