ATT et les paradoxes. Le titre de la ligne de mire du quotidien de l’ACI 2000, dans sa parution de lundi dernier en dit long sur la personnalité du Général Amadou Toumani Touré. El Hadj Saouti Labass Haïdara qui aurait pu parler directement ‘’paradoxe ATT’’ a certainement choisi de ne pas tout dire. Entre le rassembleur-en théorie- et le diviseur. L’autre paradoxe lié à l’homme du 26 mars, date à laquelle il est apparu dans l’histoire de notre pays, c’est qu’il n’a jamais réussi à incarner ce grand homme d’Etat qu’il aurait pu être. Avant lui, aucun chef d’Etat du Mali n’avait eu autant de préjugés favorables à son arrivée aux affaires, pas même le très charismatique Modibo Kéïta. A ce jour encore, ATT reste le seul malien à avoir réussi à faire l’unanimité autour de sa personne.
En effet, personne n’a trouvé à redire lorsque sur les antennes de Rfi, il a été présenté comme celui qui venait de mettre fin au KO. La technique qui consistait à mettre en première ligne le moins compromis ou le plus intègre des hommes et femmes ayant exercé de hautes fonctions sous le régime politico-militaire du général Moussa Traoré s’est avérée payante. Ceux- là, qui ont jeté leur dévolu sur sa personne le soir du 26 mars savaient d’avance qu’il aurait fait l’unanimité. L’histoire leur a donné raison. Qui a dit que Kafougouna n’était pas un grand stratège ?
A l’annonce de la chute de Moussa, quelle ne fut la joie des millions de Maliens qui voyaient en ce modeste officier supérieur le profil de l’homme correct et intègre qu’il fallait à cette place, à ce tournant décisif et combien important de l’histoire politique de notre pays. Un homme nouveau tenant ferme le gouvernail d’un bateau qui se cherche et qui cherche son chemin. Surtout que les jours qui ont précédé le coup d’Etat, la fièvre ‘’révolutionnaire’’ qui s’est emparée de la population a eu des conséquences très fâcheuses sur le tissu social. Les casses et les incendies étaient encore légion, comme si l’héritage du régime devait disparaître. Du mythique officier, aimé et adulé de l’ensemble de ses compatriotes, les Maliens attendaient une mise au pas ferme pour remettre le plus vite possible l’Etat sur pied. En invitant ses compatriotes à arrêter avec la surenchère et à regarder la réalité en face puisqu’ils avaient fini par obtenir plus que la satisfaction de leur soif de démocratie et de liberté : la gestion directe par eux –mêmes de leur propre destin. Un tel discours, qui aurait pu amener plus d’un sur terre, n’a pas été tenu. Certains observateurs croient déceler là la cause de l’incompréhension entre son premier ministre, Soumana Sacko moins complaisant et lui. Deux hommes, deux caractères, de styles diamétralement opposés. Autant Soumana est ferme autant son chef est tendre, tout doux, tout doux avec tout le monde. Beaucoup en ont profité pour obtenir tout ce qu’elles voulaient, même illégalement. En revenant 10 ans après aux affaires, nombreux sont les Maliens à avoir espéré qu’avec ATT ça pourrait aller mieux qu’avec les politiques, puisque, après tout, il leur avait laissé plus de bons que de mauvais souvenirs.
Mieux, de son bureau à la villa N°2 de la Cité administrative, Amadou Toumani Touré n’avait-il pas eu l’occasion et le temps d’observer son peuple et les hommes qui le gouvernaient ? Il savait pertinemment ce qu’il devait faire : repenser les plaies ouvertes tout au long des 10 années antérieures, réconcilier, remettre les Maliens au travail, combattre la corruption, le népotisme, les trafics d’influence. Loin de reconstruire, le système mis en place s’attache à démolir ce pour quoi les Maliens se sont battus, le multipartisme. De la gouvernance démocratique, le très démocrate officier revenu au pouvoir substitua le consensus selon sa vision. Le partage des postes ministériels ne s’est jamais effectué selon les bons critères de quotas. Les transhumances honteuses et humiliantes pour notre démocratie pompeusement citée comme modèle, aussi bien dans les rangs des députés que ceux des ministres, se comptabilisent dans ses échecs. Il aurait dû les décourager au lieu de faire semblant de n’y être pour rien.
Les partis politiques, soucieux de la paix et de la cohésion sociale et qui ont tout enduré avec lui, ont été les plus humiliés. Des strapontins distribués ça et là. Une longue procession pour une sébile même pas pleine à moitié. C’est ainsi que l’Adema et le Rpm, les deux illustres formations politiques, fortes de plus des deux tiers d’élus nationaux, se contenteront et jusqu’à ce jour de seulement 4 ministres, deux pour chacun. Représenté au parlement par un seul élu, le Parena se verra attribuer un ministère. Même quota pour le Mpr qui, pourtant, se targue de quatre élus. Avec ses 13 députés, le Cnid se contentera jusqu’en mai 2004 de deux ministres avant de se voir soulager du poste occupé par Modibo Diakité. Le gros lot, dans tous les cas, est demeuré au Mouvement citoyen dissimulé sous le label de Société civile. Au four et au moulin pour éradiquer les effets de la disette rampante, le président ATT se contenta curieusement de dénoncer, comme un simple citoyen, des délits d’initiés avérés. Les auteurs sont connus et continuent de narguer le peuple. ‘’No bouging !’’. Au même moment, des châteaux sortaient de terre et des magasins de riz ouvraient leurs portes. Les négociations entamées en dehors du pays avec des bandits armés, ont notablement pesé sur les rapports entre le chef, ancien général d’armées et son peuple qui s’est senti abandonné à son sort car s’attendant à ce que l’Etat s’affirme. Les exemples foisonnent. Aujourd’hui, avec du recul, les Maliens pensent et à raison d’ailleurs, que le livre ‘’ATT-cratie…’’ s’inscrit aussi dans cette dynamique de paradoxes.
Par Sory Haïdara
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