Le gouvernement Modibo Sidibé est parti et a laissé le pays dans une situation d’impréparation totale des élections. La problématique du fichier électoral et le projet de réformes politiques sont les deux préoccupations majeures du gouvernement de Mme Cissé Mariam Kaïdama Sidibé. Face à cet état de fait, la classe politique, dans sa grande majorité, a demandé l’organisation des élections sur la base d’un fichier électoral issu du RAVEC et recommandé au gouvernement d’abandonner son projet de réforme constitutionnelle pour s’atteler à l’organisation d’élections libres et transparentes en 2012.
Face à la problématique du fichier électoral, le gouvernement Kaïdama, à travers le ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales a initié un Cadre de concertation avec les partis politiques, pour discuter de la question. Au cours de ces rencontres, une grande majorité de la classe politique avait exprimé son souhait de voir organiser les élections avec un fichier électoral issu du RAVEC. De réunion en réunion, les deux parties se sont aperçues, très vite, de l’infécondité de ce cadre de concertation, qui avait commencé à tourner au vinaigre.
C’est la raison pour laquelle, à l’initiative du gouvernement, un Comité d’experts a été créé, regroupant les administrations électorales (MATCL- DGE), les partis politiques et la société civile. Au cours d’un atelier, ce Comité a examiné les possibilités de fichier électoral, sur la base des résultats du RAVEC, et une étude relative à l’amélioration de la qualité du fichier électoral existant, le RACE. Ce Comité d’experts a également visité le Centre de traitement des données du RAVEC. A l’issu de ses travaux, après analyse des deux possibilités, le Comité d’experts a fait les constats suivants: «l’exécution du projet RAVEC se poursuit. Son état d’avancement ne permet pas, à ce jour, d’en extraire un fichier électoral pour la tenue des élections générales de 2012, dans le respect des délais constitutionnels. Le fichier électoral existant, issu du RACE, quant à lui, comporte des insuffisances». Fort de ces constats, le Comité d’experts a recommandé le choix du fichier RACE, qu’il juge perfectible dans les délais légaux, pour la tenue des élections générales 2012.
Quelques jours après, une coalition de 32 partis politiques tenait une conférence de presse sur un mémorandum qu’elle avait envoyé au Président de la République le 24 juin dernier, et dans lequel elle demande l’organisation des élections sur la base d’un fichier électoral biométrique consensuel et fiable. Un fichier électoral qui n’est issu ni du RACE, ni du RAVEC, mais avec les empreintes digitales et la photo de l’électeur, que le gouvernement devra élaborer dans les délais constitutionnels. Alors question: que va faire le gouvernement maintenant pour trouver un fichier consensuel et sortir de l’impasse? Car le temps presse. Il faut aller vite et bien pour éviter à notre pays de connaître les situations post électorales graves que d’autres pays ont connues.
La stabilité de notre pays en 2012 dépendra de l’organisation qu’on fera des élections générales. Dans tous les cas, la responsabilité incombe aux différents gouvernements qui se sont succédé et qui ont eu plus de 7 ans pour le faire. Pourquoi avoir attendu moins d’une année avant l’échéance pour se mettre en quête d’un fichier fiable? De deux choses l’une: soit le gouvernement a volontairement provoqué cette situation d’impasse, soit la tenue des élections de 2012 n’était pas en première position dans le calendrier du gouvernement Modibo Sidibé. Car, en effet, cette situation est imputable largement au gouvernement de l’ancien Premier ministre, qui, pendant plus de 3 ans, n’a posé, aucun acte dans le cadre de la préparation des élections.
Du côté de l’Administration Territoriale, on entretient un double langage. Dans un premier temps, elle avait évoqué le coût élevé du fichier tiré du RAVEC et le non enrôlement des Maliens de Côte d’Ivoire. Actuellement, elle est sur le point d’orienter les débats sur le respect des délais constitutionnels pour achever le même RAVEC. Dès lors, l’Administration Territoriale ne laisse-t-il pas planer le doute sur sa bonne foi par rapport à la tenue des élections? Pourtant, lorsque le PARENA, à l’époque, avait attiré l’attention du gouvernement sur le besoin de l’existence d’un fichier électoral fiable, celui lui avait donné l’assurance que le RAVEC serait prêt et qu’on pourrait en extraire un fichier électoral inattaquable.
Autre sujet brûlant de l’actualité nationale, le projet de référendum que le pouvoir compte organiser avant les élections. Il est le fruit du travail du Comité d’appui aux réformes institutionnelles (CARI), du nouveau ministre de la Réforme de l’Etat, Daba Diawara. Les experts de ce Comité ont conclu que notre actuelle Constitution comportait beaucoup lacunes. Vu sous cet angle, le projet de réforme est donc nécessaire. Mais le temps imparti suffira-t-il pour s’occuper de l’organisation des élections en même temps que de ce référendum? Une révision constitutionnelle est un travail de réflexion de longue haleine. Vouloir la faire dans la précipitation, risque de compromettre l’atteinte de ses objectifs. Cette inquiétude est d’autant plus justifiée que, jusqu’à présent, le calendrier électoral proposé demeure un secret d’Etat.
Fichier électoral et réformes politiques sont donc deux questions d’une sensibilité extrême, et à hauts risques, entre les mains du gouvernement. Il va falloir bien les gérer pour éviter à notre pays de connaître une situation similaire à celles que l’on a vues lors du printemps arabe. Au pire des cas, le régime risque de se faire prendre à son propre piège.
Youssouf Diallo
Réforme Constitutionnelle
Ce qui doit changer, selon ATT
Bamako, le 1er Juillet 2011
Le Président de la République,
A Monsieur le Président de l’Assemblée Nationale
Objet : Dépôt d’un projet de loi
Monsieur le Président,
J’ai l’honneur de vous transmettre, pour présentation à la délibération de l’Assemblée nationale, le projet de loi portant révision de la Constitution. Ce projet de loi, que j’ai initié, a été présenté au Conseil des ministres du 15 juin 2011, après avis de la Cour suprême.
Le 19 avril 2010, j’ai publié le Projet de réformes politiques pour la consolidation de la démocratie au Mali. Ce document a retenu les mesures jugées pertinentes et utiles parmi celles proposées par le Comité d’experts que j’avais mis en place en février 2008. Les unes renvoient à la révision de la Constitution du 25 février 1992; les autres, à la modification ou à l’élaboration des textes fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de certaines institutions de la République ou le cadre juridique de l’exercice de droits et libertés.
Le projet de loi de révision de la Constitution, sur lequel le Peuple malien sera appelé à se prononcer, s’inscrit dans une démarche cherchant à améliorer le processus démocratique, à adapter l’outil à l’objet, la lettre à la pratique, pour mieux avancer dans la construction d’un système démocratique performant.
Dans la forme, il conserve sans changement plus de la moitié des dispositions du texte de 1992. Au fond, en plus d’une légère reformulation du Préambule et de certains articles, imposée par l’institution d’une seconde chambre et de la consécration, en plus du français, des langues nationales comme langues d’expression officielle, il comporte des réaménagements significatifs. Toutes ces innovations sont inscrites dans les cent cinq (105) articles qui vous sont soumis. Elles portent sur l’organisation et le fonctionnement des institutions, le régime des droits et libertés, notamment le droit de suffrage, et les délais de tenue des élections présidentielles.
Il est proposé un réaménagement de l’Exécutif, dans le cadre du régime semi-présidentiel actuel:
1.1. Deux nouvelles conditions sont posées pour la recevabilité de la candidature à l’élection du Président de la République: il faut être Malien «d’origine» et n’avoir aucune autre nationalité et être âgé de moins de 75 ans;
1.2. Le Président de la République prête serment désormais devant la Cour Constitutionnelle (qui n’était pas créée en 1992) en gardant sa coiffure, conformément aux dispositions du guide du protocole règlementant les tenues pour les cérémonies officielles;
1.3. Le Président de la République conserve les pouvoirs propres que lui confère la Constitution. En outre, il définit la politique de la Nation dont le Gouvernement assure la conduite;
1.4. La possibilité est donnée au Président de la République de mettre fin aux fonctions du Premier ministre sans la présentation par celui-ci de la démission du Gouvernement. Dans la même logique, la fin de la mission du Premier ministre entraîne la démission collective des autres membres du Gouvernement;
1.5. Il est prévu de laisser vacant le siège du député appelé au gouvernement. Dans ce cas, l’exercice de son mandat est suspendu. A la fin de sa mission gouvernementale, sauf s’il fait l’objet de poursuites judiciaires, il retrouve son siège;
1.6. Le régime de déclaration des biens du Président de la République, du Premier ministre et des ministres a été réaménagé pour permettre le contrôle de la véracité des déclarations et assurer un meilleur suivi de l’évolution du patrimoine;
1.7. Le statut pénal du Président de la République est complété. Un régime de sanction est organisé pour les infractions commises en dehors de l’exercice de ses fonctions;
1.8. Le gouvernement demeure responsable devant l’Assemblée nationale, qui peut le renverser. Mais, il ne peut présenter qu’un programme de gouvernement.
2 ; Le Parlement est renforcé :
2.1. Il est créé une seconde chambre, le Sénat, qui imprimera une nouvelle dynamique au travail législatif et au contrôle de l’action gouvernementale;
2.2. Les capacités du Parlement son renforcées, tant pour l’exercice de la fonction législative que pour le contrôle de l’action gouvernementale, notamment avec la possibilité qui lui est donnée de recourir à l’appui de la Cour des Comptes
Le Pouvoir juridictionnel est réaménagé pour répondre aux exigences actuelles:
3.1. Les compétences de la Cour constitutionnelle en matière électorale (articles 33 et 86 nouveaux) sont réaménagées afin de la décharger de la proclamation des résultats des élections législatives et présidentielles. Elle ne connaîtra que des réclamations consécutives à la proclamation de résultats. Ses moyens sont renforcés et les procédures d’investigation réaménagées, pour faire mieux accepter ses décisions;
3.2. Pour renforcer l’indépendance des membres de la Cour constitutionnelle à l’égard des autorités de nomination, il leur est confié un mandat non renouvelable dont la durée est portée à 9 ans. Il est institué un renouvellement par tiers des membres tous les 3 ans. Les neuf membres sont nommés, à concurrence de trois, par le Président de la République, deux par le Président de l’Assemblée nationale, deux par le Président du Sénat et deux par le Conseil supérieur de la magistrature;
3.3. Il est institué un contrôle de constitutionalité par voie d’exception ouvert aux justiciables;
3.4. La Cour suprême, constituée de la Section judiciaire et de la Section administrative est maintenue en tant qu’institution constitutionnelle;
3.5. L’actuelle Section des Comptes devient la nouvelle Cour des Comptes, juridiction suprême d’un nouvel ordre formé avec des chambres régionales des Comptes. –
Le Haut Conseil des Collectivités, qui est resté sans impact sur le fonctionnement de l’État, est supprimé;
Le Conseil économique, social et culturel est réaménagé dans ses attributions et ses modalités de fonctionnement. Son caractère d’organe consultatif est affirmé, ainsi que le caractère facultatif de sa consultation;
5.1. L’exposé du recueil des attentes, des besoins et des problèmes de la société civile, avec des orientations et des propositions devant les institutions, est de droit;
5.2. Pour rendre effectifs les principes du tripartisme, les représentants de l’État seront des conseillers à part entière, désignés par le Président de la République;
5.3. À l’instar des autres institutions de la République, l’organisation, les règles de fonctionnement et la désignation des membres du CESC seront désormais fixées par une loi organique;
L’autorité chargée de la gestion des réclamations mettant en cause une décision administrative peut consulter la Cour constitutionnelle et la Cour suprême;
Une nouvelle autorité indépendante, dont le statut est organisé par une loi organique, assure la régulation de l’audiovisuel et veille au respect de l’expression plurielle des courants de pensée et d’opinion. Elle remplace le Comité National de l’Égal Accès aux Médias d’État et le Conseil Supérieur de la Communication.
Le régime libéral actuel qui régit la formation des partis politiques est maintenu. Et il est consacré, selon la voie appropriée, la possibilité pour les groupements politiques aussi de concourir à l’expression du suffrage.
De nouvelles perspectives sont ouvertes en ce qui concerne les élections
9.1. Il est donné un fondement constitutionnel à l’élection des députés, selon un système mixte combinant le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle;
9.2. Les délais et le calendrier électoral sont revus, pour tenir compte des expériences vécues;
9.3. Une meilleure assise juridique est donnée aux mesures de discrimination positive favorisant l’accès des femmes aux mandats électoraux et fonctions électives.
10. Les droits et libertés sont mieux protégés avec l’institution du contrôle de constitutionnalité par voie d’exception.
La procédure de révision de la Constitution est assouplie par la possibilité ouverte de le faire sans passer par le referendum, qui ne demeure obligatoire que pour la modification de la durée et de la limitation du nombre de mandats présidentiels.
Telle est l’économie du projet de loi soumis à la délibération de votre auguste Assemblée.
Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de ma très haute considération.
Le Président de la République
Amadou Toumani Touré