Le transfert de la gestion de certaines écoles du mouvement Hizmet à la Fondation publique turque Maarif suscite des interrogations quant à l’avenir du système éducatif sur le continent. Celle-ci, créée dans la précipitation, est en effet une machine de guerre contre le Hizmet, sans réelle appétence pour l’éducation.
La Turquie est-elle en train de plomber le système éducatif du continent africain ? La question peut sembler provocatrice, mais la réalité des faits pousse à s’interroger sérieusement.
Erdogan veut imposer son agenda politique en Afrique
En effet, pris dans l’ivresse de sa croisade contre le mouvement dit Gülen, le président turc Tayyip Erdogan commence à imposer à certains pays d’Afrique son propre agenda politique par le biais de la Fondation Maarif. Ankara demande sans relâche à tous les pays d’Afrique, des Balkans et d’Asie centrale de fermer les écoles dites turques, créées par des sympathisants du Hizmet (ou mouvement Gülen), conformément aux enseignements de Fethullah Gülen, un imam qui a lancé dans les années 60 un vaste mouvement civil d’inspiration religieuse dont le principe cardinal est l’ouverture d’écoles à la place de mosquées. Remonté contre ce mouvement qu’il tient pour l’initiateur des affaires de corruption qui l’ont touché et l’instigateur de la tentative de putsch du 15 juillet dernier, Erdogan a mobilisé l’appareil d’Etat pour porter un coup à ses écoles, ouvertes dans plus de 160 pays. Elles visent à promouvoir l’éducation pour tous afin de jeter les bases d’une bonne entente, d’un dialogue entre les personnes de culture et de religion différentes. Les années précédentes, le même Erdogan ne tarissait pas d’éloges sur les membres du Hizmet, qui se démenaient pour inaugurer ces établissements scolaires. Lors des «Olympiades de la culture turque» qui permettent aux écoliers de faire leur preuve dans les domaines du chant et de la danse, Erdogan avait été très enthousiaste. «Je remercie tous les professeurs qui forment un pont de la paix et qui portent un idéal sacré. Vous êtes comme des bourgeons en pleine steppe, une oasis dans le désert, une goutte d’eau pour des lèvres sèches, l’expression de la lueur face à des esprits rabougris.» Autre temps, autre discours. Désormais, le seul but d’Erdogan est d’anéantir ces écoles, de les subtiliser en transférant leur gestion à une fondation publique, Maarif.
Une fondation liée à l’AKP
Ladite fondation a pour seul dessein de chasser les gülénistes et d’imposer l’idéologie islamisante de l’Akp (parti Pouvoir), le parti au pouvoir depuis 2002. Ainsi, 7 des 12 membres du Conseil d’administration sont nommés directement par le président de la République et le Conseil des ministres. Le président du Conseil d’administration, Cem Zorlu, n’est autre qu’un ancien député de l’Akp et professeur d’histoire islamique…
La direction est donc totalement sous le contrôle du président Erdogan qui avait proclamé en 2012 sa vision de l’éducation : «former une génération pieuse» grâce aux cours de religion et de morale au détriment des sciences. A ce sujet, le choix du mot ottoman «maarif» en lieu et place du mot moderne «eğitim» suffit à annoncer la couleur.
Un financement saoudien
La loi qui a créé la Fondation Maarif prévoit un financement public à hauteur d’un million de livres turques (soit environ 300 000 euros). Elle pourra également recevoir des dons. Selon les dernières informations, l’Arabie saoudite et la Banque de développement islamique ont déjà contribué à son budget. Une arme du régime wahhabite bien connue, qui aime exporter son idéologie avec ses dons. La participation financière des hommes d’affaires turcs se limite à celle des industriels dont le pouvoir turc a lui-même contribué à l’essor. Autrement dit, les cercles d’affaires qui sont prêts à mettre la main dans la poche cesseront dès que le régime d’Erdogan vacillera. Le mouvement Gülen permettait un flux constant du financement du fait de l’investissement personnel des hommes d’affaires portés par l’idéal de Fethullah Gülen, qui consistent à s’investir pour l’humanité sans attendre de retour…
yawuz-selim
LE QUOTIDIEN (Sénégal)