Londres, une première marche pour Nollywood

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«On sait que vous êtes tous venus pour voir Mercy Johnson et Mary Njoku…», lance l’animatrice. On les imaginait déjà monter les marches et le tapis rouge de l’Imax cinéma Waterloo, tour circulaire toute en lumières dans le centre-ville londonien, et voler quelques selfies avec les vedettes de la soirée. Mais c’est la déception générale. Les stars se font attendre. Dans la salle de projection, les spectateurs lèvent les bras au ciel dans un grand brouhaha. On entendrait quelques «Amen» ou des «Alléluia», que l’on se croirait déjà dans l’une de ces immenses églises évangélistes de Lagos. «Ils sont dans les bouchons… Il y a eu un accident sous un pont, le trafic est bloqué.»

«Kidnappez-moi !»

Un homme, visiblement habitué à poireauter des heures dans les go-slow de la mégalopole économique de l’Afrique, plaisante : «Alors, ça, c’est bien une excuse nigériane !» Un autre organisateur saisit le micro à la pauvre présentatrice qui ne sait plus où donner de la tête. «Ils seront là après la séance, je vous le promets, assure-t-il. Et s’ils ne sont pas là et bien… Kidnappez-moi !» La plaisanterie sarcastique, 100 % made in Nigeria, rappelle les enlèvements quasi-quotidiens dans le pays et réussit à calmer la foule. Les lumières se tamisent et Thy Will Be Done est lancé. Malgré quelques imperfections techniques, des effets spéciaux assez ringards, et des jeux d’acteurs un peu forcés, on est très loin des films de Nollywood «premier-prix», où la perche-son passe dans le champ de la caméra, où les voix sont en décalage avec l’image, et où la musique recouvre la voix des acteurs. Obi Emelonye, réalisateur né à Port-Harcourt mais vivant à Londres depuis plus de vingt ans, a clairement porté le cinéma nigérian à son plus haut niveau. Dans son dernier film déjà, Dernier vol pour Abuja, le crash d’un Boeing avait bluffé la deuxième industrie du cinéma au monde (en terme de nombre de films produits).

Un budget colossal

Bercé dès sa plus tendre enfance au cinéma de Spielberg, à ses Indiana Jones et à E.T., le réalisateur nigérian aimerait aller encore plus loin dans ses productions. Il rêve d’un vrai film d’aventure avec des codes et une narration plus africaine qu’Hollywoodienne… Mais le drame reste le genre cinématographique le moins cher à produire. «On peine vraiment à trouver des financements», confie Obi Emelonye, finalement arrivé dans le grand cinéma londonien en plein milieu de la séance. «Et c’est encore pire depuis l’année dernière, depuis la sortie de L’autre Moitié du Soleil [Half of a Yellow Sun, réalisé en 2013 par Biyi Bandelé]», poursuit-il. Le film, une adaptation du best-seller littéraire de la célèbre écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie sur la guerre du Biafra, avait éveillé tous les espoirs : le cinéma nigérian devenait international, et serait projeté dans les plus grandes salles du monde en Europe et aux Etats-Unis. Les banques et les investisseurs se sont jetés dans la course, dégageant un budget colossal de 8 millions de dollars pour sa production. La grande star de la musique nigériane D’Banj a même réalisé la bande-originale. On imaginait déjà Half of a Yellow Sun, premier film nigérian sélectionné aux Oscars. Mais le succès n’a pas été au rendez-vous, la critique assassine et les producteurs n’ont toujours pas réussi à rembourser leurs prêts. «Ils ne nous font plus confiance, regrette Obi Emelonye. Mais ce film n’avait rien de nigérian ! C’était une pâle copie d’un film hollywoodien avec un réalisateur et des acteurs nigérians. Il faut savoir cibler son public. On ne peut pas raconter la guerre du Biafra de la même manière à un spectateur américain qui n’en a jamais entendu parler, et à un homme de Port-Harcourt qui l’a vécue !»

Pendant le tournage de “Dazzling Mirage”, en 2013. 

Le budget de Thy Will Be Done n’a pas dépassé 100 000 dollars, mais question argent, impossible d’en savoir plus. Il n’est pas très bien vu au Nigeria de devoir faire des économies. L’intrigue et la mise en scène sont directement ciblées pour un public nigérian : un riche pasteur évangéliste, célèbre et pieux, retrouve par hasard sa première femme qu’il croyait morte. Il se retrouve tiraillé entre les vœux qu’il a engagés envers Dieu et l’amour qu’il porte à ses deux épouses. La polygamie étant interdite par l’Eglise, il doit démissionner et ruiner une carrière prometteuse. Le film plonge l’assemblée dans l’univers de Lagos. Les spectateurs sourient devant les images du quartier de Banana Island, si loin d’eux et d’un seul coup si proche, ils rient en écoutant l’accent du pidgin english (créole nigérian), rêvent de se retrouver au milieu des autoroutes surchargées, et se retrouvent dans leurs croyances ancrées aux versets de la Bible ou dans le bruit si familier des générateurs électriques. Même le dénouement ne collerait jamais à un public occidental, éduqué par des années d’indépendance féministe : le pasteur finira par choisir celle qui peut lui donner des enfants. Pas sûr qu’une telle morale franchisse les marches des Oscars. Mais le réalisateur balaie la gloire internationale d’un revers de la main. Il ne fait pas ses films pour Hollywood. «Nous devons garder notre audience, argumente Obi Emelonye. Le Nigeria compte 170 millions de personnes. L’Afrique, un milliard. Vous pensez vraiment que les réalisateurs de Bollywood [cinéma indien, première industrie du cinéma au monde] s’intéressent à ce qui se fait aux Etats-Unis ? »

Sur tous les blogs «VIP»

Mais alors, si Lagos est devenue la capitale du divertissement sur le continent africain, pourquoi organiser l’avant-première du film à Londres ? Le réalisateur sourit : «Parce que si on avait fait l’avant-première au Nigeria, le film n’aurait pas de succès…On lui donne une importance internationale en le projetant ici.» À Lagos, où tous les yeux sont rivés sur l’Europe, et surtout sur l’ancien colon britannique, on suit la soirée sur les réseaux sociaux. Les lumières de l’Imax Waterloo se rallument. Les spectateurs courent pour prendre des photos avec les belles actrices dans les escaliers et les partager sur Twitter. On se bouscule pour être le premier à poser à côté de la robe scintillante verte émeraude de Mercy Johnson. Mieux encore, la grande star de Nollywood (avec plus de 400 films à son actif !) porte son nouveau-né dans les bras. Sûr que les photos seront reprises sur tous les blogs «VIP» du pays. Mission réussie pour Thy Will Be Done. Il ne reste plus qu’à penser aux futurs projets. «On a besoin de financements extérieurs, souffle le réalisateur. En projetant ce film ici, on montre aux sponsors anglais qu’il y a de l’avenir dans l’industrie du film en Afrique. Il y a 5 millions de Nigérians immigrés dans ce pays. Même si 1% d’entre eux voient notre film, il sera en tête du box office.» L’argent et le tapis rouge restent du côté de la vieille Europe. Le marché et la célébrité, en Afrique.

Sophie BOUILLON

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