Auteur du très polémique «Le Devoir de violence», le Malien Yambo Ouologuem a connu une destinée littéraire fulgurante, marquée du sceau de l’incompréhension. Avant d’aller se réfugier dans le pays dogon dont il était originaire, il avait aussi écrit un roman érotique, des essais pamphlétaires, et avait renouvelé la littérature africaine en l’arrachant à son mythe fondateur de la négritude.
L’écrivain malien Yambo Ouologuem, premier romancier africain à obtenir le prix Renaudot, s’est éteint dans la nuit du 14 au 15 octobre, dans la ville de Sévaré en pays dogon. Né en 1940 dans le Mali colonial, connu alors sous le nom du Soudan français, il a marqué les imaginaires par ses œuvres puissantes et transgressives qui lui ont valu à la fois éloges et rejet, comme aucun autre écrivain africain n’a peut-être connu. Avec le Malien disparaît l’un des derniers géants de la première génération de romanciers et poètes africains modernes qui ont mis l’Afrique sur la carte des mondes littéraires contemporains.
Etudes et écriture
Poussé par son père qui était enseignant, le jeune Ouologuem avait très tôt pris goût aux études et à l’écriture. Après avoir suivi le collège et le lycée au Mali, il vient à Paris en 1960 et poursuit avec succès des études de lettres d’abord en Hypokhâgne au lycée Henri IV, puis à l’Ecole normale supérieure de Saint-Cloud. Titulaire aussi d’une licence d’anglais, il travaille comme professeur dans un lycée à Charenton en banlieue parisienne, tout en consacrant l’essentiel de son temps libre à l’écriture. Son premier roman, Le Devoir de violence, est publié en 1968, aux Editions du Seuil.
C’est un premier roman fort et original qui puise son inspiration dans l’histoire africaine. Son originalité : il rompt avec l’idée d’une Afrique vierge et sans tares, répandue par les idéologues et poètes de la négritude, pour raconter, entre autres sujets, la collaboration des Africains noirs avec les négociants arabes dans la traite des esclaves. A travers l’histoire fictive de l’empire du Nakem et de la dynastie des Saïfs, Ouologuem imagine une Afrique féodale où les puissants faisaient régner la terreur et la cruauté sur une population servile et esclavagisée, à l’opposé de l’image popularisée par la poésie senghorienne. Ce récit au souffle épique, très moderne dans sa structure et dans son style, vaudra à son auteur de 28 ans le prestigieux prix Renaudot, même si son portrait d’une Afrique précoloniale où les guerres tribales, l’esclavage et la corruption étaient répandues, en indisposait plus d’un.
Malheureusement, la carrière de l’auteur du Devoir de violence sera ternie par des accusations de plagiat, conduisant l’éditeur à retirer de la vente le roman primé, dès 1972. Après l’avoir élevé aux nues, les critiques reprochent à l’auteur d’avoir copié des passages entiers de son livre dans un roman du Britannique Graham Greene et du Français André Schwarz-Bart. Ouologuem aura beau répéter qu’il avait mis en évidence les citations avec des guillemets dans le manuscrit et que l’éditeur les aurait supprimés, le mal est fait. En raison de la polémique soulevée par cette affaire de plagiat, qui éclate dès le début des années 1970, les autres titres publiés par le romancier à la même époque, dont un roman érotique Les Mille et une Bibles du sexe (1969) et un recueil d’essais, Lettre à la France nègre (1969), passeront inaperçus.
Une réhabilitation tardive
A la fin des années 1970, déçu par la violence de la réception de son œuvre et la mauvaise foi de ses éditeurs qui ne l’ont pas soutenu, Yambo Ouologuem quitte définitivement la France, pour se réfugier dans son pays natal. Il y passera les dernières décennies de sa vie, tourné semble-t-il vers la foi islamique. S’il est mort dans un quasi-anonymat au Mali, ses livres, un temps épuisés, ont été réédités à partir des années 2000, grâce au combat acharné de sa fille Awa Ouologuem et aussi à la perspicacité de jeunes éditeurs éclairés conscients de la valeur de cette œuvre.
Le Devoir de violence et Lettre à la France nègre ont été réédités par Le Serpent à plumes respectivement en 2002 et 2003. Quant au roman Les mille et une Bibles du sexe, véritable pépite littéraire érotique dans la grande tradition européenne, qui n’est pas sans rappeler Sade ou Apollinaire, il a été republié par les éditions Vents d’ailleurs, en 2015. Les polémiques suscitées par l’œuvre de Yambo Ouologuem ont fait oublier le véritable talent de narration de ce conteur hors pair, dont le regard sur sa propre civilisation n’était pas dépourvu d’une lucidité critique qui a manqué à d’autres écrivains de sa génération.
Pour nombre de lecteurs actuels de littérature africaine, Le Devoir de violence demeure un livre fondamental pour la fiction africaine moderne, qui s’est donné pour tâche d’interroger les mythes fondateurs et puise son originalité dans le brouillage des frontières entre modèles et répliques, textes canoniques et leurs réécritures intertextuelles.
C’est sans doute le critique Boniface Mongo-Mboussa qui éclaire avec beaucoup de clairvoyance les a priori dans l’appréhension des écrivains post-modernes et post-coloniaux, qui réinvente la littérature tout en restant proches des œuvres canoniques : « En accusant Ouologuem de plagiat, on a négligé l’intertextualité dont son texte faisait preuve alors même que la littérature moderne en développait la tendance. À l’époque du tiers-mondisme et dans une Afrique s’affirmant victime de l’histoire et de l’Occident, son propos iconoclaste sur la continuité de la violence depuis l’époque pré-coloniale était mondialiste avant l’heure. Considéré à la lumière du grotesque, le livre ouvre, face à l’enfermement dans une pensée unique, à l’invention de nouveaux espaces de liberté. »
Publié le 16-10-2017