C’était à la faveur de la séance plénière ouverte le jeudi 1er juin 2017 avec au menu la délibération sur de nombreux projets de texte littéralement submergés par la loi référendaire, avec en toile de fond la révision de la constitution du 25 février 1992. La question aura en effet polarisé tout l’intérêt et l’effort des députés 48 heures d’horloge à rebondissements et au bout desquelles les positions n’ont pas fondamentalement bougé : la majorité parlementaire a adhéré au projet sans reculer devant se alliés du gouvernement sur ses 80 amendements, tandis que l’opposition est allée jusqu’au de sa logique en rejetant en bloc la loi référendaire.
Le long marathon parlementaire a débuté, jeudi, avec la présentation du texte par le ministre en charge de la Réforme de l’Etat. Face aux parlementaires, l’ancien député Me Kassoum Topo a notamment mis l’accent sur les innovations majeures apportées à la constitution malienne, à savoir : l’avènement d’un bicaméralisme parlementaire permettant d’intégrer les éléments de la charte d’entente nationale et l’Accord pour la paix, la nouvelle approche de la responsabilité pénale du président de la République, etc. Et le ministre de soutenir que la révision n’est pas faite pour le confort ou le caprice d’un homme, arguments tirés du statu quo sur le mandat présidentiel ainsi que sur la nature du régime, un renforcement du pouvoir présidentiel sans verser dans la monarchie. Et, que la détermination de la politique gouvernementale quitte l’escarcelle du chef du gouvernement s’explique tout simplement par le fait que c’est bien le président de la République qu’il est élu par le peuple, a renchéri le ministre, avant de faire rappeler par l’opposant Mody N’Diaye que la constitution malienne est inspirée de la France où la même tâche est encore dévolue au gouvernement.
En résumant à son tour la consistance du projet, le Rapporteur de la Commission des lois constitutionnelles a retenu, lui, son attachement du Mali à l’unité africaine, mais aussi le déverrouillage de la procédure de révision constitutionnelle : la possibilité de faire l’économie d’un référendum pour certaines retouches désormais dévolue au parlement, à l’exception des questions se rapportant à la limitation des mandats du président de la République, des députés et des sénateurs ou à l’atteinte à l’intégrité du territoire. Idem pour la laïcité et la forme républicaine de l’Etat ou encore le multipartisme.
Mais à défaut d’affecter la nature du régime et la forme républicaine en vigueur depuis 1992, les modifications bouleversent tout de même l’ancienne architecture institutionnelle. En effet, il résulte de la création de nouvelles institutions et de la suppression de certaines un chamboulement illogique de la hiérarchie institutionnelle selon lequel la Cour suprême, véritable symbole du pouvoir judiciaire, se retrouve surplombé par la Cour constitutionnelle. C’est d’ailleurs un des points ayant fait l’objet d’une réserve tout comme la désignation des 1/3 du Sénat par le président de la République. Au nombre des innovations figurent par ailleurs la possibilité pour un élu parlementaire de recouvrer son mandat après une éventuelle fonction gouvernementale. Le siège des parlementaires appelés au gouvernement demeurent en clair vacants jusqu’à la fin de leur mission.
- Pommes de discorde tous azimuts
Menée par le député Mody N’Diaye entre autres caciques de l’hémicycle, le front du refus réduit pour sa part la démarche ‘révisionniste’ en trois innovations que sont la création de la Cour des comptes, du Senat et les modifications ayant trait au renforcement des pouvoirs du président de la république. Ils déplorent par ailleurs l’absence de la limite d’âge pour accéder à la plus haute fonction et plaident pour que l’intérim, en cas de vacance présidentielle, revienne au Sénat qui, en plus d’être une émanation des collectivités territoriales, est à l’abri de toute dissolution par le président de République. Et de suggérer dans la même veine que tous les sénateurs soient élus au suffrage universel direct pour éviter deux types de sénateurs : élus et nommé.
Quant à la possibilité de contourner la voie référendaire pour faire modifier la constitution par les chambres réunies, les députés du VRD et l’ensemble de l‘opposition parlementaire estiment que seul un statu quo sur la question constitue un gage de stabilité démocratique. Des arguments balayés d’un revers de la main par la majorité pour qui l’économie d’un référendum se justifie par la cherté du processus électoral tout comme la désignation du tiers des sénateurs par le président de la République est une opportunité de relever le niveau du parlement par le recours à des compétences en dehors du jeu électoral. Quant au choix du président de l’Assemblée nationale pour combler la vacance du poste de président de la République, il repose sur la primauté de leur légitimité élective sur les sénateurs qui sont nommés pour certains, a soutenu la majorité parlementaire.
De la majorité parlementaire on ne saurait dire pour autant qu’elle s’est comportée en mouton de panurge d’un Exécutif auquel elle a infligé 80 amendements défendus jusqu’au bout face aux tentatives du duo gouvernemental Tapo-Bathily. L‘alliance sacrée entre majorité le gouvernement et sa majorité parlementaire n’a pas volé en éclats, mais leurs positions ont vigoureusement achoppé sur l’ordre hiérarchique des institutions, la place de la Cour suprême dans le système et le pouvoir judiciaire, l’immunité parlementaire, la vacance de poste présidentiel, etc. Autant de questions sur lesquelles les deux émissaires du gouvernement ont tenté de faire une totale impasse, comptant notamment sur les affinités politiques pour annihiler tant d’efforts parlementaires abattus en amont pour recueillir les préoccupations, aspirations et attentes de diverses sensibilités du pays sur la révision constitutionnelle. Mais le bras-de-fer entre alliés aura duré plus de 24 heures au bout desquels la suspension du processus de délibération sur le texte n’a été interrompue que grâce à l’implication de Koulouba à travers le président de la République en personne. Lequel est parvenu à un gentleman-agreement avec les députés.
- Le terrain électoral va départager opposition-majorité
Le marathon a finalement repris vendredi après-midi avec l’abandon de 5 amendements sut les 80 initialement introduits par la commission dirigée par le député Zoumana N’Tji Diarra de Bougouni et dont le vote a ouvert la voie à l’adoption de la mouture nouvelle de la constitution de 1992. Le projet a en effet recueilli une écrasante majorité de 111 suffrages contre 35 voix dissidentes de l’opposition, qui n’a sans doute pas dit son dernier mot. Opposition et majorité seront au fait véritablement départagées sur le terrain électoral – dont la voie vient d’être tracée avec le calendrier électoral fixé par l’Administration à l’issue de sa concertation. Annoncée pour le 9 juillet prochain, la consultation du peuple par voie référendaire donnera inévitablement lieu à des épisodes beaucoup plus palpitants que la délibération de la loi y afférente, au regard du test grandeur-nature qu’elle représente pour les deux tendances politiques à une année de la présidentielle. Et l’opposition en a déjà donné le ton en exprimant notamment des réserves sur les conditions dans lesquelles le référendum s’annonce. Intégrité territoriale toujours hypothéquée, sécurité très incertaine, une paix encore illusoire, entre autres, sont les aspects sur lesquels elle a insisté comme pour annoncer les couleurs du rejet et de la contestation.
A KEITA