Rien ne sert de mentir, encore moins à soi-même. Les Maliens, y compris dans les rangs de ceux qui déclarent en fanfare marcher et soutenir les Accords d’Alger souhaitent, en leur for intérieur, être rassurés quant à la situation réelle au Nord-Mali.
Curieusement, autant les plus hautes autorités savent qu’elles sont vivement interpellées par cette troublante nébuleuse qu’est la question de Kidal, autant elles s’emmurent dans un silence à couper avec le couteau au fur et à mesure que les choses ont l’air de se corser.
Derniers rebondissements d’une situation qui crée plus qu’un malaise à l’échelle nationale : l’impatience manifestée, depuis quelques jours sous la forme d’un chantage pour ne pas dire d’une surenchère, par les insurgés. Lesquels feront même pire : s’attribuer purement et simplement des fonctions et grades militaires, comme pour se soustraire définitivement de la hiérarchie militaire nationale. Notre Kidal à nous et le reste du pays feraient-ils doncdésormais deux entités distinctes?
L’inquiétude des Maliens est aggravée par cette attitude insolite du pouvoir qui encourage la diffusion de messages de soutien sur notre télévision nationale.
Voilà des semaines que la télé nationale, au moment du JT de 20 heures où le taux d’audience est élevé nous bombarde de la même image, celle de Maliens appartenant à diverses catégories socioprofessionnelles : les artistes Ami Koïta, Baba Salah, Naini Diabaté, Tiken Jah Fakoly, le footballeur Malal N’Diaye, un homme en uniforme, un vieux jardinier, Aïra Harby, des enfants dans un salon et une charmante petite fille à Papa. Chacun clame la vertu de la paix. Un peu comme en Côte d’Ivoire, notre voisin du sud, en proie à une guerre qui s’éternise entre le nord de Soro Guillaume Kigbafori et le sud de Laurent Koudou Gbagbo, l’enfant de Mama.
Des messages distillés sans doute pour rassembler l’ensemble des Maliens autour d’une vision, celle du refus de la guerre. Seulement voilà : le bal commence par l’image et la partition de la diva de la chanson malienne, je veux dire : Ami Koïta. Est-ce gratuit ? Un autre impair ? Une pique dans la cour des tisserands ? Ami Koïta que nous aimons et respectons n’est pas n’importe qui. Car, en plus du fait passer pour une égérie de la musique malienne, elle est l’ancienne épouse de Samir Nama, le directeur de protocole du président Ibrahim Boubacar Kéïta, président du RPM et de l’Assemblée nationale du Mali .
Ces messagers comprennent-ils seulement ce qu’on leur fait dire ? Parce que nos voisins chez qui ces messages ont été copiés sont en guerre, avec des enfants divisés dans les deux camps. Or, il se trouve que le Mali n’est pas en guerre, encore moins coupé en deux. En tout cas jusqu’à preuve du contraire, tant que l’Etat malien saura s’assumer tel qu’il se doit. Et non en se livrant à tout ce tapage orchestré et financé à coups de millions de nos francs, rien que pour dissuader une poignée de soldats apatrides réfugiés dans des grottes, au nord de notre pays. Dieu seul sait si ces derniers sont sensibles à ce qui est chanté tous les soirs à Bozola. Un coup d’épée dans l’eau ? A moins qu’ils ne soient destinés à faire passer- pour ce qu’ils ne sont pas-les Maliens qui refusent de cautionner la bêtise.
On aurait mieux inspiré les artistes avec des messages visant à sensibiliser Iyad, Fagaga et acolytes, afin qu’ils regagnent le bercail, non sans rendre le matériel militaire appartenant à notre vaillante et infatigable armée nationale.
C’est là la fonction première des griots et artistes. Le Mali pour l’instant n’est pas en guerre et nos artistes ont intérêt à composer des chansons allant dans le sens de l’indivisibilité de notre pays, un message simple, sincère et crédible. Or, au contraire, on est en train de s’amuser à se faire peur avec une littérature mal inspirée sur la paix. La paix en ces termes et dans ces conditions fragilise le Mali tout entier. En est-on conscient?
SORY HAIDARA
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