Dans une interview qu’il a bien voulue nous accorder, le directeur général de la Police nationale, l’Inspecteur général de police Moussa Ag Infahi, s’est prononcé sur plusieurs questions relatives à la mise en œuvre des mesures du couvre-feu décrété par nos plus hautes autorités afin d’éviter la propagation du Covid-19.
Aujourd’hui-Mali : Une semaine après l’entrée en vigueur du couvre-feu instauré par nos plus hautes autorités. Quelles sont vos impressions ?
Moussa Ag Infahi : Merci pour l’occasion que vous me donnez pour me prononcer sur la mise en œuvre du couvre-feu depuis le 26 mars dernier à nos jours. Le couvre-feu appliqué sur l’ensemble du territoire national est diversement apprécié par la population. Nous, en tant que forces de sécurité, nous sensibilisons les populations au respect des mesures.
Il faut d’abord comprendre que la raison fondamentale qui justifie le couvre-feu c’est la pandémie du coronavirus, le Covid-19 qui touche tous les pays du monde. Rares aujourd’hui sont les pays qui ne sont pas touchés. Donc si le gouvernement a pris cette mesure pour que vous restiez chez vous de 21 heures à 5 heures du matin, c’est dans l’intérêt supérieur de la population et pour éviter la propagation de cette maladie.
Aujourd’hui, plus ou moins, des Maliens commencent à s’adapter au couvre-feu. Il y a encore des récalcitrants surtout dans le milieu de la jeunesse qui pensent qu’ils peuvent quitter les grandes artères de la ville pour se regrouper dans les rues. Non ! Il suffit de rentrer chez vous. La police n’ira chercher personne chez lui. Le sens du couvre-feu est très clair c’est qu’à certaines heures, notamment de 21 heures à 5 heures du matin, personne ne doit être dans la rue sans raison valable. Donc toute personne trouvée dans la rue à ces heures sera interpellée, quitte à elle de justifier sa présence.
Avec la sensibilisation menée aussi bien dans les médias qu’à travers certaines corporations, nous constatons que la population commence à comprendre les enjeux liés à cette mesure. Mais c’est encore insuffisant. Nous invitons les Maliens à respecter cette mesure. Nous souhaitons que cela soit pour un laps de temps. Comme cela cette pandémie sera un souvenir. Pour le moment, des efforts sont en train d’être consentis, il faut l’appliquer.
Nous constatons qu’à 21 heures les grandes artères sont libres au niveau de nos villes. Mais, il nous revient que dans les rues les jeunes continuent à se regrouper autour des grins et autres. Aussi, nous constatons des regroupements les jours de mariage (jeudi et dimanche). Alors qu’il est clairement dit d’éviter les regroupements de plus de cinquante personnes. Le respect des mesures va dans l’intérêt de tout un chacun. Il faut que les Maliens comprennent que ce n’est pas de gaité de cœur que nous réduisons leur liberté de circuler. C’est dans l’intérêt supérieur de la nation malienne.
Justement en parlant de récalcitrants, avez-vous procédé à des interpellations pendant cette première semaine ?
Chaque nuit nous interpellons des personnes de manière à sensibiliser et à éduquer d’abord. Notre objectif n’est pas de sanctionner, il consiste à expliquer à la personne que sa présence à ces heures dans la rue n’est pas autorisée en raison de cette pandémie. Donc, si la personne comprend tant mieux, mais si elle ne comprend pas nous sommes obligés de l’amener et la garder jusqu’à un certain moment. Très prochainement, nous serons obligés d’appliquer les textes parce que ce sont des infractions à la loi qui peuvent aller jusqu’à des amendes de 18 000 Fcfa maximum ou encore des peines d’emprisonnement jusqu’à 10 jours. Nonobstant cela, les Maliens oublient que nous sommes en Etat d’urgence décrété depuis novembre 2015, le lendemain des attaques contre l’Hôtel Radisson.
L’Etat d’urgence est une période d’exception qui confère des pouvoirs exorbitants à l’autorité de police que les forces de police sont chargées d’appliquer. Aujourd’hui, ces pouvoirs de police nous permettent d’interpeller quiconque et à importe quel moment de la journée. Donc ce n’est pas seulement aux heures du couvre-feu. Il faut que les Maliens comprennent cela. Nous entendons certains dire qu’à 20 heures, les policiers ont interpelé des gens. Non ! Quand les gens commettent des infractions, nous sommes obligés de les interpeler. Le couvre-feu est venu trouver l’Etat d’urgence. Les mesures de l’Etat d’urgence continuent. C’est la police et les autres forces de sécurité qui sont chargées d’appliquer cette mesure aussi. Donc la police est dans son rôle. Elle peut interpeler de jour comme de nuit. J’insiste là-dessus, elle peut interpeler de jour comme de nuit. Nous sommes en Etat d’urgence et le couvre-feu est venu s’ajouter.
Maintenant, dans l’application de ces mesures, s’il y a des abus constatés, une enquête sera ouverte et si l’acte est avéré, le fonctionnaire répondra. Mais nous entendons respecter l’agent de la force publique parce qu’il y a ce qu’on appelle la présomption de la légalité des actes posés par le fonctionnaire de police ou de tout autre agent de manière générale. Il ne s’agit pas seulement du policier, il s’agit de tout agent de la force publique, policier, gendarme, garde et même militaire, à certains endroits donc c’est l’agent de la puissance publique.
Les actes de la puissance publique sont censés être légaux jusqu’à ce qu’on apporte la preuve qu’il y a un abus. Lorsqu’il y a un abus, nous sévissons sans préjudice avec des poursuites pénales si possible. Donc il ne faut pas que les gens essayent de nous distraire. Il faut que les gens travaillent et se conforment aux mesures prises par le gouvernement. Nous souhaitons que cela ne durera pas dans le temps. Regardez, dans d’autres pays, des mesures plus draconiennes ont été prises. Au Mali, nos heures sont conformes à notre mode de vie. A 21 heures, tout enfant de bonne famille doit être déjà chez lui. A 5 heures du matin, le soleil n’est même encore levé. Aussi, les premiers appels de nos prières commencent après 5 heures 30 minutes et autres. Donc je pense que les heures choisies par le Mali sont de bonnes heures parce que dans d’autres pays c’est depuis 19 heures. Regardez, dans certains pays où les policiers sont partis chicoter les gens jusque dans leur mosquée. En tout cas, pour le moment, aucun comportement de ce genre n’a été porté à notre connaissance.
J’avais dit dans une première interview, tolérance zéro pour tout comportement de nature à porter atteinte à l’intégrité physique du citoyen. Aucun ordre ne peut justifier ce comportement, mais à contrario j’invite le citoyen à se conformer à la loi parce que les policiers, les agents de la force publique, gendarmes, gardes et même militaires qui sont dans la rue pour faire appliquer ces mesures sont aussi des êtres humains et ceux-ci sont fatigués. Donc facilitez nous la tâche comme cela tout le monde sera heureux.
Quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées lors de la première semaine de mise en œuvre de cette mesure ?
La difficulté fondamentale, c’est le non-respect de ces mesures par certaines personnes. C’est pourquoi nous avons estimé qu’il y a des services nécessaires à l’application de ces mesures et des dérogations spéciales ont été accordées à ceux-ci, notamment les journalistes, les agents de la santé, les pharmaciens, les agents de l’Edm ou tout autre service public qui intervient dans le fonctionnement normal de notre économie nationale. Des dérogations spéciales ont été accordées, mais ce n’est pas à titre individuel. Donc nous ne pouvons pas en donner à tout le monde. Elle est donnée à ceux dont la présence est nécessaire dans la rue pendant les heures indiquées pour que la vie continue. Par exemple s’il y un incendie sur un poteau électrique de la voie publique, donc il est nécessaire de faire intervenir les agents de l’Edm pour assurer la continuité du service de l’électivité.
Regardez, l’autre jour, nous avons décontaminé le Grand marché de Bamako et les ministres concernés, chacun dans son domaine de compétence, a pris des mesures nécessaires pour l’effectivité de cette opération. Aujourd’hui, désormais, il y a des heures de fermeture et d’ouverture des marchés. Il faut que les gens respectent ces heures. Au niveau des transports, il y a aussi un certain nombre de passagers à transporter dans le bus ou le car.
Ce sont des règles à respecter. C’est vrai que cela crée des manques à gagner pour certains, mais nous ne pouvons pas tout gagner dans la vie. En certains moment de la vie, Il faut faire des sacrifices.
Quant à l’Etat, il a déjà fait des efforts. Regardez, l’Etat lui-même a pris des mesures pour que certains fonctionnaires arrêtent le travail à 14 heures. C’est un manque à gagner pour l’Etat aussi, mais il a fait ce choix parce que c’est nécessaire. Il faut que la majorité de la population comprennent cela et qu’elle aide les forces de sécurité dans l’application de ces mesures. Celles-ci sont prises par une autorités administratives compétentes et nous, force publique, appliquons ces règles. C’est cela notre mission. Ce n’est pas la police qui édicte les règlements, mais elle fait appliquer les règlements.
Quel est le niveau de déploiement des éléments pour la mise en œuvre de cette mesure ?
Le déploiement, il est régulier toutes les nuits. Lorsque vous regardez la rotation depuis la nuit du 26 mars dernier à la nuit du 4 avril, environ 7 645 policiers ont été déployés par un système de rotation à travers l’ensemble du pays, notamment à Bamako, Kayes, Koulikoro, Sikasso, Ségou, Mopti, Tombouctou, Gao, Bougouni, Koutiala, Ménaka Nioro et Dioïla, les villes dans lesquelles nous sommes présents. C’est un déploiement journalier qui se fait, donc le couvre-feu nous coûte aussi du personnel et des moyens roulants qui nous font des charges. Sans oublier que nous avons aussi d’autres missions, notamment des missions de garde statique, les missions de patrouille… C’est pourquoi nous demandons à la population de comprendre que cette activité vient s’ajouter à nos activités traditionnelles. Donc que tout le monde nous facilite la tâche pour que nous ayons moins de problème. Nous sommes conscients des défis. Nous ne voyons pas seulement le couvre-feu, nous voyons aussi l’Etat d’urgence qui a été instauré à cause des conditions sécuritaires du moment. N’oublions pas que celles-ci ont aggravé le terrorisme chez nous. Nous avons des groupes jihadistes qui circulent partout autour de nous. Au centre, au nord et même dans la région de Koulikoro, nous avons des groupes terroristes qui minent ces zones.
Donc la vigilance est de mise au niveau des forces de sécurité. C’est pourquoi, le contrôle continue au niveau des postes de contrôle et des check-points. Donc c’est une activité qui existait déjà avant le couvre-feu et nous continuons à la mener dans la courtoisie et dans la fermeté.
Votre mot de la fin ?
Nous invitons les populations à comprendre que les mesures prises sont dans leur propre intérêt. Ce n’est pas pour leur nuire, mais au contraire c’est pour les protéger de cette pandémie qui se propage avec les contacts. Il faut que les gens restent chez ceux pendant les heures indiquées par le couvre-feu. Le respect de ces heures peut apporter vraiment une solution à la maladie en diminuant la propagation. Aussi, nous invitons la population à respecter les injonctions des agents de force de sécurité. Lorsqu’on vous invite à retourner chez vous, retournez chez vous dans le respect. L’agent de la force publique c’est votre frère, ami, parent…mais au moment où il exerce, il faut le respecter.
Cela ne veut pas dire que s’il est révélé que des comportements peu orthodoxes où l’agent a abusé de son autorité, il ne sera sanctionné. Nous avons dit tolérance zéro pour les comportements de ce genre, donc le message que j’avais à l’endroit de la population c’est de respecter les heures de couvre-feu et de rentrer chez soi. Car, 21 heures est une heure suffisamment avancée de la nuit pour faire vraiment tout ce qu’on devait faire dans la journée. Il faut que les gens s’accommodent, comme cela tout le monde sera à l’aise. Ce n’est qu’un emploi du temps. Par exemple, vous avez l’habitude de travailler jusqu’à 21 heures, vous réduisez d’une heure et vous rentrez chez vous.
Ce n’est pas de gaieté de cœur que les forces de sécurité sont là. Elles travaillent 24 heures sur 24. Elles sont au bureau, elles sont dans la rue…Que la population aménage ses horaires. Vous n’êtes pas obligés de trainer au marché jusqu’au-delà de 21 heures parce que lorsque vous trainez vous donnez l’occasion aux bandits de prospérer. Alors que, si vous quittez tranquillement le marché et vous rentrez chez vous, ceux qui sont dans la rue, qui ne pourront pas justifier de la légalité de leur présence, seront considérés et traités autrement. Donc que le bon citoyen rentre chez lui, le citoyen que nous allons rencontrer sur la voie s’il n’est un bon citoyen avec un document qui le prouve sera traité autrement.
Réalisée par Boubacar PAÏTAO