Situation Carcérale au Mali : Plus de 5000 prisonniers croupirent dans les prisons dans des conditions déplorables 

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    La révélation a été faite dans le rapport 2010 de la Commission Nationale des Droits de l’Homme au Mali. Le rapport rendu public le mercredi dernier à la maison de la presse épingle l’Etat malien pour les mauvaises conditions de détentions dans les prisons maliennes.

    Selon le rapport à la date du 31 décembre 2010, l’effectif du milieu carcéral sur toute l’étendue du territoire national se présentait comme suit : 4772 hommes, contre 177 femmes ; les mineurs étaient au nombre de 57, dont 35 filles et 22 garçons.

    Les condamnés sont au nombre de : 2250 hommes, 57 femmes, 2 mineurs  dont 1 fille et 1 garçon. Soit un total de 2315.

    Quant aux prévenus, on dénombre 2522 hommes, 120 femmes, 69 mineurs dont 35 garçons et 34 filles.

    Au niveau des régions la situation se présente comme suit : Kayes : 212 condamnés, 335 prévenus ; Koulikoro : 492 condamnés, 322 prévenus ; Sikasso : 406 condamnés, 209 prévenus ; Ségou : 327 condamnés, 233 prévenus ; Mopti : 150 condamnés, 161 prévenus ; Tombouctou : 45 condamnés, 53 prévenus ; Gao : 85 condamnés, 102 prévenus ; Kidal : 02 condamnés, 15 prévenus et le District de Bamako : 576 condamnés, 1092 prévenus. Les totaux établissent respectivement 2295 condamnés et 2522 prévenus.

    Les visites dans les prisons et l’analyse des rapports adressés par les directeurs régionaux de l’administration pénitentiaire et de l’éducation surveillée font ressortir un certain nombre d’observations: les conditions de détention restent déplorables.

    Le cas du Centre de Bollé est très préoccupant. La population carcérale de Bollée est composée de mineurs et de femmes. De ce fait, elle mérite une attention particulière. Il se trouve que les pensionnaires sont à 97 % des femmes prévenues et à 98,57 % des mineurs.

    A ce rythme, la réussite des programmes de rééducation et réinsertion du centre risque d’être sérieusement entravée.

    Ces situations sont préoccupantes quand on sait que depuis la promulgation de la loi n° 01-080 du 20 août 2001, portant Code de procédure pénale, la détention provisoire est soumise à des conditions censées en limiter les abus.

    L’analyse des synthèses des rapports du dernier trimestre 2011 des directions régionales de Koulikoro, Kayes et Ségou fait ressortir un ratio de 1 surveillant pour 7 à 15 détenus dans les régions et à Bamako, un surveillant pour 30 détenus.

    Le fichier 2010 de la maison d’arrêt de Bamako montre que 2727 personnes ont été placées sous mandat de dépôt. En faisant l’état actuel on comprend aisément le nombre de personnes libérées ou n’étant plus en détention.

    Des conditions de détention déplorables
    Sur le plan alimentaire :
    En 2010, les conditions d’alimentation ont connu une amélioration en termes d’augmentation des dotations en céréales (riz, mil, haricot).

    Par exemple, à Ansongo dans le cercle de Gao, en 2006, il y avait pour 11 personnes et par trimestre : 0.5 tonnes de riz, 1.2 tonnes de mil et 0.5 tonnes d’haricot. Ces quantités ont augmenté en 2010 de 100Kg.

    A Bamako, pour une population de 1400 personnes, il y avait, en 2006 et par trimestre : 12 tonnes de riz, 52 tonnes de mil, 4 tonnes de haricot.

    Il y a également une amélioration en 2010.

    A Goundam, en 2006 et par trimestre pour 8 à 9 personnes, il y avait :
    0.5 tonnes de riz, 1.5 tonnes de mil et 0.5 tonnes de haricot.

    Les montants pour les condiments et par trimestre en 2006 se présentaient comme suit : Ansongo : 100.000 CFA, Goundam : 150.000 CFA et Bamako : 7.000.000f CFA.
    Le nombre de plats servis est trois : matin, midi et soir. Ces montants ont augmenté d’environ 40% souligne le rapport.

    A GAO, cependant le document déplore la qualité du plat servi, constitué de bouillie uniquement le matin, midi et soir. Cette bouillie est aussi humainement inconcevable comme nourriture.
    Précisons que la qualité de la nourriture est déplorable dans toutes les prisons du pays.

    Dans le domaine sanitaire :
    Selon le rapport 2010 de la CNDH- Mali, la question sanitaire reste le goulot d’étranglement dans les prisons.

    Depuis 2008, l’Etat a pris l’initiative de prélever sur les différents crédits alloués aux Etablissements pénitenciers et en fonction de la population carcérale, environ 4% dans la majorité des cas pour acheter des médicaments qui sont ensuite répartis entre les différents établissements pénitenciers, tenant toujours compte de la masse de la population carcérale et des maladies fréquemment rencontrées.

    De nos jours, l’absence d’infirmerie dans la plupart des prisons pose d’énormes problèmes de santé. Tous les rapports adressés par les services régionaux à la DNAPES vont dans le sens de recommander des infirmeries dans les prisons.
    Il n’est pas rare de voir le régisseur ou les parents des détenus emprunter un taxi à leur frais pour l’évacuation d’urgence de prisonniers dont ils prennent également en charge les frais pour les premiers soins.

    Du point de vue du service social :
    Les agents sociaux cités ci-dessus, affectés aux différentes prisons, sont dépourvus de tous moyens pour l’exercice réel de leur fonction à l’endroit des détenus vers leurs parents. Actuellement toutes les prisons ne sont pas pourvues de ces agents.

    Du point de vue de l’hygiène :
    Des efforts sont réalisés dans ce domaine. Chaque détenu reçoit un morceau de savon, mais il n’y a pas de délais précis pour le renouvellement, si bien que le temps passé sans savons est souvent long. En outre, des désinfectants pour les toilettes et les chambres ne sont pas toujours fournis. Les toilettes sont mal situées et en mauvais état, dans de très mauvaises conditions d’hygiène.

    Il reste beaucoup d’efforts à faire. Mais il est important de signaler une situation d’injustice et d’inégalité qui existe dans la prison de Koulikoro. En effet, là sont construites des cellules individuelles avec toilettes interne et lit pour les prisonniers Rwandais du tribunal spécial ; tous les détenus sont des hommes et nous sommes tous égaux en droits et en dignité. Ceci ne semble pas être le cas dans cette prison où vivent des gens différents : les Rwandais bénéficient de traitements spéciaux : pécule pour téléphone, cellule individuelle, toilettes internes et personnel, literie, télévision individuelle.

    En matière d’hébergement :
    Il se caractérise par sa vétusté et son exiguïté. Ce sont des cellules collectives, pour la plupart construites à l’époque coloniale. Par exemple, la maison d’arrêt et de correction de Sikasso construite en 1925 pour 50 détenus, abrite aujourd’hui plus de 182 pensionnaires, avec au moins 40 détenus par chambre. A Gao, la prison n’est pas digne d’un Etat qui se dit démocratique, en effet les chambres collectives sont engorgées, insalubres et encombrées de toutes sorte d’objets et matériels appartenant aux détenus. Il faut surtout signaler que la literie est inexistante dans nos prisons, pas de lits ; les détenus dorment à même le sol sur des vieilles nattes souvent pleines de poux. Dans ce domaine, seul Bollée-femme dispose de quelques lits actuellement en mauvais état. Notons que concernant la prison de Koulikoro, les détenus Rwandais relevant du Tribunal spéciale pour le Rwanda vivent dans des chambres individuelles avec lits. C’est une situation qu’il faut dénoncer car elle crée la différence entre des hommes qui sont au même niveau de la société : tous des prisonniers devant être traités de la même façon « à conditions égales, traitement égal ». L’Etat devrait tenir compte de cette différence de traitement qui constitue à notre point de vue une discrimination.
     
    Toutefois, il ressort de tous ces constats que depuis 1999 l’Etat a financé la construction ou la réfection de plusieurs établissements pénitentiaires en vue de les rendre conformes aux prescriptions des règles minimales. Mais nous sommes loin du compte au vue des constats établis.

    Du point de vue distractions et loisirs :
    Des activités comme le sport, le jeu de dames, de cartes, sont pratiquées par les détenus dans certaines prisons. Certains établissements bénéficient en outre de téléviseurs pour être au parfum des informations sur l’ORTM. Mais une analyse des rapports indique d’une part qu’il y a beaucoup à faire pour donner plus d’activités physiques aux détenus dont le nombre atteints de diabète s’accroît d’année en année pour défaut d’activité. D’autre part toutes les prisons du pays n’ont pas d’électricité et de point d’eau ; l’absence de lumière pousse les surveillants à faire usage de moyens souvent non conventionnels pour immobiliser les détenus jusqu’au matin.

    Du point de vue de la formation professionnelle :
    Les activités varient d’un établissement à un autre. Celles pratiquées sont la menuiserie métallique, la maroquinerie, le maraîchage, la teinture et la savonnerie, ainsi que l’éducation environnementale, c’est-à-dire la préservation de l’environnement qui sont celles généralement pratiquées chez les femmes de Bollée. En outre, il y a l’éducation scolaire de base et l’alphabétisation parmi les activités de formation. Tout ceci reste précaire et n’entraîne aucune incidence sérieuse sur l’état de mal vivre des détenus. Tous les rapports dégagent un manque de moyens et de matériels pour atteindre les objectifs de formation.

    Nombreux sont les régisseurs qui réclament des moyens matériels pour faire face à cette activité. Un exemple est le cas du pénitencier agricole de Baguineda où l’état du matériel agricole est vétuste et en très mauvais état. A Kenieba, le directeur régional de l’administration pénitentiaire dans le rapport du dernier trimestre fait ressortir un besoin de batteuse, (mil, riz sorgho) d’une charrette et d’un âne et termine par une sollicitation du renouvellement de tout le matériel agricole ; comment comprendre un tel manque dans des pénitenciers à vocation agricole.

    L’engorgement des prisons et le disfonctionnement du système judiciaire :
    Outre l’augmentation de la criminalité, la lenteur des procédures et les nombreux disfonctionnements du système judiciaire contribuent à l’engorgement des prisons et des maisons d’arrêt.
    Dans la pratique, ces disfonctionnements se traduisent par : des gardes à vue dépassant les délais légaux. Plusieurs détenus font état de gardes à vue excédant largement les délais légaux.

    L’écart entre les interrogatoires du juge d’instruction après l’inculpation :
    Pour les prévenus, nombreux sont les prisonniers qui ont été inculpés sans plus jamais être interrogés par le juge d’instruction et cela depuis de long mois ou plusieurs années. Il y a tout lieu de penser que l’interrogatoire de première comparution ne sert qu’à corroborer le procès verbal d’enquête.

    De nombreux cas de détentions arbitraires et de non renouvellement de la détention :
    Ces qualifications criminelles pour des faits qui paraissent délictuels permettent de maintenir des personnes en détention plus longuement, mais de toutes les façons elles le sont souvent plus que le maximum autorisé en matière criminelle. En outre toutes les infractions prévues dans notre code pénal sont assorties de peines de prison ; même les simples contraventions.

    L’ignorance des modalités de recours et les disfonctionnements de l’appareil judicaire pénal

    Les modalités pratiques de l’exercice des voies de recours sont ignorées des condamnés ou leur sont inaccessibles. Plusieurs détenus rapportent qu’un membre de leur famille doit s’adresser { un écrivain public pour rédiger une lettre manifestant leur volonté de faire appel (3000F CFA) ou qu’eux-mêmes doivent payer la même somme pour obtenir du greffe du tribunal ou de la maison d’arrêt la rédaction d’un acte d’appel ; et encore doivent-ils, au surplus, payer les frais de pas (500f CFA) pour pouvoir passer de l’enclos de la détention au bureau du greffe. Un détenu a confié que n’ayant ni famille, ni revenus, sa condamnation à une peine de 8 ans d’emprisonnement pour infraction avec violences qui, à ses dires, aurait plutôt mérité une qualification correctionnelle, punie d’un maximum de 5 ans d’emprisonnement, est devenue définitive sans qu’il puisse y faire appel. Il ne peut donc plus espérer qu’un recours en grâce ou attendre d’avoir rempli les conditions de la libération conditionnelle.

    De nombreux cas de non acheminement des citations provoquent de multiples remises d’audiences et toujours un engorgement des prisons.

    En dépit de la gratuité contenue dans les textes, la justice pénale devient de plus en plus payante à tel point que les décisions en ressentent les effets : les demandes de mise en liberté rédigées en prison, les visites des parents, les cédules de citation, les copies des procès verbaux, les citations, tous ces actes sont payants et les procès sont à ce jour dépendant d’au moins un de ces actes et peuvent en être influencés.

    Ces constats sur le terrain conclu le rapport sur la question montrent combien il y a de chemin à faire entre les textes et la pratique ; en effet, ces textes constituent des avancées mais les habitudes empêchent leur application effective, car Le Mali n’a pas de politique pénale bien énoncée. En effet, les habitudes et comportements juridiques hérités de l’époque coloniale, continuent d’exister. Le droit pénal à l’époque servait plus à punir qu’à constituer le fondement du traitement et de la prise en charge des délinquants.

    Les soucis étaient essentiellement sécuritaires, avec des textes autoritaires sur la détention et des structures préventives musclées. La répression était la réponse au crime. D’où une surpopulation carcérale, avec des conditions déplorables sur le plan alimentaire, vestimentaire, humain etc.

    A la date d’aujourd’hui, tous les textes ont changé et malgré tout, la vie carcérale n’a pas beaucoup évolué au Mali.

    Les autorités compétentes sont donc interpelées à ce saisir du dossier de la situation carcérale pour pallier aux disfonctionnements de l’appareil judiciaire  afin de désengorger les prisons et réserver un meilleur traitement aux détenus.
    Daouda T. KONATE

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