Dans son adresse à la Nation dimanche soir, le président de la République, Ibrahim Boubacar Keïta, a annoncé une batterie de mesures en vue d’apaiser le climat socio-politique. Dans les lignes qui suivent, deux anciens Premiers ministres, Soumeylou Boubèye Maïga et Moussa Mara, livrent leur analyse du message du chef de l’État
Soumeylou Boubèye Maïga : «EN TERMES DE SOLUTIONS, LE PRÉSIDENT DOIT ALLER PLUS LOIN»
Je pense que la décision de s’adresser à la Nation est bonne, parce que la parole du président était attendue. Globalement, je peux dire qu’il a bien énuméré les problèmes auxquels nous faisons face. Maintenant ce qui est attendu du président, c’est qu’au-delà du constat, il puisse prendre des décisions qui correspondent à la gravité potentielle de la situation. Et de ce point de vue, je pense qu’en termes de solutions, le président doit aller beaucoup plus loin et être au-dessus de la mêlée en restant habité en permanence par sa mission, qui est d’aider à reconstruire le pays sur des bases de cohésion, de consensus.
De ce point de vue là, pour moi la question centrale, c’est d’abord la question institutionnelle. Parce que par rapport aux différents défis que le président de la République a énoncés et qui font l’objet de revendications et de préoccupations de la part des populations, nous ne pourrions relever aucun de ces défis s’il n’y a pas une confiance absolue des citoyens dans les institutions.
Comme il l’a indiqué lui-même, les dernières élections législatives ont donné naissance à une crise importante, des frustrations importantes. Mais surtout au-delà des frustrations, c’est que le traitement qui a été réservé aux différentes situations a entraîné une crise de confiance au niveau des citoyens dans le processus électoral et une défiance envers la Cour constitutionnelle qui est quand même une pièce essentielle de l’état de droit et du processus démocratique.
Je pense en particulier que le président doit, l’un après l’autre, utiliser les articles 42 (dissolution de l’Assemblée nationale Ndlr) et 50 (les pouvoirs exceptionnels Ndlr) de la Constitution. Et décider de consacrer une partie du reste de son mandat à la mise en œuvre des réformes qui ont été adoptées lors du Dialogue national inclusif (DNI) qui a été un grand moment de consensus. Nous pensons que si le président utilise l’article 42 et l’article 50, en ce moment le mécanisme de suivi des recommandations du DNI pourrait jouer le rôle législatif qui a été celui du CTSP (Comité de transition pour le salut du peuple) pendant la transition.
Bien sûr, ce mécanisme de suivi doit être dûment constitué, être très représentatif des différentes composantes de la Nation, de manière à assurer la mise en œuvre de ces réformes sous le leadership du président de la République. Et en ce moment là, nous pourrions refaire les élections législatives et engager ce que le président lui-même a déclaré lors de la clôture du DNI : engager la deuxième génération de notre architecture institutionnelle.
Cette démarche me semble être primordiale, si on veut rétablir la confiance avec l’opinion, avec les populations ; la confiance dans les institutions. Parce que, je pense que les institutions qui ne bénéficient pas d’une large adhésion des populations ne pourraient pas mettre en œuvre les solutions qui sont envisagées.
Les mesures qui ont été indiquées dans le discours du chef de l’État doivent être davantage précisées, adossées à des délais assez précis pour les populations. Parce que il y a là-dans des mesures de court terme, des mesures de moyen terme et des mesures de long terme. Je crois que ce qui est fondamental aujourd’hui, c’est de reconstruire la confiance dans les institutions.
Parce que, quelle que soit la valeur des mesures qui sont annoncées, si la confiance ne règne pas, elles ne peuvent pas être mises en œuvre. Or, nous avions déjà une crise structurelle multidimensionnelle qui est assez profonde, parce que nous avons connu un cumul de situations de crises. Donc, cette crise là nécessite que le pays puisse se ressouder pour avancer d’un seul pas vers les solutions. Dès lors qu’il y a, au-delà des frustrations, une crise de confiance assez réelle, je pense que ça peut être extrêmement compliqué de mettre en œuvre, même les mesures qui, techniquement, sont adéquates.
La générosité d’un discours politique ne suffit pas à en assurer la bonne mise en œuvre. L’adhésion, la confiance des citoyens, la légitimité des institutions sont aussi importantes. Je pense que la légitimité du président étant indiscutable, il lui appartient d’user de cette légitimité pour utiliser les moyens constitutionnels qui sont à sa disposition. Et en la circonstance, je considère que nécessité fait loi, nous ne devons être freinés par aucun tabou pour pouvoir aboutir à la stabilisation de notre pays.
Je crois qu’il y a un principe d’opportunité qui lui donne aujourd’hui l’occasion de poursuivre son travail de reconstruction, au-delà de toutes autres considérations.
Moussa Mara : «LE CHEF DE L’ÉTAT AURAIT DÛ ANNONCER DES DÉCISIONS RÉPONDANT AUX RÉCRIMINATIONS»
Le chef de l’État aurait dû annoncer de façon concrète des décisions répondant directement aux récriminations des populations. Il devrait également, pour des actions de moyen terme, fixer des perspectives concrètes, des délais et des résultats à atteindre. Rien de tout cela. Il a prononcé une allocution standard comme si le pays vivait une situation standard quoi que difficile.
Il faut qu’il redresse la barre et il faut surtout que le Cadre d’actions, de médiation et de veille des confessions religieuses et des organisations de la société civile lui fassent remarquer clairement qu’il n’a pas pris la bonne mesure de la situation et qu’il faut agir autrement et vite.
Propos recueillis par
Massa SIDIBÉ et Aminata DIALLO