C’est la première fois qu’il n’y a eu aucune nomination lors d’un Conseil des ministres, mais seulement la prise d’un Décret abrogeant les Décrets de nomination des directeurs administratifs et financiers (DAF) et des directeurs chargés des ressources humaines et du matériel DRHM). Selon le porte-parole du gouvernement, Sidiki Nfa Konaté, ce Décret pris le mercredi passé par le « gouvernement de mission » est « un signal fort » dans le cadre du « renouveau de l’action publique ».
Mais, depuis la publication de ce Décret, les Maliens ne savent plus ce qui se passe, ou du moins ce qui est en train de se tramer. Aussi se posent-ils plein de questions auxquelles il ne leur sera probablement pas facile d’obtenir des réponses satisfaisantes, dans la mesure où le ministre Konaté leur a laissé sur leur faim. En effet, aucune raison valable et convaincante n’a été avancée pour justifier cette décision. Pourquoi le Conseil des ministres a-t-il décidé de démettre de leurs fonctions tous les DAF et DRHM ? Pourquoi avoir pris cette décision maintenant, et cela, à moins d’une année des futures échéances électorales ?
Ces DAF et DRHF n’ont-ils pas travaillé dans les différents ministères avant même que ATT n’accède au pouvoir ? N’a-t-on pas fait d’eux des boucs émissaires pour protéger certains ministres ou pour démontrer au peuple que la lutte contre la corruption et la délinquance financière est une réalité et non un leurre? Si tel est le cas, ATT ne démontre-t-il pas, par ce geste, que durant tous ses deux mandats, il a favorisé et encouragé cette pratique relevant de l’incivisme ? Du reste, qui a choisi ces DAF ?
Si c’est le Président de la République lui-même, ne pourrait-on pas dire qu’il les a protégés pendant de longues années ? Si ce sont les ministres qui les nomment, ne doivent-ils pas aussi subir le même sort ? Pourquoi n’a-t-on jamais fait allusion à ces ministres ? Un DAF peut-il passer tout son temps à détourner l’argent des contribuables sans que son ministre de tutelle n’en soit au courant ? Pourquoi certains ministres ont-ils été reconduits alors que l’Etat vient de démontrer publiquement qu’il y a des problèmes dans tous départements de l’ancien gouvernement ? Sont-ils innocents dans le détournement de l’argent de leurs DAF et des DRHF?
Que se passera-t-il après l’abrogation des décrets de nomination des DAF, des DRHM et des DRHF? Le peuple n’ignore-t-il pas la personnalité des DAF qui ont été démis de leurs fonctions ? Qui les remplaceront ? Le gouvernement fera-t-il correctement « l’enquête de moralité » qu’il a lui-même initiée ? Pourquoi cette enquête de moralité n’a-t-elle pas été faite avant la nomination des anciens DAF et DRHF? N’était-elle pas nécessaire, ou bien c’était le temps qui pressait ? Qu’est-ce qui prouve que ce ne seront pas les mêmes DAF et DRHF qui seront reconduits ? Le Chef de l’Etat ne voudrait-il pas gérer sournoisement un règlement de compte par peur de ne pas offenser les vrais coupables qui pourraient être des « intouchables » ? Sinon, il est impossible que toutes ces personnes soient impliquées dans cette affaire. Mais si cette décision est un des futurs actes majeurs du « gouvernement de mission », cela ne signifie-t-il pas que l’ancien gouvernement n’avait aucune mission et qu’il n’a fait que faire régresser le pays ?
Le peuple malien a besoin de réponses à toutes ces questions, car il n’est plus influencé par des gestes de « fanfaronnade » : il faudra que la suite de cette affaire soit logique et claire. Le peuple malien ne peut saluer cette décision « osée » que lorsque le Chef de l’Etat situera les responsabilités. Si la mission de ce gouvernement est réelle et effective, aucun ancien ministre ne doit sortir indemne dans cette histoire, car c’est maintenant que la « chasse à l’homme » risque de commencer.
Cependant, beaucoup de Maliens regrettent cette décision combien inopportune prise par l’Etat. En effet, ce n’est pas à un pas de la fin des deux mandats successifs de ATT qu’une telle décision devait être prise : si corruption et délinquance financière il y avait, le Président de la République en était informé ; mais malheureusement, il semble avoir laissé les coupables agir librement, et probablement impunément, avant de les renvoyer. C’est une honte que notre chaîne diffuse une information parlant de « l’abrogation des décrets de nomination des DAF et des directeurs des ressources humaines et du matériel».
Le Chef de l’Etat vient ainsi de signifier publiquement que durant tout son mandat, la corruption a atteint son paroxysme et qu’il est incapable de choisir des hommes et des femmes capables d’assurer la bonne gestion et le développement du pays. Ce qui est dramatique, sinon ironique dans la prise de ce Décret en Conseil de ministres, c’est le fait de dire que le nouveau gouvernement est « un gouvernement de mission ».
Sidi Dembélé, Correspondant à Ségou