Analyse ; Comment « traiter » ATT ?

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Le 13 octobre, au détour d’une conversation avec un aîné, magistrat de haut rang dans une juridiction du pays, le débat aboutit à l’analyse politique du Mali d’aujourd’hui. De manière amicale, l’aîné a fait une sollicitation : « Le président Amadou Toumani Touré a certes des défauts, mais je pense que, pour une information équilibrée et objective, il faut également évoquer ses qualités et le travail colossal qu’il effectue au bénéfice du Mali. »

 

Amicalement et fraternellement suggéré, nous acceptons le débat. Cependant, comme prémisse à tout développement, il est utile d’éclairer les lecteurs et l’opinion. Option n’a aucune accointance avec Koulouba. Nous n’avons jamais sollicité ni reçu un sou du palais ou de ses services rattachés ne serait-ce que sous forme d’abonnement ou d’insertion publicitaire. Nous considérons, par ailleurs, que le rôle d’un journal n’est pas d’encenser le pouvoir ni avoir un comportement vulgaire ou grossier à son endroit. Un journaliste n’a, déontologiquement, pas le droit de se muer en porte-parole de l’exécutif. Option s’efforce de faire du journalisme honnête en ayant l’intime conviction que la vérité se trouve le meilleur allié de la démocratie.

 

Cela étant, posons le débat en termes d’analyse et de constat. L’argument principal de notre interlocuteur tourne autour de la phrase suivante : « ATT a énormément fait pour le Mali et impulsé une essor économique palpable. » A ce sujet, il faut être d’une incurable malhonnêteté intellectuelle pour le nier. De 2002 à cette date, ce sont environ 1500 milliards de F CFA qui ont été investis dans les infrastructures (routes, ponts, retenues d’eau, bâtiments publics, hôpitaux…), l’agriculture, l’élevage, la pêche et autres. Les infrastructures sont là, visibles comme le nez au milieu de la face. Prétendre le contraire  relève de la cécité.

Toutefois, une question se pose en termes de gouvernance : Quelle est la proportion engloutie par la corruption, la concussion, la surfacturation. Dix, vingt, trente, cinquante ? On ne le saura jamais puisque le revers du pouvoir actuel est de ne pas sanctionner la mauvaise gestion ou le vol. C’est un laxisme de gouvernance et le dire n’enlève rien à l’utilité et à la véracité des investissements. Des milliers d’emplois ont été crées pour accomplir ce travail.

 

Le second argument de notre interlocuteur est le consensus pour aboutir à la paix sociale et à la stabilité. En effet, arrivé comme indépendant, ATT devait faire preuve d’imagination, de tact et de pondération dans la gestion du pouvoir. Son idée de gouvernance par « consensus » est originale et elle a été applaudie, du moins jusqu’en 2007. Le pays s’est reposé de la « politicaillerie » quotidienne et l’Etat a fonctionné sans couacs majeurs. Jusqu’aux attaques meurtrières du 23 mai 2006 et la résurgence de l’irrédentisme dans le Septentrion. Aussi, le consensus a tué toute dissidence, pourtant vitale en démocratie. Un système démocratique ne fonctionne normalement qu’avec un contre-pouvoir, une opposition aux idées claires et constructives. Faire de la politique ne doit jamais se résumer à une distribution de postes. Dans tous les cas, ATT a atteint, à ce chapitre, son objectif principal : gouverner en paix !

 

L’aîné qui nous titille parlait également de l’aura d’Amadou Toumani Touré à travers le monde. Effectivement, il est indéniable que le général Touré est un label politique positif  pour le Mali. En Afrique, en Europe ou en Amérique du Nord, son prestige n’a pris aucune ride. Ses hôtes étrangers lui témoignent respect et admiration. Et cela fait chaud au cœur de tout Malien sincère. Il s’agit là d’un rapport sociologique qui distingue le « nous » du « eux » dans le traitement des affaires internes. Peut-on logiquement transposer cette logique au Mali et exiger de chaque citoyen du pays de Soundiata la même déférence voire la même idolâtrie envers l’homme du 26  mars 1991? Ce serait tuer la démocratie et son sens. Comprenons-nous bien : La haine personnelle est bête, inutilement méchante et improductive. Il faut faire le distinguo entre l’opposition politique, l’adversité militante et l’inimitié puérile. Pour détester quelqu’un personnellement, il faut sortir du champ politique et apporter un arguent de passif entre individus. L’opposition politique, c’est juste un débat sur le sens du bien commun. La presse rapporte, analyse ou commente, avec la sensibilité de chaque journaliste qui est aussi un citoyen.

 

Il y a aujourd’hui des Maliens qui n’approuvent pas la gestion du pouvoir d’Etat tel qu’exercé par ATT et il leur faut un espace d’expression. Il s’agit de critiques justifiées ou abusives, documentées ou fantaisistes, mais centrées sur la responsabilité du commun vouloir de vie commune. Ces remarques ont écho dans l’opinion grâce à la presse privée, globalement. Le rôle de relais sied à ceux qui assument leur rôle dans le système démocratique.

 

L’essentiel, aujourd’hui au Mali, est de susciter et maintenir en vie le débat sur des questions de principe et des sujets pratiques. Le pouvoir ne peut s’exercer par fragments, c’est un ensemble qui doit être cohérent, structuré, balisé. Il est donc normal d’admirer béatement l’échangeur multiple tout en s’étouffant de colère à la lecture du rapport du Vérificateur général ; le citoyen a le droit de siffler au volant de sa voiture sur le 3ième pont en dénonçant le racket impuni des forces de l’ordre. On serait heureux de recevoir des soins à l’hôpital de Sikasso sans oublier les voltiges et pirouettes de Mme Zeïnab Mint Youba dans ce dossier. Le principe fondamental de la défense de la démocratie est d’exercer les libertés fondamentales et éviter la sacralisation du pouvoir.

 

Dans le permanent et difficile apprentissage de la démocratie, la presse doit garder son rôle de vigile éveillé et alerte. Elle ne doit pas sombrer dans l’apologie, le mercantilisme et la cupidité. La presse libre n’a pas vocation à faire la promotion du pouvoir au détriment des citoyens et de la vérité. Si Option doit en arriver là, nous préférons fermer boutique en toute dignité et honneur. Se faire le porte-parole intéressé d’un système, par nature éphémère, oblige à recourir à des voltiges, revirements et trahisons continus, au gré des alternances. Rendre service au Mali est une entreprise pérenne.

 

Certes, Alpha Oumar Konaré et son successeur Amadou Toumani Touré ont démontré leur amour du Mali et travaillé pour le bien-être collectif, le progrès économique et social. En 23 ans de règne dictatorial et sanguinaire, n’a pas réalisé 10% de leurs œuvres. L’amour que porte ATT à ses flatteurs ne doit pas lui faire oublier que Modibo Kéita et Moussa Traoré avaient le même type de cour royale. Parmi ceux qui le louangent aujourd’hui et lui désignent des ennemis imaginaires, plusieurs étaient aux côtés de Moussa Traoré et tenaient le même langage. Personne parmi ses amis zélés  n’est prêt à se sacrifier pour lui et l’affaire du Code de la famille l’a démontré.

 

En somme, il convient de se rappeler cette pensée d’Agnew, homme politique américain : Si l’on doit choisir entre une démocratie sans gouvernement et une démocratie sans presse libre, il faut choisir une démocratie sans gouvernement. Même s’il ne l’avouera jamais, ATT a pris plusieurs décisions importantes, non pas en écoutant les laudateurs mais en se faisant une opinion parmi les avis des dissidents. Et c’est en cela que la presse critique lui rend service.

 

OPTION

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