100 jours à la Primature : Le cynisme est dans le timing

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Abdoulaye Idrissa Maïga au Campement Kangaba pour fêter les 100 jours de son arrivé à la tête du gouvernement
Abdoulaye Idrissa Maïga au Campement Kangaba pour fêter les 100 jours de son arrivé à la tête du gouvernement

Au bout de 100 symboliques jours à la primature, Abdoulaye Idrissa Maïga se dit satisfait de son bilan à mi-parcours. Et pour cause : il y a eu, selon lui, des avancées. Le mois d’avril a permis de « panser les plaies », celles des tensions vives que le « dialogue social » a permis d’apaiser avec les syndicats. Le mois de mai a vu le vote par la grande majorité des députés du projet de révision constitutionnelle, bien entendu sans que le Premier ministre « se doute de ce qu’il allait advenir » par la suite.

Le mois de juin a été l’adoption de la Déclaration de politique générale (DPG). Bref, selon AIM, les « premiers résultats sont ceux qui étaient attendus ». Vraiment, étaient-ce ceux-là attendus pour le Mali ? Pour résumer, le PM a « le sentiment que nous sommes passés par des turbulences ; que nous sommes en haute mer, plus près de la berge de la paix ».

L’analogie pour se justifier en matière sécuritaire

L’assurance dont le chef de gouvernement fait montre pour apprécier ses premiers 100 jours est telle qu’on se demande si nous sommes dans le même pays. Nous sommes bien d’accord avec lui lorsqu’il dit ne pas être « inquiet », son rôle étant d’apporter justement « la quiétude » aux populations. Mais justifier ou expliquer l’insécurité, le terrorisme par la seule analogie qui consiste à dire « ça se passe partout, ce n’est pas seulement chez nous… » n’est certainement pas une réponse satisfaisante de nature à rassurer les Maliens. Ainsi, après la Cour constitutionnelle qui parle d’ « insécurité résiduelle », on se retrouve avec un Premier ministre qui, lui, constate tout simplement une « insécurité généralisée », à laquelle même les plus puissants ont du mal à faire face. « Comparaison n’est pas raison », dit-on, et c’est pour trouver des solutions à leurs problèmes que les populations font confiance à tel ou tel candidat, pas pour entendre dire que  le phénomène est généralisé. Et le Premier ministre doit savoir, si ce n’est pas encore le cas, que le Mali se porte plus mal qu’avant l’arrivée d’IBK au pouvoir, et pas mieux depuis que lui est chef de gouvernement. La tuerie quasi quotidienne des militaires, les événements récents entre la CMA et Gatia, l’attentat contre le blogueur « Madou ka journal », les menaces de mort contre d’autres, les vitres brisées du véhicule de l’épouse du chef de file de l’opposition (un message certainement), l’opération musclée d’une milice devant l’ORTM contre des mouvements pas proches du régime…et surtout, et surtout ces différentes marches « An sô na », « An tara A bana »…ne sont certainement pas de nature à rassurer un chef de gouvernement, encore moins un peuple. Cela dépasse largement le cadre de la vitalité de la démocratie, pour se situer désormais dans la « zone rouge », celle de tous les risques. Si au moins AIM avait choisi Kidal comme symbole pour célébrer ou marquer ses premiers 100 jours, les Maliens et Maliennes seraient certainement ravis et gonflés d’espoir.

Le PM dit que « l’argument est remplacé par des invectives » ; cela est peut-être vrai, mais ce dont on parle ici, ce sont des faits réels. Et puis, comme on dit, « il n’est pire aveugle que celui qui ne veut pas voir » ; et c’est justement cette « disposition à ne rien voir » qui pousse aux invectives, que nous n’encourageons aucunement, malgré tout. Quand le PM trouve que nous sommes « plus près de la berge de la paix », nous, de notre côté, estimons être « plus près peut-être de la berge du sable mouvant » des groupes armés, de la CMA et de ses alliés français et de la Minusma. Aussi, « que celui qui a des oreilles pour entendre entende » dit le proverbe.

Front social : le cynisme est dans le timing

Abdoulaye I. Maïga se félicite d’avoir su calmer le front social en ébullition au moment de son arrivée à la Primature. Il doit comprendre que les Maliens sont loin d’être dupes. Ils ont vite compris que les soi-disant succès, engrangés en quelques semaines, sont le résultat d’une politique que l’on peut qualifier de « cynique » en quelque sorte. En effet, la lecture de nombre de Maliens sur cette question est très simple : « Le RPM a laissé pourrir la situation avec tous les PM qui se sont succédés, ne faisant rien pour leur faciliter la tâche. Et, à l’approche de nouvelles échéances électorales, on installe un des Nôtres qui va faire la différence avec ses prédécesseurs ; qui, comme s’il avait une baguette magique, réussit à enrayer tous ces grands maux qui minaient la société. Histoire de se refaire une nouvelle image, empreinte de notoriété à l’orée des prochaines joutes électorales ». C’est comme cela que de nombreux Maliens expliquent les « prouesses » d’AIM. Et ils y voient une forte dose de cynisme, en ce sens que laisser s’entasser les problèmes et autres rancœurs, laisser les populations à leur triste sort au nom d’un malin calcul politicien, cela ne saurait s’appeler autrement que du « cynisme ».

Et puis, le foyer de tension est-il vraiment éteint ?

Nous n’en sommes autant sûrs que le chef de gouvernement. En effet, au moment où il se félicitait de ce résultat obtenu avec les syndicats, le Syndicat national de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique (SNESUP) était et observe encore une grève illimitée, pour non-respect notamment des engagements pris par le gouvernement de ce même Abdoulaye I. Maïga. Par ailleurs, l’UNTM et le Syndicat des travailleurs de l’administration sont sur les dents concernant des mesures envisagées par l’Office central de lutte contre l’enrichissement illicite et portant notamment sur la déclaration des biens de certains fonctionnaires. Selon certaines sources, le syndicat de la Santé et d’autres envisageraient une autre grève pour les mêmes raisons avancées par le SNESUP, à savoir le non-respect des engagements. Pour rappel, le gouvernement de son prédécesseur Modibo Keïta, avait, lui aussi, obtenu des accords avec les mouvements syndicaux. Mais c’est justement parce qu’il n’avait pas appliqué l’accord qu’AIM devait faire face à de vieilles revendications cumulées au fil du temps, et devant être gérées au nom de la continuité de l’Etat. Aussi, avec toutes les insatisfactions qui se murmurent encore, on se demande si AIM n’est pas finalement sur la trace de ses prédécesseurs, et s’il ne crie pas victoire un peu trop vite.

Le vote à l’AN du Projet de Révision Constitutionnelle : une satisfaction ?

C’est tout de même curieux de voir le Premier ministre se satisfaire du vote par les députés du Projet de Révision Constitutionnelle. En effet, AIM sait, en tant que chef de l’administration publique, que ce projet n’a respecté aucune procédure habituelle et légale avant son adoption au forceps par les députés. Aucun département ministériel ne s’est, comme c’est de coutume, penché sur ledit document. Qui aurait dû passer par d’autres voies : conseil de cabinet à la primature, réunion interministérielle. Au-delà et mieux, un tel texte aurait dû faire l’objet d’un large débat national ; ce qui n’a pas été le cas. Le document a été parachuté à l’AN et adopté à la va-vite, l’Exécutif disposant d’une majorité absolue, soumise à lui, et non au peuple dont elle n’est pas sûre d’avoir la confiance en cas de dissolution du parlement. La suite, chacun la connaît. D’où l’étonnement qui peut être le nôtre de voir le Premier ministre se référer à cet épisode fâcheux de l’histoire de l’administration publique (qu’il dirige) pour arrondir les angles de son bilan à mi-parcours. Mais quel parcours mouvementé ! Et quels lendemains incertains !

La Rédaction

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