Nous avons eu le privilège de côtoyer l’ambassadeur Boubacar Gaoussou Diarra, homme affable et d’une remarquable culture intellectuelle, disparu il y a quatre mois. Témoignage.
Talibo pour sa regrettée maman, Bouba pour les siens et pour les proches, Ambassadeur pour le monde diplomatique, institutionnel et médiatique, Boubacar Gaoussou Diarra (pour l’état-civil) a été rappelé à Dieu en un triste début d’après-midi du vendredi 23 avril 2021. Quand la nouvelle est tombée, l’émotion était grande dans la salle Balanzan de l’hôtel Radisson Collection (ex-Sheraton) où toute l’équipe du Secrétariat permanent était réunie pour un atelier de planification stratégique, la team building et la communication de crise. La nouvelle du décès de notre patron nous a été donnée par un de nos collègues. En de pareilles circonstances, se répandre en lamentations est inutile. Il faut louer la grandeur d’Allah, maître de nos destins.
Les obsèques ont eu lieu le lundi 26 avril 2021 au domicile du défunt à Boulkassoumbougou, en présence d’un parterre de personnalités politiques et diplomatiques, de parents, d’amis, de collègues, de promotionnaires et d’anonymes. C’est désormais au cimetière de Sotuba que repose le natif de Boulgoundié à Gao. Il avait 69 ans, mais tous ceux qui l’avaient approché nourrissent la certitude qu’il est parti trop tôt. Boubacar Gaoussou Diarra manquera à de nombreuses personnalités – dont l’ancien président de la République Alpha Oumar Konaré – avec lesquelles il échangeait beaucoup. Que son âme repose en paix et qu’Allah l’accueille dans son Paradis. Amin.
Une année et sept mois – C’est un jour de septembre 2019 que l’ambassadeur Diarra m’a reçu pour une prise de contact dans le cadre d’une éventuelle collaboration. J’avais été recommandé par un de mes estimés grands frères et confrères, S.D. D’entrée de jeu, mon interlocuteur me fit savoir qu’il avait « tout un carton de dossiers » pour le poste. Mais, dit-il, le mien l’avait intéressé pour « la valeur ajoutée » que j’offrais et pour mon « large éventail de compétences : journaliste, communicateur, enseignant et consultant ». Au terme de notre entretien, je me suis permis de lui demander son prénom que je ne connaissais pas du tout. S. s’était en effet limité à m’avertir que « l’ambassadeur Diarra » m’appellerait. Mon futur patron feignit la surprise offusquée. Il me demanda si j’étais vraiment un Malien pour ne pas le connaître, lui, « une grande personnalité dans ce pays-là ». Sa petite comédie nous fit éclater tous les deux de rire. Elle scella aussi pour moi une année et sept mois de collaboration riche et instructive.
Que dire de l’ambassadeur Diarra ? Tout d’abord qu’il n’était pas homme genre à se faire bousculer sur un dossier. A cet égard, il me rappelait deux de mes anciens patrons, Gaoussou Drabo et Sidiki Nfa Konaté. Il prenait tout son temps sur un dossier. Il l’épluchait littéralement pour se faire une religion. Si l’on s’avisait de le presser un tant soit peu, sa réponse claquait sèchement. « Je l’étudie », disait-il en prenant le ton martial du magistrat pénaliste qu’il fut dans une de ses multiples vies. Nulle mesquinerie pourtant dans cette méticulosité. L’Ambassadeur tenait uniquement à apprécier objectivement un document, tant dans son contenu que dans sa forme, tant dans sa dimension diplomatique que dans sa portée politique et médiatique. Sa méthode, il l’appliquait indifféremment à une note, à un projet de discours, à des termes de référence d’une activité ou à une étude. Par sa méthode, il appartenait à une classe de cadres qui se raréfie dangereusement dans notre pays.
A l’occasion de ses rencontres restreintes ou élargies, les mots étaient choisis en fonction des interlocuteurs. Il affichait la même aisance avec les diplomates qu’avec les militaires, les cadres de l’Administration, les journalistes et les communautés à la base. Quel que fut le groupe cible et quel que fut le contexte, il ne dérogeait jamais à son style puncheur qu’il avait ciselé en travaillant des formules chocs, un débit martelé et une voix de stentor.
Lors de la dernière réunion qu’il tint- la 2e réunion technique du comité de pilotage du projet PNUD d’appui au cadre politique de gestion de la crise du Centre -, il conclut en utilisant une formule étonnante : « Le document est adopté sous réserve d’enrichissement. » D’ordinaire, on usait de l’expression « adopté sous réserves d’intégrer les observations et corrections. » Plus tard, il m’expliqua qu’avec les partenaires, il ne faut pas hésiter à recourir à certaines astuces pour écourter des procédures souvent trop longues.
La relation de l’Ambassadeur avec les médias faisait cohabiter chez lui une réelle fascination et une grande prudence. Tous les matins, il recevait, de ma part et sur WhatsApp, une brève revue de presse sur l’actualité dans les régions du centre et sur le plan politique. Il était très prompt à réagir et avec une étonnante vivacité d’esprit sur n’importe quel sujet. S’il utilisait beaucoup WhatsApp, qu’il considérait comme plus « sécurisé », il se méfiait beaucoup de Facebook à cause de la grande popularité incontrôlable que suscite le réseau.
Arrivant au bureau à 8 heures, il approfondissait sa revue de presse en parcourant les cinq grands quotidiens du pays. Venait ensuite le brainstorming matinal avec les experts sur l’actualité nationale et internationale. Il écoutait attentivement les avis, les analyses et commentaires des uns et des autres. C’était des moments de débats très ouverts avec un chef remarquable de tolérance. Mais l’Ambassadeur savait aussi clore des discussions avant que celles-ci ne deviennent byzantines. Il le faisait alors avec fermeté, mais aussi avec une once d’humour pour faire passer son ton définitif.
« Des dictateurs » – Boubacar Gaoussou Diarra avait beaucoup d’amis parmi les hommes de médias. Il enviait ceux-là d’être des « gens introduits dans les cercles les plus hermétiques » et des personnes « cultivées. » Mais il les percevait aussi comme des « dictateurs ». Parce qu’ils lui imposaient lors des interviews de prendre des positions qui valorisaient leurs papiers. Ou encore parce qu’ils réclamaient que soient éteints les climatiseurs afin que ne soit pas dégradée la qualité de leurs enregistrements. Par contre, il se méfiait de donner des interviews en bamanankan, par crainte d’écorcher un mot ou une expression. La précaution était surprenante de la part d’un bambara bon teint, mais compréhensible, car l’Ambassadeur était de culture songhoï par sa mère et son épouse. Une culture qu’il adorait à travers la musique du terroir songhoï, le takamba et la « manchi », une boisson extraite de la plante, le bourgou, que sa grand-mère lui préparait.
A l’âge qu’il avait, Boubacar Gaoussou Diarra pouvait aisément être considéré comme un patriarche et donc imposer une loi d’airain à ses collaborateurs. Mais il s’en est abstenu et a créé une atmosphère qui faisait qu’au Secrétariat permanent, se côtoyaient des valeurs complémentaires : l’esprit d’équipe et de partage, la courtoisie, le respect des aînés et la sociabilité. Sous le magistère de l’Ambassadeur, le travail se faisait dans la plus grande convivialité ponctué de repas en commun ou de sorties dans son champ de retraite.
Ancien magistrat, ancien diplomate, ancien ministre, et tâcheron à ses heures perdues, Boubacar Gaoussou Diarra ne manquait jamais d’user d’anecdotes ou de traits d’humour pour détendre l’atmosphère lorsque le ton montait un peu haut dans les débats entre les experts. En tant que chef, lui était ouvert au débat d’idées et ne se raidissait jamais devant la contradiction. Il incarnait la maxime de Voltaire qui disait : « Je ne suis d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
Un parcours élogieux – Nous ne saurions conclure notre hommage sans rappeler le brillant parcours de Boubacar Gaoussou Diarra. Magistrat de formation, il a aligné une belle carrière de ministre, de diplomate, d’enseignant et de chercheur sur les questions relatives au terrorisme, aux conflits et au maintien de la paix et de la sécurité.
Né en 1952 dans la Cité des Askia à Gao, il y effectua ses études primaires. Après l’obtention d’un Bac en série philo-langues au Lycée Askia Mohamed de Bamako, il est orienté à l’Ecole nationale d’administration (ENA) de Bamako (section Sciences Juridiques) d’où il sortit en 1974, titulaire d’une Maîtrise en sciences juridiques et major de sa promotion. L’année suivante, il suivit un stage à l’Ecole nationale de magistrature de Paris avant de décrocher un DEA en Droit pénal et en Sciences criminelles, puis un Doctorat en Droit pénal et Sciences criminelles à l’université de Poitiers en France.
De retour au pays, il fut successivement substitut du procureur de la République, Juge de paix à compétence étendue, procureur de la République, avocat général près de la Cour spéciale de sûreté de l’Etat, directeur national des Affaires judiciaires et du Sceau et directeur de cabinet du ministre de la Justice.
Boubacar Gaoussou Diarra a été successivement ministre de la Justice, Garde des Sceaux, ministre de l’Emploi, de la Fonction publique et du Travail, ministre secrétaire général de la Présidence de la République, avant d’être nommé ambassadeur du Mali en Tunisie, puis directeur du Centre africain d’études et de recherche sur le terrorisme (CAERT), un centre de l’Union africaine.
L’ambassadeur Diarra a été ensuite Représentant spécial du président de la Commission de l’Union africaine en Somalie et chef de l’AMISOM de 2009 à 2012, Représentant spécial du président de l’UA pour la région des Grands Lacs de 2012 à avril 2015.
Après sa retraite de la magistrature en 2017, il a occupé les fonctions de directeur du Centre d’analyse et de recherche de l’espace sahélo-saharien (CARESS), un centre de l’Ecole de maintien de paix de Bamako. Parallèlement à toutes ces actions, Boubacar Gaoussou Diarra a dispensé des cours de Droit pénal, de Droit pénal général, de Droit pénal spécial, de Droit civil et de Criminologie à l’ENA, pendant de longues années.
L’ambassadeur Boubacar Diarra était marié et père de quatre enfants.
Alfousseiny Sidibé, Journaliste.