Le Mali est à un tournant décisif de son histoire. Le dernier projet d’accord de paix proposé par la médiation internationale a été paraphé par le gouvernement malien. Un document qui peut certes faire l’objet d’amendement mais dont l’ossature nous impose désormais des réformes de la loi fondamentale malienne. Mais, les autorités ne doivent surtout pas accepter d’octroyer des privilèges ou des traitements préférentiels aux régions du nord et à ses ressortissants sans faire autant pour les autres régions du pays. Des changements profonds sont attendus dans l’arsenal juridique national. La profondeur des réformes à venir nous acheminera-t-elle vers une quatrième République pour obtenir une paix durable et véritable au nord ? Ou s’agira-t-il seulement d’amender la Constitution actuelle pour faciliter la transposition du futur accord de paix dans le droit positif malien ? L’Administration IBK est attendue pour faire un travail de fond avec nos constitutionnalistes au risque de voir le futur accord de paix rejeté par la Cour Constitutionnelle désormais dirigé par une Dame de fer, Mme Manassa Danioko.
Les constitutionnalistes sont généralement d’accords sur le fait que la Loi fondamentale d’un Etat qu’est la Constitution répond à une situation globale. Elle n’a pas vocation à rester figée mais elle change au gré de l’évolution socio politique du pays. C’est la raison pour laquelle, le Mali a adopté au sortir du coup d’Etat populaire mené par le Colonel ATT en 1991, une nouvelle loi fondamentale mettant fin au régime de Moussa Traoré et consacrant l’avènement de la démocratie multipartite et l’essor des libertés publiques et individuelles. La troisième République était née.
Vingt ans plus tard, le coup d’Etat du 22 mars 2012 a sonné le glas d’une démocratie de Crystal que l’on présentait bien volontiers comme une innovation en matière de gouvernance. En réalité, la « démocratie consensuelle » de ATT qui inhibait tout esprit de critique du pouvoir en place a fortement affaibli les Institutions de la République. Après la chute institutionnelle, puis celle des trois grandes villes du septentrion malien aux mains du MNLA et de ses alliés islamistes, une chute brutale ouvrit les yeux des maliens sur les défaillances jusque là inimaginable de l’Armée Nationale. Une chute brutale qui mit à nue l’extrême fragilité de l’appareil d’État. S’en est suivi une année d’exactions des plus horribles de l’histoire du Mali sur les populations locales. Cette crise multidimensionnelle passée, l’heure est désormais au recueil des leçons. Car, les maliens ne veulent plus vivre pareille situation.
Et si le salut du peuple malien passait par une révision constitutionnelle ?
Améliorer la gouvernance en luttant contre la corruption généralisée et institutionnalisée, résoudre la crise du septentrion malien tout en stabilisant les zones menacées par des jihadistes et autre narco trafiquants, l’école malienne, le prix des denrées de première nécessité sont autant de défis que doit relever le Mali dans toute sa composante. Mais, c’est bel et bien, le futur accord de paix d’Alger qui nous oblige à réviser notre constitution. Le Premier ministre Modibo Keita l’avait reconnu à demi-mot lors de son adresse aux représentants de la Société civile et des Partis politiques, le 28 février dernier : « Le Gouvernement demeure profondément attaché au respect de la constitution aussi longtemps qu’elle n’aura pas été révisée par le Peuple souverain du Mali,… ». Une déclaration qui montre que l’Administration IBK sait d’ores et déjà que cette révision est quasi inévitable.
Il est bien évident que le Mali d’aujourd’hui et celui de 1992 sont bien différents. Quoi de plus normal donc que sa Constitution s’adapte à cette évolution.
Les points essentiels à surveiller en cas de révision constitutionnelle
Le Peuple malien verra d’un très mauvais œil la signature d’un accord de paix qui consacre l’existence de deux catégories de citoyens. Ceux du nord et les autres. Cet accord ne doit être signé que si les maliens de Kayes à Kidal jouissent des mêmes droits et devoirs. En bon père de famille, l’Etat doit prendre les mesures qu’il faut et considérer tous ses fils sur le même pied d’égalité. Autrement, le pays se trouverait coupé en deux et les ressentiments entre les différentes populations seraient exacerbés. D’autant plus que nos frères touareg et arabes jouissent de facilités lors de recrutement pour les différents corps de la fonction publique. Cette directive avait été adoptée afin d’intégrer une couche sensible de la société malienne au plus haut sommet de l’Etat en cultivant au cœur des plus réticents d’entre eux l’esprit patriotique et d’appartenance à une même Nation. Des années plus tard, beaucoup de ceux-là qui sont devenus les enfants gâtés de la République n’ont pas hésité à prendre les armes contre l’Etat qui les a nourris. Reprendre encore une fois une telle politique de discrimination plus que positive à la faveur de la signature du futur accord serait une erreur monumentale dont on ne mesure pas toute la portée. Les avantages administratifs et même financiers devront également être les mêmes pour toutes les régions du Mali. Et cette clause devra être formalisée dans la nouvelle constitution. Il y va de la cohésion de la Nation malienne, qui se veut arc-en-ciel et unie.
De plus, la future révision constitutionnelle ne devra pas se borner à transposer les futurs accords de paix. Elle devra tout simplement servir de prétexte, pour modifier tout ce qui doit être modifié, dans la Constitution pour sa réactualisation à l’aune des nouveaux enjeux socio-politique et culturel du Mali nouveau. D’autres dispositions peuvent faire l’objet de rajout comme l’officialisation des langues nationales du pays, l’obligation pour le chef de l’État de dresser annuellement l’état de la Nation, de revoir le délai des 40 jours pour l’organisation d’élections présidentielles à la suite d’une vacance de la présidence de la République. En somme remettre sur la table le rapport Daba Diawara. Tout comme en 1991, l’organisation d’une Conférence nationale à laquelle seront conviées toutes les composantes de la Nation malienne permettrait de déterminer les contours de la future Constitution. Au cours de cette Conférence également, il pourra être décidé si l’on veut modifier la Constitution entièrement en passant directement à la IVe République ou si l’on veut opérer des changements ciblés, des amendements. En tous cas, la nécessité de réformer notre loi fondamentale se fait ardente.
En ce qui concerne l’accord de paix d’Alger, dans les règles de l’art, la Cour constitutionnelle devra vérifier sa conformité avec la Constitution en vigueur avant qu’il ne soit définitivement signé par l’État et les groupes rebelles. Si les autorités maliennes commettent l’erreur de ne point toucher à la Constitution, Mme Manassa Danioko, dame de fer, bardée de diplômes en Droit, n’hésitera certainement pas à rejeter l’accord. Mais, d’ores et déjà, le Premier ministre a implicitement reconnu la nécessité d’une révision constitutionnelle. Espérons-le dans les tous prochains jours.
En somme, il faudra veiller dans le texte des futurs accords d’Alger que les droits et privilèges soient les mêmes pour tous les ressortissants de toutes les régions du Mali. Réviser ou amender, au choix, la Constitution pour la rendre conforme auxdits accords par un exercice participatif de toutes les composantes de la société malienne au cours d’une Conférence Nationale bis. L’Administration IBK doit vivement saisir cette opportunité pour remettre à jour la loi fondamentale. Transmettre la version finale de l’Accord à la Cour Constitutionnelle qui ne pourra, alors, que l’approuver. Et enfin, signer l’Accord en toute légalité. Il s’agit là, certes d’un long processus mais indispensable à la quiétude de l’Etat malien.
(Encadré)
Constitution rigide, souple ou mixte, quel mode conviendrait-il le plus au Mali ?
Les constitutions rigides comme celle du Mali n’est pas modifiable par une simple loi référendaire. Cela veut dire que l’on ne peut modifier une de ses dispositions quelconques que par referendum et jamais par une reforme ordinaire. Même les ponctuations ont une valeur sacrée dans ce type de Constitution. Généralement, sa révision intervient lors de profonds bouleversements affectant son mode de gouvernance suite à un coup d’État, à une guerre ou à une Révolution.
Les constitutions souples sont tout à fait le contraire. La Constitution peut faire l’objet d’amendement à l’infini juste par une loi ordinaire votée par la majorité parlementaire. Et il n’est point question de changer de République. C’est le système adopté par les États anglo-saxons. Ainsi, les États-Unis d’Amérique ont gardé depuis leur création une seule et même Constitution, celle du 17 septembre 1787, considérée comme l’une des plus vieilles au monde. Elle a été modifiée 27 fois par 27 amendements différents.
Les constitutions mixtes, ont adopté un mode de révision mixte. Au Sénégal, par exemple, des articles de la Constitution peuvent faire l’objet de modification ou d’amendement tout en maintenant les autres dispositions. Chez notre voisin, la troisième constitution, celle de 1963 a été révisée à six reprises. Avec l’adoption de la constitution de 2001, le mandat présidentiel a été ramené de 7 à 5 ans, dans un premier temps. Mais en 2008, le mandat est redevenu de 7 ans et le parlement est devenu bicaméral composé d’une Assemblée nationale réunissant 150 députés et d’un Sénat grâce à une révision constitutionnelle. Cela, sans changer de République. Cette même constitution est toujours en vigueur au Sénégal et il n’est pas exclu que le mandat présidentiel soit de nouveau modifié. Mais là, les articles pouvant faire l’objet de révision sont fixés en avance.
Le dernier mot revient au Peuple malien
L’actuelle constitution fixe les modalités de révision en son article 118. La forme laïque et républicaine de l’État ne peuvent faire objet de modification. Aussi, le peuple en dernier ressort donnera son aval ou pas au projet de Constitution qui lui sera soumis : « … La révision n’est définitive qu’après avoir été approuvée par référendum. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire. La forme républicaine et la laïcité de l’État ainsi que le multipartisme ne peuvent faire l’objet de révision ».
En définitive, peu importe le mode de révision choisi. L’essentiel, c’est de prendre conscience que la Constitution actuelle est, en plusieurs points, non conforme avec la situation actuelle et qu’il faille la modifier. Le choix du mode de révision en plus de plusieurs autres détails feront l’objet de débats sans ambages au cours de la Conférence Nationale bis.
Ahmed M. Thiam
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