« J’ai bien aperçu ces boules de feu qui sortaient des avions en direction de la forêt. Le bruit était assourdissant et on avait l’impression de subir un tremblement de terre… Pendant deux heures d’horloge, l’aviation mauritanienne a pilonné le secteur… Les militaires mauritaniens m’ont interpellé… Les jeunes ont commencé à me brutaliser. C’est un colonel qui m’a tiré de leurs griffes… ». C’est le témoignage d’Amadou Maïga, superviseur des fontaines de la forêt Waghadu, théâtre du raid de l’armée mauritanienne.
Sokolo, dernier village avant la forêt Waghadu, lieu du raid de l’armée Mauritanien contre une base d’Al Qaida au Maghreb Islamique. Il est 9h du matin, notre guide nous amène faire un tour de ce village de 25 milles habitants (rapport provisoire du RAVEC). Ici, le raid mauritanien dans la forêt Waghadou est dans tous les esprits. Chacun y va de ses commentaires. Deux employés d’une ONG située à 15km des lieux et premiers citoyens malien à se rendre sur le théâtre des opérations après le raid et aujourd’hui zone d’occupation de l’armée mauritanienne, ont bien voulu se confier.
La forêt Waghadou est situé dans la zone appelée Kouroumari. Cette forêt est si dense que les éleveurs, censés pourtant connaître coins et recoins, s’y perdent très souvent. L’appellation Waghadou serait, dans la langue parlée ici, aurait trait à cette caractéristique. Waghadou voudrait dire selon ces témoignages, « l’endroit qui déboussole »
Ici, à l’orée de la forêt, se trouvent quatre points d’eau (fontaines) réalisées par un Programme d’Appui au Développement d’Elevage au Sahel Occidentale (PADESO). A l’Ouest, la fontaine N5, au sud N6 et N7 et à l’Est N8. Ces points d’eau ont été établis pour abreuver les animaux en pâturage.
Ce qui s’est passé le vendredi du raid
Mohamed travaille à Sokolo, village situé à 45 km du lieu du Raid Mauritanien. Mohamed à un troupeau d’animaux qu’il surveille le week end dans la brousse.
«L’armée mauritanienne avait ordonné à les éleveurs d’évacuer le lieu le vendredi avant 17h. Puisque je travaille dans le village de Sokolo au compte d’une ONG, j’ai du attendre la descente pour prévenir mes bergers à quitter la zone. Ainsi l’après midi du vendredi du raid, j’ai commencé à plier bagages avec les bergers en vue de nous éloigner de la zone conformément aux injonctions des militaires mauritaniens.
Nous étions à peu près à 15km du lieu lorsque nous avions entendu les premières déflagrations en provenance de la forêt de Waghadou. Il était 16h20, c’est-à-dire, avant l’expiration du délai des militaires mauritaniens. Le raid a eu lieu à l’orée de la forêt entre trois collines appelées Lougroune, près de la fontaine N5.
J’ai bien aperçu ces boules de feu qui sortaient des avions en direction de la forêt. Le bruit était assourdissant et on avait l’impression de subir un tremblement de terre.
Pendant deux heures d’horloge, l’aviation mauritanienne a pilonné le secteur. Aucun obus n’est tombé en dehors de la forêt. Les tirs étaient précis et bien orientés.
Après le raid, le ratissage de l’armée mauritanienne a commencé au sol. En ce moment, l’armée malienne avait pris position à quelques 20km de la forêt de Waghadou.
De 18h30 jusque 20h, on percevait nettement le bruit des explosions et des armes de combat. C’est en ce moment (20h) que les bruits des armes ont cessé de raisonner. Ensuite, nous avions aperçu les lumières des véhicules de l’armée mauritanienne quittant la forêt. Ils se sont installés au niveau de la fontaine N8 ».
Le premier civil à se rendre tôt le lendemain sur le lieu
C’est bien à ce point d’eau N8 que l’armée mauritanienne a installé son quartier Général. Le lendemain du raid, le superviseur des fontaines M. Amadou Maiga s’est rendu sur les lieux, question de voir si les fontaines d’eau ne son pas endommagées lors du raid Mauritanien.
« Le lendemain de l’accrochage dans la matinée, je me suis rendu sur les lieux non seulement en vue de constater l’état des deux gardiens de la fontaine ainsi que mon berger, mais aussi, voir si les installations ont été touchées.
Sur place, il y avait de nombreux militaires mauritaniens (pas moins de 200 éléments) avec plus de 80 véhicules tout- terrain, équipés d’armes. Il y avait également deux citernes, quatre gros camions, deux ambulances et des hélicoptères qui survolaient la zone.
Ils m’ont interpellé et ont commencé à m’interroger.
D’où viens-tus ? Que viens-tu faire là ?
Je leur ai expliqué les raisons de ma présence. Ils m’ont demandé mes pièces d’identité. J’ai alors répondu que nous, dans la région, nous n’avions pas l’habitude de nous promener avec nos pièces d’état civil.
Ils m’ont demandé si je connaissais un monsieur répondant au nom de d’Ataher.
Bien sûr que je le connaissais, puisqu’il s’agissait du gardien que j’ai installé là.
Sans raison, les jeunes militaires mauritaniens ont commencé à me brutaliser, physiquement. C’est un colonel, un peu plus âgé qui m’a sorti de leurs griffes. L’officier m’a entrainé un peu plus loin et on a échangé pendant une trentaine de minutes.
Je lui ai expliqué que je suis un citoyen malien lambda. Avec d’autres collègues, notre travail consiste à gérer ce périmètre qui profite plus aux éleveurs mauritaniens que Maliens, car pendant cette saison, il y a pas assez d’eau, ni de paille pour les animaux en provenance de la Mauritanie.
Il m’a confié que l’armée mauritanienne séjournera pendant deux semaines autour des quatre points d’eau de la forêt…
Le lendemain, samedi, il y avait un détachement de militaires mauritaniens qui est retourné sur le lieu de l’accrochage. A leur retour, un militaire noir mauritaniens s’est approché de moi pour me dire que les éléments d’AQMI se trouvant dans la forêt ont tous été tués. « Il y a des voitures détruits et des corps qu’on ne pouvait pas identifier » a-t-il dit.
La peur au ventre, je lui ai dit que j’étais heureux qu’ils les aient tous tués ; qu’Al Qaïda constituaient une menace pour nous… J’ai, par la suite demandé, à me faire photographier avec lui à l’aide de mon téléphone. Il m’a répondu qu’il ne voulait pas être photographié.
Personnellement, je n’ai pas vu ces véhicules calcinés dont ils m’ont parlé. En revanche, j’ai vu de mes propres yeux, le corps de deux militaires mauritaniens tués et deux blessés. J’étais présent quand l’hélicoptère militaire mauritanien est venu les évacuer. Il se peut que d’autres corps ou blessés aient été évacués avant mon arrivé à la fontaine ».
La version Mauritanienne à rude épreuve
15 morts du côté AQMI et deux morts militaires soldats tués. C’est le bilan annoncé par Nouakchott. Cette version n’est ni confirmée, ni contestée par Bamako qui garde, pour l’instant, le silence autour de l’affaire. En revanche, des sources sécuritaires maliennes sous couvert d’anonymat, mettent des sérieux doute dans cette version mauritanienne.
« Après l’affrontement dans la forêt Waghadou cette nuit du vendredi au samedi, plusieurs informateurs nous ont indiqués que neuf éléments se sont échappés par le côté Ouest de la forêt et six autres du côté Est. Il y avait trois éléments qui trainaient à pieds dans la zone. Une patrouille militaire est partie à leur recherche mais le jeudi dernier, nous avons appris que ces trois personnes ont emprunté un véhicule à l’Est de la ville de Léré et se sont dirigé vers le Nord. Sur le lieu du raid, il y bien deux voitures calcinés… Il est difficile de savoir Ce qui s’est réellement passé la nuit du vendredi au samedi 25 juin dernier», nous confie cette source sécuritaire malienne.
Baba Ahmed
Envoyé spécial