Sujet d’actualité, l’Alternance démocratique en Afrique a été au centre d’une interview que l’ancien député du Mandé, ancien membre du parlement panafricain, Lanceni Balla Kéita a bien voulue nous accorder. Lisez sa vision, exempte de tout fait partisan.
Tjikan :En tant qu’ancien Membre du Parlement Panafricain, pouvez-vous nous dire ce que le Parlement Panafricain a mis en place comme mécanisme de renforcement de la Démocratie et de la gouvernance en Afrique ?
Lanceni Balla Kéita : Le Parlement Panafricain (PAP) existe depuis 10 ans. Il travaille en étroite collaboration avec l’Union Africaine, même si jusqu’ici il a un statut consultatif.
Dans le domaine du renforcement de la démocratie et de la bonne gouvernance l’Union Africaine a fait adopter par ses Chefs d’Etat le 30 Janvier 2007, la Charte Africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance.
Le document est constitué de 53 articles, rédigé en 4 exemplaires originaux en langue Arabe, Anglais, Française et Portugaise. Le Président de la Commission de l’Union Africaine a fait parvenir à chaque état membre signataire les copies certifiées pour passer à la ratification. Une copie a été envoyée également au Secrétaire Général des Nations Unies.
C’est une grande avancée en matière de démocratie et de la gouvernance en Afrique si jamais elle est mise en application, conformément à son esprit.
De quoi parle –t- elle exactement ?
LBK : Les Chapitres de la Charte parlent surtout de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme, de la culture démocratique et de la paix, des institutions démocratiques, des ‘’élections démocratique et de la gouvernance politique, économique et sociale’’. Bref, de tous ceux qui nous font défaut dans nos pays.
La dite charte est-elle en vigueur ?
LBK : Elle a eu un accouchement difficile en ce qui concerne sa rentrée en vigueur. Après son adoption le 30 Janvier 2007, elle devrait rentrer en vigueur 30 jours après le dépôt du 15ème instrument ratifié. A cette date seule l’Ethiopie et la Mauritanie, paradoxalement deux pays où l’indice démocratique est faible l’avaient ratifié et 26 autres n’avaient ni signé, ni ratifié le document y compris le Mali.
Il a fallu attendre le 12 Février 2012 exactement pour voir la Charte entrer en vigueur avec la ratification par 15 +2 pays et encore sans le Mali.
Nous étions cinq Parlementaires Maliens à l’époque mandatés au PAP. Il s’agit des honorables Ibrahim Boubacar KEITA, Mountaga TALL, Mme Ascofaré Ouélématou TAMBOURA, Mme Coulibaly Kadiatou SAMAKE et moi-même. Nous avons mis des pieds et des mains de 2008 à 2012 afin que le Mali, dont l’avènement à la démocratie a été fait dans le sang, donc mesurant plus la portée de la dite charte, soit parmi les 15 premiers pays à ratifier, mais en vain, peine perdue.
Dans cette démarche, nous avons été appuyés par la Commission des Affaires Etrangères de l’Assemblée Nationale du Mali qui était engagée autant que nous membres du PAP pour obtenir son ratification avant son entrée en vigueur.
Où était donc le blocage ?
LBK : Le blocage se trouvait au niveau du Ministère des Affaires Etrangères à Koulouba. Ni Moctar OUANE, ni Soumeylou Boubéye MAIGA et même le Président Amadou Toumani TOURE n’ont rien entrepris par l’envoyer à l’Assemblée Nationale. Cela est étonnant de la part des acteurs du mouvement démocratique. Par ce jeu de cache-cache le Mali a raté encore une occasion pour rester un modèle démocratique en Africains.
D’autres cas de paradoxes concernant la ratification de cette charte existent. Par exemple, le Bénin qui se vante d’être le laboratoire démocratique en Afrique et de surcroit le pays du Président de l’Union Africaine à l’époque n’avait pas encore signé la charte à la veille de son entrée en vigueur en Février 2012.Yayi BONI était accusé par l’opposition de vouloir changer la constitution.
Le Burkina-Faso fait partie des premiers qui l’ont ratifiée avant Février 2012. Malgré cela, le Président Blaise s’est fait prendre au piège du changement constitutionnel.
Disons que les chefs d’Etat, qui étaient dans l’option de déverrouiller leurs constitutions respectives ont trainé les pas dans la ratification. Dieu seul sait qu’ils étaient nombreux !
En ce qui concerne le Mali, l’Assemblée Nationale a ratifié la charte le 17 Avril 2013, après qu’il soit rattrapé par la crise institutionnelle du 22 Mars 2012. Deux acteurs sont à féliciter pour ce faire. Il s’agit du Pr Dioncounda TRAORE et de Mr Tiéman COULIBALY Ministre des Affaires Etrangères du Mali qui n’ont ménagé aucun effort pour faire rentrer le Mali en crise dans le concert des pays démocratiques en Afrique.
Qu’est-ce que le PAP a fait concrètement pour promouvoir la ratification ?
LBK : L’ONG-AWEPA qui est une organisation des parlementaires Européens n’est pas restée en marge de la démarche du PAP.
En effet, elle a financé et appuyé une campagne de plaidoyer des Parlementaires du PAP, dénommée 11 before 11. Ce plaidoyer invitait 11 pays à ratifier la charte avant le 11ème mois c’est dire avant Novembre 2011. Ces plaidoyers se sont passés en Afrique de l’ouest les 14 et 15 Juillet 2011 au Burkina-Faso, en Afrique centrale, en Afrique de l’est et en Afrique australe.
Comme vous pouvez le constater, le PAP a aussi participé à toutes les élections en Afrique à partir de 2007 en y envoyant ses membres comme observateurs pour s’assurer que les règles fondamentales de la démocratie sont respectées.
L’Union Africaine fait-elle assez pour éviter le cas type récent du Burkina-Faso ?
LBK : Dans le chapitre VIII intitulé :
Des sanctions en cas de changement anticonstitutionnel de Gouvernement, dans l’article 23, il y a une série de pratiques qui sont bien condamnées par la charte. Il s’agit, entre autres, du putsch ou coup d’état contre un gouvernement démocratiquement élu, du cas de refus par un gouvernement en place de remettre le pouvoir au parti ou au candidat vainqueur à l’issue d’élections libres, justes et régulières, ainsi que de l’amendement ou toute révision de constitutions ou d’instruments juridiques qui portent atteinte aux principes de l’alternance démocratique.
Ce dernier cas est le plus fréquent en Afrique : l’Algérie, le Togo, la République Démocratique du Congo (RDC), le Congo Brazza tout récemment le Burkina-Faso sont soupçonnés d’aller dans ce sens.
Au Mali, quelques partis politiques alimentaires à l’approche de Juin 2012 ont chanté sur tous les toits qu’il fallait un troisième mandat pour Amadou Toumani Touré, comme si la Constitution du Mali ne limitait pas le mandat à deux.
Je sais que le Président Alpha en 2002 a échoué dans sa tentative de prolonger son bail avec le peuple malien. Le RPM et la Cour Constitutionnelle lui en ont empêché.
Au Sénégal le Président Aboulaye WADE âgé de 86 ans a voulu changer la constitution pour aller à un troisième mandat. Les Partis de l’opposition et la société civile lui ont fauché l’herbe sous les pieds en allant en bloc contre lui pendant les élections. Il a été battu à plate couture.
En Algérie le Président Bouteflika l’a fait, en étant entre la vie et la mort alors que l’Algérie a ratifié la charte.
Le Zimbabwe fait partie des pays ayant ratifié la dite charte, mais Mougabé a battu tous les records de prolongation de mandat en Afrique.
L’Union Africaine a des mécanismes de prévention, mais elle ne les met jamais pratiquement en application ou alors timidement. C’est toujours le Médecin après la Mort.
C’est la même chose pour les Grandes Puissances qui endossent une position toujours floue tant que leurs intérêts ne sont pas menacés. Tout le monde savait que Blaise était depuis longtemps dans la logique de tripatouiller la constitution pour une 2ème fois. Ni l’Union Africaine, ni la CEDEAO, ni les Nations Unies, ni la Francophonie n’ont levé le bout du doigt pour dénoncer de telles pratiques anti-démocratiques. Au niveau des chefs d’Etat Africain, la loi du silence a toujours prévalue dans de tel cas. Je les comprends. Je pense que la commission de l’Union Africaine est la mieux indiquée pour dénoncer avec véhémence de telles pratiques.
La société civile Africaine dans les pays démocratiques doivent aussi faire entendre leurs voix. Même les partis politiques Africains dont les pays ont ratifié la charte doivent donner de la voix et ne doivent pas rester ‘’bouche bouclée’’.
Les partis politiques du Mali devraient être les premiers à dénoncer le changement planifié par Blaise, étant entendu que le Mali est voisin du Burkina, donc connait bien les réalités de l’espace politique Burkinabé.
Mais Blaise a oublié que son peuple avait évolué de mentalité, il l’a sous-estimé. Pour les autres pays dans le viseur du tripatouillage constitutionnel, les Organisations Internationales, les partis politiques et les sociétés civiles Africains ont le temps de prendre le taureau par les cornes.
Quelle explication donnez-vous à cet état de fait ?
LBK : Chaque société est caractérisée par quatre dimensions à savoir la distance hiérarchique, le contrôle de l’Incertitude, la Masculinité et l’individualisme.
L’étude du comportement humain montre que nous avons un instinct de domination. La mise en œuvre de cet instinct varie d’une société à l’autre. L’étendue de la domination fait que son degré d’acceptation ou refus est bas ou élevé. Ce phénomène est régi par la mesure de la distance hiérarchique, qui se mesure à la perception que le subordonné a du pouvoir de son chef. Elle définit le type de commandement dans la société.
La société n’est pas statique, elle évolue. La mesure de ces changements culturels, se fait à travers les mutations des valeurs de la société. Comme explication, je me réfère à une étude réalisée à la suite de l’enquête HERMES entre 1967-1973 par une grande société multinationale Américaine dont l’objectif était de définir les différents types de commandement pour les cinq continents. Ladite société est présente dans 100 pays et n’emploie que des nationaux.
L’enquête a prouvé qu’on peut lier l’origine de la distance hiératique au lieu géographique. Plus le pays est proche de l’équateur (pays chauds), plus la distance hiérarchique est grande. Plus il est près du pôle (pays froids), plus la distance hiérarchique est courte. Elle peut être fondée aussi sur le besoin de technologie comme condition indispensable de la survie de la société.
Plus le besoin est moins fort, la distance hiérarchique est élevée. Plus le besoin est plus fort, la distance hiérarchique est courte. Si vous constatez dans les pays à distance hiérarchique longue, le climat est chaud et méditerranéen, la société a moins besoins de procédé technique pour survivre, les lois ne s’appliquent pas à ceux qui sont perchés haut dans la société, le besoin d’instruction des classes populaires est faible, il y a peu de mobilité sociale, et on constate le faible développement de la classe moyenne, la richesse est concentrée entre les mains d’une oligarchie ou de groupes de militaires, le pouvoir politique est centralisé, il y a la dominance de la religion qui permet les stratifications dans la société, la référence est faite aux idéologies magnifiant le pouvoir.
Enfin, les employés à col blanc ont un statut social supérieur à celui des ouvriers ou des paysans.
Ceux qui détiennent le pouvoir apparaissent aussi puissants que possible. Dans ces pays, la meilleure façon de changer un système c’est de le renverser. Sur ce plan, l’Afrique a été le continent des putschs de l’Indépendance à maintenant.
On constate également dans ces pays qu’un conflit latent existe entre ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas. Des changements brusques existent dans les formes de gouvernements (Révolution ou Instabilité).
La participation entre gens sans pouvoir est difficile à obtenir, à cause de leur méfiance dans les autres.
On constate dans l’arène politique une bipolarisation entre la gauche et la droite avec un centre faible.
Si la constitution de gouvernement découle du résultat d’une élection, il est généralement formé plus souvent par des partis ne défendant pas l’égalité des hommes.
Dans les pays à distance hiérarchique longue, la fiscalité protège la richesse.
Dans les pays ou le tripatouillage constitutionnel se fait, les dirigeants pensent avoir à faire au même peuple tout le temps. Comme le disait le philosophe Démocrite ‘’on ne se lave pas deux fois dans le même fleuve’’. La deuxième fois ça ne sera pas la même eau. Ils ne mesurent pas les changements, à travers les mutations des valeurs sociétales.
Voici donc l’explication scientifique que je peux donner à cette manie de ces nombreux dirigeants Africains toujours dans la logique d’être l’Homme indispensable.
Badou.S. Koba