Dans un entretien accordé, il y a une trentaine d’années, à un hebdomadaire panafricain basé à Paris, feu le président Félix Houphouët-Boigny, bâtisseur de la Côte d’Ivoire moderne et l’une des plus illustres figures de l’émancipation des peuples d’Afrique de l’ouest de l’emprise coloniale, célébrait la complémentarité de son pays et du Mali par ces termes : "La Côte d’Ivoire et le Mali sont comme la cola et le sel. Quand la cola vous prend à la gorge, la meilleure façon de la faire passer est d’avaler un peu de sel. Le Mali est donc le remède de la Côte d’Ivoire. Le jour où éclatera une crise sérieuse en Côte d’Ivoire quand je ne serai plus de ce monde, je conseille à mes compatriotes de se réfugier au Mali : ils y seront accueillis en frères".
Moins de cinq ans après sa disparition survenue en 1995, la Côte d’Ivoire, dont il avait fait malgré lui "un îlot de prospérité dans un océan de misère" a sombré dans une instabilité politique accompagnée de déchirements sanglants et de dévastations matérielles. Au rythme des émeutes, pillages, coups d’Etat réels ou supposés, règlements de comptes, rebellions, affrontements tribaux et religieux, pogroms xénophobes, assassinats ciblés, disparitions criminelles, le paradis éburnéen s’est transformé en enfer tropical, provoquant un nombre incalculable de morts, de mutilés et de réfugiés dans les pays voisins.
Le Mali fait partie de ceux-ci. Il a généreusement ouvert ses portes à nos frères ivoiriens dont beaucoup ont si harmonieusement intégré la population locale qu’ils n’envisagent plus de retourner sur leur terre natale. L’un deux nous confie : "Le Mali est un pays singulier. L’étranger qui y sollicite un poste de travail ne se voit pas demandé d’où il vient mais ce qu’il sait faire. En outre, le collègue ou le voisin est toujours prêt à vous inviter à partager son repas, si modeste soit-il". Pour ces Ivoiriens, conquis par l’hospitalité malienne, la prophétie d’Houphouët s’est accomplie : le sel a bien guéri de la cola mal ingurgitée.
AQMI : Boubèye passe à côté
Dans une interview accordée au journal français Le Monde, dont L’Indépendant a publié les extraits les plus significatifs dans son édition N°2752 du jeudi 5 mai 2011, notre ministre des Affaires étrangères et de la coopération internationale, Soumeylou Boubèye Maïga, fait l’analyse suivante de la mort de Ben Laden : "D’un côté, AQMI se voit privée de sa principale source d’inspiration idéologique et opérationnelle; de l’autre, l’événement accroit à court terme le risque d’une fuite en avant". Il ajoute : "A présent, la confrontation devient plus directe. La mort d’Oussama Ben Laden soustrait le Sahel du champ d’affrontement global Al Qaïda contre Occident". Boubèye a tout faux de croire que AQMI se nourrit des idées et des méthodes de Al Qaïda et que la disparition brutale de Ben Laben aurait quelque influence sur son mode de fonctionnement et, partant, sur la situation du terrorisme dans le Sahel. En effet, même si AQMI, à sa création il y a quelques années, a revendiqué son appartenance à la nébuleuse terroriste, les faits ont démontré que les deux organisations n’ont qu’un très lointain rapport.
L’objectif majeur proclamé de Al Qaïda est de libérer la Palestine et la terre sainte de Al Qods de l’occupation et l’oppression de l’Etat d’Israël armé, encouragé et soutenu dans cette entreprise depuis 63 ans par les Etats Unis d’Amérique. La cause est noble même si les méthodes utilisées (les tueries massives et sans discernement et les destructions de biens à grande échelle) sont hautement condamnables.
AQMI, pour ce qui la concerne, semble avoir abandonné son but originel qui est d’instaurer un régime à la Taliban en Algérie pour devenir une organisation mafieuse dans sa plus détestable expression. L’enlèvement de ressortissants européens pour exiger de substantielles rançons contre leur libération est devenu sa principale activité. A l’occasion, elle se livre au trafic de drogue et d’armes à feu. Les tueries collectives ne sont pas son style ainsi qu’elle vient de le faire savoir dans un communiqué à propos de l’attentat de Marrakech (Maroc) qui a fait 16 tués dont 8 Français.
Il est donc erroné de prétendre que la mort de Ben Laden va conduire à ‘une radicalisation’ d’AQMI, à ‘une fuite en avant’ chez elle dont la finalité sera de ‘soustraire le Sahel du champ d’affrontement global Al Qaïda-Occident’‘. AQMI est une organisation criminelle du pire acabit qui se sert du nom de Al Qaïda pour se donner un semblant de respectabilité si l’on ose l’écrire. Ben Laden ou pas, elle continuera à sévir jusqu’à ce que les Etats riverains du Sahel (pas seulement le quatuor Algérie-Mauritanie-Mali-Niger) surmontant leurs rancœurs et leur querelle de leadership, se donnent la main et œuvrent de concert pour extirper le fléau de leur espace de vie.
Saouti Labass HAIDARA