Près d’un mois après les manifestations de Niono ayant provoqué l’assassinat du Commissaire de police Issiaka Tounkara, nous vous faisons revivre le film des évènements.
Tout est parti d’une affaire banale de contrôle de vignette. En effet, la mairie de la commune urbaine de Niono a saisi le commissariat de police pour l’envoi d’un renfort de seize éléments. Afin de l’aider à faire une journée de contrôle de vignette qui était prévue le dimanche 28 juillet 2019, jour de foire à Niono.
La mairie a décidé de verser un frais de mission journalier aux policiers soit 4.000 francs par agent et 10.000 francs pour le commissaire conformément à la réglementation en vigueur. L’objectif de la mairie était de pouvoir payer son personnel à l’approche de la fête puisque les populations refusaient de payer la vignette.
L’opération de contrôle a débuté le dimanche dans la matinée et de nombreux forains sans vignette ont été verbalisés et les motos saisies et placées au commissariat. Le temps pour eux d’aller se procurer la vignette. Ils devraient payer la vignette avant de retirer leur moto. Ce système existe à Niono il y a des années et grâce à cette opération, la mairie a réalisé une recette de quatre à cinq millions.
Au cours de l’opération, Dramane Konaté, venu de Fana pour un baptême, a refusé de s’arrêter et a voulu forcer le barrage des policiers. Ainsi, le sergent-chef Boubou Coulibaly a tenté de le stopper ; il a maladroitement donné un coup de pied à la moto et le conducteur est tombé et a eu une fracture au pied. L’information de cet incident a suscité une indignation au niveau de la jeunesse de Niono, déjà hostile aux patrouilles des policiers qui rôdent partout à partir de 20 h.
Les jeunes ont donc décidé d’organiser un meeting pour manifester leur mécontentement. Les manifestants se sont regroupés à la mairie avant d’aller rejoindre le grand meeting à la gare routière.
Un premier incident entre forces de l’ordre et la jeunesse a éclaté lors de ce meeting : un élément de la gendarmerie de Niono, Bougouna Maïga, qui avait été repéré par les jeunes en meeting dans la foule, a été passé au tabac. Il a fallu qu’Adama Coulibaly, le meneur des jeunes, intervienne pour calmer la colère de ses camarades.
Après la rencontre, les jeunes ont adressé une lettre au maire dans laquelle ils demandent le départ du commissaire et le changement de l’heure de départ des patrouilles de la police à 00h et la libération des motos saisies pour défaut de vignette.
À la suite des jeunes, les 33 conseillers communaux en conseil municipal ont aussi entériné cette demande et demandé à leur tour le départ du commissaire divisionnaire Issiaka Tounkara. Celui-ci faisait injustement l’objet de deux demandes à savoir celle de la jeunesse et celle du conseil municipal, qui avait pourtant organisé l’opération de contrôle de vignette. Les deux demandes ont toutes été adressées au Directeur général de la police en août ; celui-ci n’aurait pas réagi.
Vu que la réaction de la direction tardait, les jeunes ont alors décidé d’organiser une marche le 8 septembre qui serait suivie d’une autre le 14 septembre, si le commissaire ne partait pas avant la date butoir du 8 septembre ; il le ferait, le 14 septembre, de gré ou de force. Beaucoup de conciliabules ont eu lieu entre-temps, mais la tension demeurait car les jeunes tenaient à marcher et à se faire entendre.
Le 5 septembre, le Commissaire a été rappelé à Bamako par le Directeur général pour consultation et aussi pour parler de sa sécurité, et c’est son adjoint qui a assuré l’intérim.
Le 6 septembre, par l’intermédiaire du maire Abdramane Touré, le commissaire adjoint et deux officiers du commissariat ont pu rencontrer, dans le bureau du commissaire intérimaire, les meneurs des jeunes et ont pu les convaincre de renoncer à leurs manifestations du 8 et du 14 septembre.
Quelques jours plus tard, une délégation composée de la police et de la mairie s’est rendue à Fana pour souhaiter prompt rétablissement au blessé Dramane Konaté à domicile. Sur place, la police a fait une aide de 100.000 FCFA au nom du commissaire au blessé qui était très heureux et s’était presque rétabli. Tout semblait enfin rentrer dans l’ordre.
Le 16 septembre, une rumeur, qui annonçait un éventuel retour du commissaire Issiaka Tounkara, a circulé dans la ville de Niono, sans que personne n’arrive à confirmer. Mais le 18 septembre 2019, Sékou Coulibaly dit formidable publie sur sa page que le commissaire Tounkara était de retour à Ségou, et la lutte devait continuer.
Qui a ordonné le retour du commissaire et quelles ont été les mesures prises par les autorités locales de Niono ? En réalité, ni le maire, ni le sous-préfet de Niono n’ont été informés du retour du commissaire et encore moins les éléments de la police de Niono. Tous l’ont appris sur la page de Sékou Coulibaly dit formidable.
Le jour du drame…
Le lendemain 19 septembre 2019, le commissaire Tounkara est arrivé au commissariat où il a tenu un briefing au cours duquel il a déclaré que c’est le directeur régional de Ségou, Madassalia Touré, qui lui a demandé de venir reprendre le service à Niono. Ce dernier aurait aussi reçu l’ordre de sa hiérarchie.
À 10h, il décide de rencontrer le maire qui n’était pas à son bureau. Celui-ci lui demande de le retrouver au cercle pour une réunion qui regroupait outre le maire, le président du conseil de cercle, le sous-préfet central, le sous-préfet de Nampala, le Commissaire adjoint, un commandant et un capitaine de police. Donc, l’adjoint n’avait pas encore passé la main pour les rencontres avec les autorités locales. Le commissaire Tounkara décide de rallier le conseil de cercle pour aller à la réunion.
À peine arrivé sur place, et avant même le début de la réunion, la manifestation des jeunes a commencé. En raison du vacarme produit par les manifestants, le sous-préfet Mme Diassana Fatou Daou a demandé au maire et au président du conseil de cercle d’aller à leur rencontre. Elle a aussitôt reporté la réunion à 14h.
Le capitaine, le commandant et le commissaire adjoint sont retournés au commissariat et le sous-préfet de Nampala a demandé au Compol Issiaka Tounkara de rester au cercle puisque sa présence dans la ville avait provoqué une manifestation.
30 minutes plus tard, au moment où les manifestants se réunissaient devant le commissariat, le commissaire Tounkara arrive au commissariat à bord du véhicule de commandement du sous-préfet de Nampala, un pick-up blanc, avec le chauffeur du sous-préfet, selon des témoins. Au vu Depuis que les manifestants ont su que c’était le commissaire qui venait de rentrer au commissariat, ils ont commencé à appeler d’autres jeunes.
Vers 11h, un premier attroupement de jeunes devant le commissariat a été dispersé. Mais des jeunes gens venaient d’un peu partout. Ils avaient été informés en temps réel de ce qui se passait et de la direction à suivre. Arrivés en grand nombre, ils décident à nouveau de s’attaquer au commissariat en lançant des pierres sur la police qui les a dispersés à coup de gaz lacrymogènes. Mais au fil du temps, avec la détermination des manifestations, les dotations en gaz lacrymogènes des policiers diminuaient.
À 14h, les policiers ont replié dans le commissariat faute de gaz lacrymogènes. C’est en ce moment que les manifestants ont défoncé la fenêtre du poste de police qui faisait face à la route, enlevé deux pistolets mitrailleurs avant de mettre le feu au reste du matériel de maintien d’ordre. Submergés par le nombre sans cesse croissant des manifestants, les policiers se sont retranchés derrière le bâtiment du commissariat.
Les manifestants ont fait tomber les murs de clôture du commissariat côté sud et côté ouest. Ils ont troué le mur du côté où étaient retranchés les policiers pour les viser avec des pierres. Pendant 3h de temps, les policiers étaient piégés au commissariat, sans défense, même s’ils étaient en possession d’armes, car ils avaient reçu l’instruction ferme du commissaire Tounkara, de ne pas les utiliser contre les manifestants. Consigne respectée.
Quatre agents de la gendarmerie sont venus en aide aux policiers mais seront vite submergés et se replieront. Le lieutenant du détachement du génie militaire, le lieutenant Sory Traoré, à la tête de 100 éléments, sollicité par le commissaire, dira qu’il n’a pas reçu l’ordre pour leur venir en aide. La distance entre le camp de la garde nationale et le commissariat ne dépasse pas 400 mètres.
La ville de Ségou, qui est à 1h de route de Niono, héberge deux commissariats qui sont dotés de véhicules neufs. Mais aucun renfort ne viendra de cette ville, bien que le Directeur régional de la police ait été informé par le commissaire du débordement de ses éléments.
Vers 16h, sachant que tout était perdu et qu’ils ne seront pas secourus, les policiers ont fait escalader le mur par le commissaire Tounkara pour l’emmener dans la maison voisine, chez Malick Aya, agent à l’office riz de Niono. Celui-ci a intimé aux policiers l’ordre de faire retourner le commissaire dans la cour du commissariat. À défaut, il serait amené à informer les manifestants de sa présence à son domicile. Les policiers obtempèrent.
17 heures, vu que tout était perdu, les policiers ont décidé de quitter le commissariat, pour regagner la cour de la gendarmerie distante de 100 mètres. Le commissaire Tounkara ouvre la voie en tirant 2 coups de son PA en l’air pour dissuader les manifestants.
La voie est ouverte, vingt-cinq policiers présents dans la cour, sur un effectif de quarante-neuf éléments, commencent à fuir pour la gendarmerie. C’est au moment de cette course qu’une balle a atteint le commissaire Tounkara. Elle lui a transpercé la poitrine en blessant au bras un autre policier. Le commissaire Tounkara est tombé sur le coup et a perdu l’âme.
Les autres ont pu regagner la gendarmerie pour s’y réfugier pendant que le commissaire gisait. Un autre manifestant est mort suite à des tirs. Les jeunes récupèrent ensuite le corps du commissaire et restent toujours devant le commissariat ; bloquent les grandes artères, l’entrée et la sortie de la ville.
-19h, le gouverneur arrive dans la ville, il est bloqué à l’entrée par des jeunes surexcités qui avaient érigé un barrage. Il lui a fallu d’intenses négociations pour qu’ils puissent enfin entrer dans la ville une heure après.
-21h, le gouverneur trouve un terrain d’entente avec les manifestants. Il sort avec le corps du commissaire Issiaka Tounkara et les policiers blessés pour prendre la direction de Ségou.
Le bilan fait état de vingt blessés parmi les policiers dont quinze graves. Du côté des manifestants, on dénombre un mort et huit blessés graves.
Aux dernières nouvelles, les enquêteurs ont déféré devant le juge de Ségou, Sékou Sala Sangaré, quatre-vingt-cinq personnes impliquées dont soixante-cinq ont été déjà placées sous mandat de dépôt à la prison centrale de Bamako, après audition. Le reste des personnes interpellées est à la disposition du parquet pour enquête.
Seydou Oumar Traoré
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Assassinat du commissaire Issiaka Tounkara
Les éclaircissements du ministère de la Sécurité
Le ministère de la Sécurité et la Protection civile se défend de toute faute dans les évènements survenus à Niono, le 19 septembre, qui ont entraîné l’assassinat du Commissaire de police, Issiaka Tounkara.
Selon le conseiller à la communication, Amadou Mahamane Sangho, le département avait bien été informé qu’une partie de la population réclamait le départ du Commissaire de police Issiaka Tounkara. Toutefois, précise-t-il, le ministère ne peut pas relever un fonctionnaire de police à chaque fois que quelques groupes de personnes demandent le départ de celui-ci.
Car, affirme-t-il, en plus de son honneur et de sa dignité, le travailleur a des droits qu’il faudra préserver. Il appartient à une corporation et est aussi membre d’un syndicat qui peut attaquer la décision du département pour abus de pouvoir.
Dans ces conditions, le ministère n’a qu’une marge de manœuvre limitée et ne peut faire qu’une enquête administrative afin de situer les responsabilités. Ce qui fut fait. C’est dans ce cadre que le défunt Commissaire avait été rappelé à Bamako pour donner sa version des faits.
C’est dans cette circonstance que le Commissaire Issiaka Tounkara a été assassiné, le jeudi 19 septembre, avant même le résultat de l’enquête administrative.
Abdrahamane Sissoko