AMADOU TOUMANI TOURE: Président du Parti des attentes déçues

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Je me permets de faire le porte-parole de tous les Maliens d’en bas qui souffrent de la mauvaise gestion de votre pouvoir. Etant en contact direct avec le petit peuple, je rendrai fidèlement son message en espérant trouver une oreille attentive. Peut être que certains de vos collaborateurs en savent plus que moi, mais ont-ils le courage de vous expliquer exactement le mécontentement des Maliens ? Les plus honnêtes craignant pour leur place, les malhonnêtes attendant qu’advienne le pire et ironiser : « c’est bien fait pour cet ATT qui pensait réussir ».
 
La vérité serait la partie la plus amère d’un débat. Elle est incontestablement aussi la plus importante partie de tout échange d’idées. Tout le monde est condamné à l’appréhender dans toutes ses dimensions et la gérer comme une prescription divine, car la vérité est Allah. « Elle ne crève pas les yeux, mais les rougit », marmottent les bamanans. Au lieu de porter à votre connaissance les cris de détresse des populations, votre entourage, vous fait croire que ceux qui critiquent, (je préfère ceux qui pleurent), ne vous aiment pas, alors qu’eux non plus ne vous chérissent guère. C’est ça, la vérité.
La preuve est que, tous les cadres, tous les responsables politiques (en particulier ceux du Mouvement citoyen) que j’ai rencontrés ces cinq dernières années, aucun n’a discuté du développement du Mali avec moi. Chacun se bornant à causer de sa carrière professionnelle et du bon ou mauvais traitement dont est l’objet sa formation politique.
Autre preuve, un homme politique, c’est avant tout le pouvoir, c’est le nom, c’est une idéologie. L’argent compte bien entendu, mais il vient après. Monsieur le président, avez-vous réfléchi un peu sur le pourquoi de ces renoncements ? Pour quel intérêt, ceux qui doivent être considérés comme vos adversaires se récusent de la conquête du pouvoir ? La réponse est toute simple, ces gens-là, n’ont rien dans le crâne pour diriger un pays. Seul l’argent du pays les intéresse.
Je ne parlerai pas du mauvais choix porté sur des gens que vous avez vous-même nommés pour vous aider à gouverner le pays. A l’heure du bilan, vous serez seul comptable devant le peuple. Je mettrai plutôt l’accent sur le galvaudage du patrimoine national par des parasites qui vivent aux crochets de l’Etat. Par leur faute, mais surtout avec votre indulgence, le changement se fait toujours attendre.
La mutation est toujours attendue par les membres « du Parti de la demande sociale dont vous étiez encore le président en juin 2002 ». Votre peuple qui croupit dans le dénuement, patiente dans la dignité de voir les premières lueurs d’un lendemain plus prospère, quasiment cinq ans après avoir placé sur vous son espoir. A huit mois de la fin de votre premier mandat et certainement au seuil d’un second, personne ne se fait plus d’illusion. Vous vous êtes écarté de leur chemin en pactisant avec les démons.
Au lieu de vous doter de moyens pour ne pas faire justement comme vos prédécesseurs, vous avez tendu la perche à ceux qui sont malheureusement à la base des échecs des régimes passés. En tout cas, à ceux qui s’adonnent aux mêmes pratiques. Cela s’est traduit par la paralysie du système qui devrait nous permettre de cheminer sur les voies du développement durable, menant certainement au bien-être auquel tout le monde aspire.
Mais comme les rhétoriques patriotiques nous nourrissent d’espoir béat, alors nous sommes obligés d’espérer sur un lointain avenir que tous souhaitent radieux. En attendant, nous regrettons de constater aujourd’hui, comme il y a 30 ans, sous le règne du fils de Toumani Touré, dès le premier chant du coq, le chef de famille malien sort sur la pointe des pieds parce que n’ayant pas 1000 petits F CFA à donner à sa femme pour l’unique repas du jour. Comme il y a 30 ans, le travailleur malien tire le diable par la corne en puisant dans les caisses de son service pour compléter les 30 000 F CFA de salaire de misère que lui verse l’Etat à la fin du mois.
Comme il y a 30 ans, la femme est obligée de tromper son pauvre mari en chauffant le lit du cadre voleur ou du commerçant corrupteur, simplement parce qu’elle doit acheter l’ordonnance de l’enfant qui est malade, le revenu du mari ne le permettant pas. Toujours comme par le passé, l’étudiant marche pour non-paiement de sa bourse.
Monsieur le président, ne vous laissez pas enthousiasmer par les foules de curieux qui jalonnent les routes lors de vos visites à l’intérieur du pays. Votre peuple souffre de la grande misère et il commence déjà à murmurer. N’attendez pas qu’il grogne pour apporter la solution appropriée.
 
Mauvaise répartition des revenus en cause…
Je ne disserterai pas sur les grandes théories des macro économistes, tous inféodés aux institutions financières. Je me fonde sur combien j’ai, et combien je peux donner. Autrement dit, combien l’Etat malien génère comme revenus et comment les repartir entre tous les 13 millions de Maliens. Je laisse de côté les dépenses estimées à 935,759 milliards de F CFA. Il est absurde de dépenser ce qu’on n’a pas. Considérons les 840,740 milliards de recettes, c’est-à-dire ce que nous gagnons de par le travail des Maliens. Divisons ce montant par 13 millions, chacun aura : 64 672 307 F CFA par an.
Cette somme devrait être la part de chaque Malien. Mais, une minorité qui prétend gouverner à notre nom s’accapare de l’essentiel de cet argent. Je devine le sourire de certains en disant que ce n’est pas réaliste de penser qu’on puisse partager ainsi, les revenus d’une nation. Bien sûr que non, il s’agit de faire en sorte que le travailleur ait un salaire conséquent et que le prix au producteur soit à hauteur de son labeur. Si la répartition est bien faite, on assurera une bonne éducation gratuite aux enfants et les soins de santé de base seront aussi gratuits.
Je m’explique davantage. Sur les treize millions de Maliens, environ huit ont entre 0 et 15 ans, donc qui ne produisent pas. Ce sont leurs parts qui constitueront les poches de dépenses et des investissements. Soit : 64 672 307 x 8 millions = près de 517,378 milliards. Moins les superflus qui sont détournés par ceux qui ont en charge la gestion des fonds publics, ce montant suffit largement pour nos investissements annuels. Le reste de l’enveloppe sera toujours reparti entre l’ensemble des populations, ceux qui ne produisent pas étant à la charge des autres que je désignerai volontiers les parents à qui ont doit forcément verser leurs parts.
Cela nous donne plus de 323,361 milliards divisés par cinq millions, soit 64 672 306.
Si je prends les chiffres de la Banque mondiale, le revenu par personne et par an au Mali est estimé à 130 000 F CFA. Comme vous le voyez chers lecteurs, l’argent du Mali profite à un petit groupe : le président et ses compagnons, les gouverneurs et leurs disciples, les ministres et les barons de leurs partis… Bref, ils ne sont pas plus de 1500 Maliens qui détournent tout notre argent.
L’argent du Mali, s’il est bien reparti, permet bien de lutter contre la pauvreté, comme ailleurs, à la place du Smig (salaire minimum interprofessionnel garanti qui est un peu moins de 30 000 F CFA au Mali), on peut payer un salaire minimum de 125 000 francs aux ouvriers, 400 000 francs aux cadres moyens et 800 000 aux cadres supérieurs comme au Sénégal. Je prends l’exemple sur ce pays, parce que comme toute ressource, il n’a que la mer de laquelle il tire l’essentiel de ses revenus.
Il est important de souligner à ce niveau, que le Sénégal comparativement à certains pays, ne bénéficie pas grand-chose de l’océan. Excepté le Mali, ses autres voisins ont tous des débouchés sur la mer. Par contre le Mali possède des ressources animales et minières très importantes. Sans compter nos potentialités agricoles. Toute chose que le Sénégal n’a pas. Pour, à peu près le même nombre de populations (13 millions), le budget 2006 de ce pays est estimé à 1300 milliards de F CFA : 627,8 pour les dépenses et 613,3 milliards pour les investissements.
Si le Sénégal est à ce résultat, c’est parce que les recouvrements des recettes de l’Etat s’effectuent assez correctement, le vol n’est pas systématique et les excédents budgétaires sont reversés au Trésor. Au Sénégal, un militaire du rang gagne 80 000 F CFA, 250 000 pour un sous-officier en fin de carrière. Un professeur d’enseignement secondaire touche un salaire moyen mensuel, de 196 845 (enseignants fonctionnaires). Les vacataires (bac et plus) gagnent environ 93 000 F Cfa, tous bénéficiant d’un plan de carrière.
 
L’instabilité politique favorisée
Monsieur le président, les Maliens attendaient de vous, une remise en cause des pratiques anciennes. Vous devriez veiller à la bonne collecte des recettes et leur juste répartition entre tous les citoyens du Mali. Vous devriez empêcher les détournements, mais ce sont vos plus proches collaborateurs qui s’illustrent par des pratiques dignes d’Arsène Lupin. Notre argent sert à payer des voyages de prestige aux membres du gouvernement, aux directeurs, aux conseillers et même à leurs amantes.
L’argent du pays sert à payer les frais de scolarité aux fils des grands commis de l’Etat, au même moment nos enfants, les progénitures de simples citoyens étudient sous des paillotes. Lorsque des ministres constituent des parcs automobiles à domicile (une voiture pour chaque membre de la famille), d’honnêtes citoyens bravent le soleil et la pluie pour trouver le prix de l’unique plat quotidien.
Quand avec l’argent du coton, les manitous du pays se construisent des châteaux, les paysans meurent par manque de soins. Lorsqu’on dit aux travailleurs qu’on ne peut pas augmenter leurs salaires, au même moment des chargés de mission bâtissent des villas après à peine quatre ans de fonction.
La corruption a envahi tous les niveaux de la fonction publique. Les pots-de-vin et le détournement de fonds qui font partie de la culture ont favorisé la mauvaise gestion et entraîné le gaspillage des ressources nationales. Cela a eu pour effet d’intensifier l’instabilité politique, car l’accession aux fonctions politiques n’en est que plus convoitée. Dans cette ambiance de corruption, il n’est pas possible d’obtenir les investissements nécessaires à la relance économique, Monsieur le président.
A présent, on ne sait plus où donner la tête. L’élection d’ATT serait-elle devenue un chaos pour notre peuple ?
Abdoul Karim Dramé

(journaliste indépendant)

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