Que dit la presse africaine du procès à Cour pénale internationale, de l’Union Africaine face à Nkurunziza, et de l’irruption des groupes armés au Nord Mali ? Revue.
Procès Gbagbo et Blé Goudé : le témoignage
Il répond au nom de “P547”. Avec sa voix métallique et son visage flouté sur les écrans, par mesure de protection, il est le premier témoin appelé à la barre, ce mercredi 3 février, au cinquième jour du procès de Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé devant la Cour pénale internationale (CPI). Il déroule sa version des événements du 16 décembre 2010. Deux semaines après une présidentielle au résultat controversé, la répression d’une manifestation à Abidjan fait alors au moins 45 morts selon l’accusation, et amorce un cycle de violences de près de 4 mois en Côte d’Ivoire. Ce jour-là, P547 affirme avoir reçu une balle dans la jambe. Son récit paraît sur L’Infodrome. “Le film des horreurs a commencé”, glisse dans son titre le site d’actualités ivoirien, qui suit l’audience en différé. Il est ainsi question de manifestants pro-Ouattara aux “mains nues” ciblés par des “gendarmes” et des “membres de la garde républicaine”, de coups de feu, de coups de pieds… Ce “récit pathétique”, prévient le journaliste, “nous sommes partis pour en entendre de similaires et peut-être de plus cruels sur les horreurs que les Ivoiriens ont vécues pendant la crise postélectorale, étant donné que l’accusation va appeler à elle seule 138 témoins sans oublier ceux de la défense.”
L’opinion ivoirienne polarisée
La justice pénale internationale peut-elle réconcilier les Ivoiriens ou au contraire raviver les plaies ? Sur le site Ivoire Justice, Abraham Kouassi penche pour la seconde option. Dans un billet d’humeur intitulé “Quand le procès Gbagbo/Blé Goudé nous ramène cinq ans en arrière”, il se demande si le procès n’a pas « réveillé les démons de la crise post-électorale » et craint une compétition victimaire. « Comme en 2010-2011 », écrit-il, « aucun mea-culpa de part et d’autre. Non ! Tout est la faute de ceux d’en face, ces compatriotes honnis par qui le mal est arrivé. » Cette polarisation de la société ivoirienne a transparu dans les médias cette semaine. « Le charabia de Blé Goudé », affiche en Une Le Patriote, quand Nord-Sud quotidien pointe « l’écœurante comédie » de l’ancien ministre de la Jeunesse. De leur côté les journaux pro-Gbagbo, raillent dans leur Une la procureure de la CPI Fatou Bensouda, tantôt « ridiculisée », « humiliée », ou « mise en pièces détachées ». Les partisans de l’ancien président ivoirien dénoncent une justice néocoloniale à la solde de la France. « Faux débats », tranche quant à lui Venance Konan dans son édito sur le site Fratmat.info, proche du gouvernement. Et de balayer cet argument, diffusé des réseaux sociaux jusque dans le prétoire, selon lequel Gbagbo paierait, au prix fort, son hostilité à l’ingérence de l’ancienne puissance coloniale. « Nous savons tous que les entreprises françaises n’avaient jamais fait d’aussi bonnes affaires en Côte d’Ivoire que sous Laurent Gbagbo », assure le journaliste.
L’Union africaine défiante à l’endroit de la Cour Pénale Internationale
« Que nous réserve ce procès Gbagbo qui est tout aussi celui de la tant décriée CPI ? », interroge L’Observateur Paalga. Car cette instance judiciaire n’a pas vraiment bonne presse sur le Continent. L’idée d’une justice des vainqueurs n’est jamais loin. « Refus de coopérer avec la CPI : Ouattara officialise sa grande trouille », écrit en manchette Le Nouveau Courrier après que le chef de l’Etat a déclaré, jeudi, que plus aucun Ivoirien ne serait transféré devant la Cour. Pourtant, le numéro 2 ivoirien Guillaume Soro est poursuivi par les justices française et burkinabée, et la procureur Fatou Bensouda s’était engagée à enquêter sur les deux parties impliquées dans la « crise ivoirienne ». Mais où en est-on sur ce dernier point ? Aucun membre du camp du président Ouattara n’a encore été inquiété par la CPI nous dit le journal camerounais La Nouvelle Expression, qui s’intéresse aussi aux visées pacifiques et démocratiques de la justice pénale internationale dans un article intitulé « Le procès Gbagbo, entre pédagogie et suspicion ». En début de semaine, c’est l’Union africaine (UA) qui a exprimé sa défiance vis à vis de la CPI, taxée d’impérialiste, ou de promouvoir une « justice de blancs ». Une rhétorique déjà mobilisée à l’automne 2013 par les dirigeants kenyans, ougandais et rwandais qui, dans le contexte des poursuites contre le président Uhuru Kenyatta, réclamaient un retrait de la CPI. La semaine dernière, à Addis-Abeba, les dirigeants africains ont franchi un nouveau pas en adoptant un plan de sortie des Etats africains du Statut de Rome.
L’Union africaine immobile sur le Burundi
A l’issue de ce 26ème sommet de l’UA, il a aussi été question du Burundi et du déploiement militaire de 5000 hommes. Las. « L’UA se dégonfle comme un ballon de baudruche », se désole Le Pays, tandis qu’ « une délégation de haut niveau » va finalement se substituer à l’envoi d’une force de prévention et de protection. Une « coalition de chefs d’Etat emmenée par l’Equato-Guinéen Teodoro Obiang-Nguema et le Gambien Yahya Jammeh » a suffi, au nom du principe de souveraineté des Etats, et du nécessaire consensus, à “torpiller le projet de dame Zuma”, explique le titre burkinabé. « L’UA semble avoir pris le parti de défendre les intérêts des présidents », au détriment des peuples, poursuit Le Pays. L’institution africaine est parfois qualifiée de « syndicat de chefs d’Etat », renchérit Guinée Conakry Info, qui observe par ailleurs que le cas du Burundi a éclipsé les sujets du Sud Soudan et du terrorisme, au menu de ce sommet de l’UA.
Des questions après l’entrée de groupes armés dans Kidal
Sur le front de l’insécurité, les médias maliens, quant à eux, n’ont pas éclipsé cet événement, qui a soulevé de nombreuses questions : l’irruption, en début de semaine, de groupes armés à Kidal. Des dizaines de véhicules transportant des membres du Groupe d’autodéfense touareg Imghad et alliés (Gatia), pro-Bamako ont en effet pénétré dans cette ville du Nord contrôlée par les ex-rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). « Que cache l’entrée du Gatia à Kidal ? », titre le site malien L’Aube. S’agit-il d’une nouvelle étape vers la paix ? D’une violation du cessez-le-feu censé être appliqué depuis les accords de paix de réconciliation d’Alger signés en juin ? D’un complot contre la République ? Optimiste, le quotidien proche de l’Etat L’Essor parie sur la « coexistence pacifique ». Si le drapeau vert-jaune-rouge flotte désormais non loin du gouvernorat de Kidal, devenue une « ville fantôme » aux « marchés et commerces abandonnés », il faut y voir l’aboutissement d’un processus de concertation amorcé en décembre entre la CMA et la Plateforme – coalition de groupes soutenant les autorités maliennes et auquel appartient le Gatia -, explique l’un des acteurs de ce processus, Sidi Mohamed Ichrache. Le retour des combattants originaires de Kidal était ainsi un préalable à la poursuite des discussions et à la mise en place d’une commission paritaire visant à gérer la ville, poursuit l’interlocuteur de L’Essor, selon qui près d’un millier d’entre eux ont ainsi regagné la capitale de l’Adrar des Iforas. Plus prudent, Adam Thiam invite ce vendredi dans Le Républicain à ne pas négliger la dimension de la crise du Nord Mali. Malgré les pactes et autres rapprochements entre groupes armés et factions tribales, la situation reste fragile, des conflits continuent d’opposer la CMA et la Plateforme. « Le Gatia était attendu à dose homéopathique, pas dans les proportions où il est venu, ce qui peut faire qu’il soit assimilé à une force d’occupation », résume le chroniqueur, qui met en garde contre des « risques d’arbitrage périlleux ».