Tout le monde sait que le passeport malien est devenu un sésame précieux pour rentrer facilement, en Algérie, au Maroc, en Tunisie, en Libye, entre autres destinations, pour lesquelles, les ressortissants maliens sont exemptés de la formalité du visa. Une situation qui aiguise la convoitise de potentiels candidats à l’émigration, tentés par le faux et l’usage du faux, en payant, à prix d’or, l’acquisition du passeport malien. L’occasion faisant le larron, des réseaux sont vite constitués, pour fabriquer de faux passeports maliens qui alimentent un réseau international, aujourd’hui en voie de démantèlement, grâce à la perspicacité de notre police des frontières.
Nous sommes en 2007. Un jeune homme, arrêté à Tamanrasset, en territoire algérien, est en possession de plusieurs passeports maliens, achetés à 2500 dinars algériens chacun. Auparavant et précisément en 2005, dans les deux enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, des émigrés africains sont morts en essayant de forcer les barbelés qui les séparaient de la frontière espagnole. Le gouvernement de la République du Mali, qui n’était pas resté indifférent au sort de ses ressortissants, avait dépêché une équipe pour préparer le rapatriement des corps des morts et des nombreux blessés.
A en croire un Conseiller du ministère des Maliens de l’extérieur et de l’intégration africaine, certains de nos compatriotes avaient refusé de retourner au pays, mais d’autres, parmi ces émigrés, étaient sur le point d’user de la force pour ne pas être rapatriés au Mali. Pourquoi une telle résistance de la part d’émigrés, aussi démunis ? Pourquoi des gens au bord de la mort osaient-ils refuser une main tendue pour sauver leur vie? Le conseiller du ministre de nous répondre, qu’après investigations, il s’est avéré qu’une bonne partie de ces émigrés, bien qu’ayant en leur possession un passeport malien, n’étaient pas Maliens, ni d’origine ni d’adoption ni par naturalisation. Ils sont, tout simplement, arrivés, ajoute notre source, à se procurer le passeport malien.
Et selon des sources anonymes, le faux passeport, qui serait établi par des réseaux mafieux, serait vendu à 500 euros soit environ 327.500fcfa aux clandestins. Dans les rues de Tripoli, de Rabat, etc. il est fréquent de tomber sur un passeport malien jeté négligemment par des candidats à l’émigration qui ont pris soin de s’en débarrasser après usage jusqu’à la capitale libyenne. Le passeport ne sert plus à rien dans ce cas-ci car, pour la petite histoire, les candidats à l’émigration l’utilisent pour passer les frontières des pays du désert, ceux avec lesquels les ressortissants de notre pays ne sont pas soumis à la formalité du visa d’entrée.
A la porte de l’Europe, plus précisément au Maroc et en Libye, les passeports maliens, fabriqués on ne sait où, alimentent un grand marché noir. Après approvisionnement, des trafiquants les acheminent soit sur Bamako, soit sur Gao, où d’autres candidats, en attente, se l’approprient, moyennant des sommes variant selon la loi de l’offre et de la demande sur ce marché noir.
Il est à préciser que les trafiquants prennent soin, de scanner, eux-mêmes, la photo du nouvel acquéreur sur le document. C’est à partir de ce procédé qu’ils déjouent les contrôles de routine des forces de sécurité et de la police des frontières, des pays traversés. Lesquelles, pour la plupart, ne disposent pas d’appareils pouvant juger de l’authenticité des passeports rencontrés dans le cadre des vérifications d’usage.
En effet, seule la police de l’immigration a la possibilité de distinguer la bonne graine de l’ivraie, grâce à un appareil qui détecte les faux-passeports. Il suffit, en effet, de quelques instants, pour que l’appareil démontre que le document examiné est vrai ou falsifié. Lorsqu’une telle situation arrive, l’excuse trouvée, par certains candidats, est de soutenir que le document est tombé à l’eau, rendant la lecture de ses données un peu confuse. Un prétexte qui ne se défend pas devant les agents et cadres de la police de l’immigration car leur démonstration nous a permis de comprendre que le passeport malien, tel qu’il est conçu, résiste aux intempéries et ne peut, en aucune manière, être écorné.
Un appareil qui détecte les faux passeports
C’est pour confirmer la petite visite que nous avons effectuée à la police des frontières, en vue échanger avec le premier responsable du service, le Contrôleur général, Niania Youssouf Diallo, qui avait, à ses côtés, son secrétaire particulier, le sous officier Tiékouta Kanté.
Exiger la présence physique du demandeur
A l’entrée de la direction, un message fort évocateur attire l’attention du premier venu : "Le passeport malien n’est délivré qu’à des Maliens et toute personne qui se hasarde à l’attribuer à des étrangers s’exposera à des sanctions". Un message qui, certainement, doit faire foi au niveau de la police des frontières. En effet, au terme d’un décret de 2004, fixant l’organisation et les modalités de fonctionnement de la Direction générale de la police nationale, la Direction de la police des frontières est chargée depuis, entre autres, de participer à l’élaboration et à la mise en œuvre de la politique d’immigration et d’émigration, de procéder à la délivrance des documents de voyage et des titres de séjour.
Dans la même foulée, un arrêté ministériel déclare que " tout citoyen malien peut solliciter la délivrance du passeport national dès qu’il justifie de son identité, de sa nationalité, et le cas échéant, de sa capacité. L’administration est tenue de faire suite à cette demande ".
Pour obtenir un passeport malien, la procédure passe pour être des plus banales. Pour cause, il faut simplement une pièce d’identité nationale, établie dans un commissariat de police, en plus de trois photos d’identité et du paiement du timbre fiscal. Et pour obtenir la carte d’identité malienne, il faut un acte de naissance avec mention malienne. Justement, le Mali étant composé de 703 communes, il est facile, pour n’importe quel individu, qu’il soit de nationalité malienne ou étrangère, de se faire établir un acte de naissance. Il suffit seulement de changer de patronyme et de porter un des noms les plus courants, pour que les autorités locales, vous attribuent le document.
Un passeport, nous fera savoir le Directeur de la police nationale, n’est établi que sur la base des documents fournis par le demandeur. Seulement voila, chaque fois qu’on doute de l’identité du demandeur, ce qui est courant, surtout quand les noms de famille et les autres données sèment le doute ou si la photo trahit son identité, il est immédiatement exigé, par le service, la présence physique du demandeur. Cela, pour le soumettre à une interview. Une interview qui, le plus souvent, n’a jamais lieu parce que l’intéressé se débine.
Par ailleurs, nous avons été amenés à voir, à la police des frontières, une série de photos reproduites par la même personne, qui, après avoir échoué dans ses premières tentatives, récidive pour tromper la vigilance des policiers. Ça ne passe pas. Le flair du policier est toujours là pour guider sa vigilance.
Il y a lieu de relever que la demande de passeport se fait également au niveau des directions régionales de police et des consulats. Ces services s’adressent directement à la police des frontières. Une première précaution est, en principe, de mise de ce côté-là. Ce qui fera dire à Niania Youssouf Diallo, que si les documents sont bien ficelés et ne souffrent d’aucune contestation, lui et ses collaborateurs n’ont d’autre choix que de le délivrer.
Comment arrive t-on alors à retrouver de vrais faux passeports maliens ?
Sans nier l’existence de vrais faux passeports maliens, le Contrôleur général a admis que lors de sa prise de fonction en 2004, il a dû constater que le passeport, dit de la série A, a fait l’objet de plusieurs tentatives de falsification. La série A est faite de feuilles porteuses, sur lesquelles, il est facile d’accrocher n’importe quelle photo. Cette catégorie a pignon sur rue et fait les beaux jours des trafiquants.
A partir de 2012, soutient le Directeur de la police des frontières, la série A ne sera plus valable. En attendant, pour déjouer les tentatives des fraudeurs, des gardes-fous sont mis en place, au nombre desquels, la mise en circulation d’une autre catégorie de passeport dite de la série B. Ce passeport, beaucoup plus sophistiqué et mieux sécurisé que le précédant, contient du lamifié susceptible de déjouer toutes les tentatives de falsification. Pour les besoins de la cause, la série B est entrée en circulation depuis janvier 2007. Ce passeport a l’avantage d’être infalsifiable. Il faut ajouter que, depuis sa mise en circulation, le passeport est devenu unipersonnel, les photos n’y étant plus collées.
Autre information de taille, désormais, chaque enfant doit avoir son propre passeport. Une façon, pour les autorités, de combattre, d’une certaine façon, le trafic des enfants. A la police des frontières, l’autre révolution est relative à l’instauration du Recensement administratif à vocation d’état civil. Le Ravec, comme on l’appelle, permet directement à la police des frontières de fouiller dans la base de données où les photos des Maliens sont numérisées. Ce procédé permet également de déjouer les tentatives de fraude.
Le passeport a rapporté une somme colossale de plus de quatre milliards au Trésor public au cours de 2009, pour à peu près 76 495 passeports établis. Des sommes qui, nous a t – on dit, sont partagées entre le service des impôts et le Trésor public. De janvier 2010 à nos jours, plus d’un milliard de nos francs a été versé par la police de l’immigration dans les caisses de l’Etat. C’est donc un service qui abat un immense travail, mais qui a besoin du soutien de tout un chacun pour mettre en échec les plans maléfiques des trafiquants.
Les centres d’état civil secondaires et les commissariats ont une lourde responsabilité, en établissant, respectivement, l’acte de naissance et la carte d’identité nationale au premier venu. S’y ajoute que les consulats et les directions régionales de la police doivent faire preuve de beaucoup de prudence pour ne pas introduire des demandes de passeport au nom de n’importe quelle personne.
Abdoulaye DIARRA