Suite à l’article ‘’ Le Mali, la France et les traîtres’’, paru dans le numéro spécial du 19 septembre dernier, nous avons reçu la réaction de l’ambassadeur de France au Mali, Son Excellence Christian Rouyer. Nous proposons sa mise au point et nos commentaires.
Monsieur le Directeur de publication,
J’ai lu avec intérêt votre éditorial "Entre nous" de ce jour.
Je n’entrerai pas dans une polémique concernant l’interprétation du passé (à chacun sa vérité !) et les propos systématiquement malveillants à l’égard d’un pays qui reste l’un des principaux pourvoyeurs d’aide au développement du Mali.
Ambassadeur de France, vous comprendrez que je me pose tout de même une question simple et légitime. Vous affirmez que "la France impérialiste" (on se croirait à la "belle époque" de la guerre froide, à croire que la pérestroïka n’a pas atteint le Mali) "semble avoir choisi comme son cheval favori pour mettre la gestion du pays de Modibo Keïta sous sa tutelle".
A qui pensez-vous ? Et sur quels fondements ?
Les bras m’en tombent.
Bien à vous
Son Excellence, Christian Rouyer, ambassadeur de France au Mali
Les commentaires de la rédaction !
Votre Excellence, nous saluons votre prise de position. Cependant, nous vous aurions su gré de relever dans l’article incriminé, les prétendus ‘’propos systématiquement malveillants’’ à l’égard de votre pays.
En se référant au contexte historique évoqué par l’article, la France n’est-elle pas, en réalité, un pays impérialiste et (néo)colonialiste ? La pérestroïka dont vous semblez parler avec fierté est-elle une invention française ? La France et la Russie ont-elles la même politique africaine ? Le pays de Gorbatchev soutient-il votre hyper interventionnisme en Afrique ? A dire vrai, nous ne voyons aucun rapport entre le contenu de notre éditorial et votre « pérestroïka ».
Tout ce que nous avons écrit sur le passé l’avait déjà été, à maintes occasions. Et bien sûr, il s’agit de la Vérité ! Pour nous, la relecture du passé est différente de son interprétation. Ceux qui interprètent sont ceux qui cherchent à travestir des faits pour créer leur vérité capable de soulager leur conscience des zones d’ombre de la colonisation. Et nous comprenons que ceux qui souffrent d’une amnésie sélective puisse l’occulter les travers du passé qu’ils perpétuent, pour mieux revivre aujourd’hui encore des restes du souvenir d’une « belle époque » qu’ils regrettent.
Nous non plus, nous n’avons aucune envie de polémiquer sur ce passé. Des archives sont là qui peuvent être consultées à tout moment pour relever différents cas d’ingérence de la ‘’France colonialiste’’ dans les politiques intérieures du Mali. Même au-delà.
La prise de position de votre service employeur, le ministère des Affaires étrangères qui a fait rédiger un article par l’une de ses voix officieuses, l’Afp, nous paraît suspecte. Mais nous prenons acte cette déclaration de son porte-parole selon laquelle, "la France applique un principe fondamental dans sa politique étrangère qui est celui de non-ingérence dans les affaires politiques intérieures d’un autre pays".
Pour lever toute équivoque, nous republions l’article incriminé.
51ème anniversaire de l’indépendance :
Le Mali, la France et les traîtres
22 septembre 1960-22 septembre 2011. Il y a 51 ans, soit plus d’un demi siècle, que Modibo Kéïta et ses compagnons proclamaient l’indépendance du Mali au grand dam de la France du Général de Gaulle qui avait usé de toute son influence pour éclater la fédération du Mali. Modibo Kéïta qui venait de blesser dans son orgueil la France colonialiste, en ouvrant la voie de la liberté au peuple malien, va rester au pouvoir pendant huit années au cours desquelles il posera les jalons d’un Etat affranchi de tout lien avec l’ancienne puissance coloniale. Le 18 novembre 1968, un groupe de jeunes soldats, sans une grande formation militaire et intellectuelle, ignorant tout de la gestion d’un Etat, va mettre fin au régime socialiste en confiant le pays à un certain Lieutenant Moussa Traoré. Celui-là même qui était chargé de l’instruction de la fameuse milice qui avait largement contribué à rendre impopulaire le régime de Modibo. Pour comprendre les raisons profondes de ce coup de force, il faut lire l’universitaire alter-mondialiste, Aminata Dramane Traoré. Dans son ouvrage,’’ Le viol de l’imaginaire’’, elle écrit : ‘’Le tort de la première génération de décideurs maliens fut de tenir tête à la France en nationalisant les entreprises et en en créant d’autres de même statut, en recentrant la production sur les besoins des consommateurs, en se dotant d’une monnaie nationale -le franc malien-, en fermant les bases militaires françaises. La France, défiée, a torpillé le Mali en quête de liberté et d’autonomie. La coopération avec le bloc de l’Est fut interprétée, selon le jeu des alliances de l’époque, comme une trahison qui n’allait pas rester impunie…’’ Les régimes qui se sont succédés depuis la chute de Modibo Kéïta ont aussi de plonger le pays dans une situation socio-économique indescriptible. Amadou Seydou Traoré, l’une des rares figures emblématiques du mouvement de libération nationale encore vivant, a eu l’ingénieuse idée d’intituler l’un de ses livres ‘’ Du Cmln à l’Udpm : 23 ans de mensonges’’.
Malgré de grands travaux entrepris depuis la chute du régime militaire, nos compatriotes continuent de croire que l’alternance politique a plutôt servi à ‘’légitimer et à consolider les mécanismes de prédation et de paupérisation du peuple malien’’. Car vingt ans après l’instauration du multipartisme, socle de notre démocratie, ils sont nombreux les Maliens qui se plaignent d’injustice.
Cinquante-et-un ans après l’indépendance, le Mali ne peut pas décider comme il veut. Car le citoyen moyen continue de croire que tout est décidé à l’extérieur notamment en France. En cette année préélectorale, certains pensent que le jeu est déjà fait car la France impérialiste semble avoir choisi son cheval favori pour mettre la gestion du pays de Modibo Kéïta sous sa tutelle.
Cinquante-et-un ans après l’indépendance, la France, surtout celle de Nicolas Sarkozi, continue toujours de se comporter envers le Mali comme si notre pays était l’une de ses sous-préfectures. Faut-il pourtant accuser la France colonialiste dont la rancune est tenace ? Non ! La faute incombe plutôt aux espèces d’élites qui sont toujours prêtes à trahir leur patrie. Notre économie est sous domination étrangère. Ils se sont servis de nos sangs, de nos sueurs, de nos larmes, de notre misère, des fruits de nos labeurs, pour s’enrichir. Cinquante-et-un ans après le départ du colonisateur, les Maliens continuent à se lamenter en implorant Dieu afin qu’Il vienne les sauver. Mais, qu’on se le tienne pour dit, Dieu ne viendra jamais nous sauver, si nous ne prenons pas nous-mêmes notre destin.